07/03/18

Un programme de 20.000 stations météo pour l’Afrique

Nigeria lightening
Reflets de la lumière sur la lagune de Lagos, lors d'une tempête nocturne Crédit image: Panos

Lecture rapide

  • Les stations météo seront positionnées tous les 30 km à travers le continent
  • Moins d'un cinquième des pays africains offrent des services météorologiques adéquats
  • Le programme devrait "transformer" les capacités de l'Afrique en matière de découverte scientifique

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Les agriculteurs africains ont besoin de données météorologiques et de projections climatologiques pour nourrir la population.
 
Mais souvent les données n'existent pas ou sont inaccessibles, y compris pour les scientifiques qui tentent de modéliser l'évolution du climat et la propagation des maladies sur le deuxième plus grand continent de la planète, en taille.
 
Selon les estimations de la Banque mondiale, seulement 10 des 54 pays du continent offrent des services météorologiques adéquats, moins de 300 stations météorologiques répondant aux normes d'observation de l'Organisation météorologique mondiale (OMM).
 
La Banque estime qu'il faudra 1 milliard de dollars (environ 600 milliards de Francs CFA) pour moderniser les infrastructures météorologiques clés.
 
Un investissement de cette ampleur est prohibitif dans des pays où les fonds pour les services de base font souvent défaut.
 
Mais il y a peut-être un moyen de contourner le problème : l'Observatoire hydrométéorologique transafricain (Trans-African HydroMeteorological Observatory – TAHMO) espère étendre la capacité d'observation météorologique du continent pour une fraction du coût.
 
Cette organisation à but non lucratif a un plan ambitieux pour déployer des stations météorologiques tous les 30 km.
 
Cela se traduirait par la mise en place de 20.000 stations individuelles fournissant des données météorologiques à des scientifiques avides d'informations, ainsi qu'aux entreprises et aux gouvernements. Elle estime pouvoir le faire pour 50 millions de dollars US (26 milliards de Francs CFA), avec un supplément de 12 millions de dollars US (6 milliards de CFA) par an pour la maintenance.

“C'est passionnant d'être en mesure de transformer la culture des observations climatiques africaines et la capacité de découverte scientifique.”

John Selker

 Jusqu'à présent, environ 500 stations météorologiques – des cylindres blancs de la longueur de l'avant-bras et des enregistreurs de données de la taille d'une boîte à chaussures – ont été montées sur des poteaux à travers le continent.
 
"Il est passionnant d'être en mesure de transformer la culture des observations climatologiques africaines et la capacité de découverte scientifique", explique John Selker, co-directeur de l'observatoire et professeur d'hydrologie à l'Oregon State University, aux États-Unis. Les données climatiques sont simplement rares, dit-il ; où elles existent, les scientifiques doivent souvent payer pour y avoir accès et surmonter des obstacles bureaucratiques pour les obtenir.
 
John Selker et son collègue Nick van de Giesen de l'Université de Delft, aux Pays-Bas, ont créé l'observatoire en 2010.
 
L'idée a germé en 2005, lorsque les deux universitaires réalisaient une expérience au Ghana et avaient besoin de données sur les précipitations. "J'ai demandé où nous pouvions obtenir [les données] et [notre collègue] a ri, estimant qu'il n'y avait aucun moyen que nous puissions obtenir ces données de quiconque", se souvient John Selker.
 
Il travaillait sur des méthodes de mesure électronique et savait qu'il était possible de développer des capteurs capables de générer les données.
 
Selon le rapport Future Climate for Africa (projections climatologiques pour l'Afrique), le climat du continent est l'un des moins étudiés du monde.
 
Et les auteurs d'un autre rapport de la Banque mondiale affirment que la rareté des données provenant de stations météorologiques synoptiques "conduit inévitablement à des indications numériques et à des prévisions de moins bonne qualité dans ces régions". L'étalonnage des capteurs utilisés dans les observations de surface est très important, expliquent-ils, mais en pratique, peu d'entre eux sont étalonnés selon des normes internationalement acceptées.
 
100 Mo/an
 
L'observatoire essaie de combler cette lacune avec son réseau de stations météorologiques. L'organisation à but non lucratif a fait équipe avec la société américano-allemande Meter Group pour développer une station météorologique qui mesure les précipitations, la température, le rayonnement solaire, la pression et la vitesse du vent, entre autres variables. Les stations n'ont pas de pièces mobiles, ce qui signifie qu'elles sont moins susceptibles d'être endommagées et de nécessiter une maintenance.
 
Chaque station produit environ 100 Mo de données météorologiques par an, transmises via une carte SIM à l'enregistreur de données sur une base de données centrale.
 
Ces données sont disponibles gratuitement pour les scientifiques et les installations météorologiques locales, mais les entreprises qui souhaitent y accéder doivent payer. John Selker indique que, jusqu'à présent, l'observatoire a signé des mémorandums d'entente avec 18 pays africains et obtenu leur permission pour exploiter le réseau dans leur juridiction.
 
"C'était un énorme défi de convaincre les pays africains de rendre leurs données librement accessibles", dit-il.
 
Les pays se méfient de ce genre de pratiques, à cause de leur attachement à la souveraineté nationale et de la valeur commerciale des données, selon John Selker. "Leurs agences météorologiques ont eu l'impression qu'elles pouvaient se faire beaucoup d'argent avec leurs données, même si cela ne s'est produit nulle part."
 
L'Administration Nationale Américaine des Affaires Océaniques et Atmosphériques (National Oceanic and Atmospheric Administration) rend ses données disponibles gratuitement, et c'est l'une des principales raisons pour lesquelles les modèles climatiques et météorologiques américains sont mieux compris que ceux du continent africain, selon John Selker. "Vous ne pouvez pas faire de la science sur des données de propriété exclusive – cela n'aide pas à la construction de la compréhension scientifique."
 
Cependant, il y a une raison pour laquelle les agences météorologiques des pays africains facturent leurs données : beaucoup survivent en les vendant pour compenser un manque d'investissement dans l'infrastructure météorologique à l'échelle du continent, estime Mark New, directeur de l'Initiative africaine pour le climat et le développement, à l'Université du Cap.
 
L'observatoire finance ses opérations et la gratuité des services aux scientifiques et aux installations locales, en vendant ses données aux entreprises.
 
La multinationale américaine IBM, présente dans le secteur de la technologie, est son plus gros client : elle canalise les données dans sa filiale, The Weather Company, pour les utiliser dans sa modélisation météorologique.
 
L'observatoire vend également des données aux producteurs de semences, aux assureurs, aux entreprises agricoles et aux sociétés de conseil.
 
Les intermédiaires, qu'ils soient des entreprises ou des organismes à but non lucratif, ont besoin de données météorologiques avant de pouvoir développer des services basés sur les données dont les agriculteurs ont besoin.
 
John Selker estime la valeur des données pour l'économie africaine à environ 100 milliards de dollars US par an, à travers des industries telles que l'assurance. "Si nous pouvions assurer ces cultures, les agriculteurs pourraient prendre de plus grands risques", dit-il. "Tant que les gouvernements garderont ces données sécurisées, cette opportunité économique fera défaut."
 
Ben Schaap, responsable de la recherche au Global Open Data pour l'agriculture et la nutrition, avance pour sa part qu'il y a des avantages et des inconvénients à garder les données météorologiques sécurisées.
 
Si elles sont gratuites, les entreprises pourraient plus facilement les utiliser pour innover et créer des services ; si les données sont protégées, le fournisseur de données peut plus facilement créer un modèle économique autour de lui – mais cela pourrait rendre leur utilisation moins économiquement viable pour d'autres entreprises.
 
Le modèle de partenariat public-privé sous lequel l'observatoire opère s'écarte des services nationaux de fourniture de données en accès libre tels que la NASA, ou des petits projets financés par des bailleurs de fonds, qui visent à renforcer les capacités en matière de données climatiques.
 
John Selker dit que le paysage africain est jonché de détritus de projets financés par des bailleurs de fonds, qui ont survécu grâce aux financements, puis sont tombés en désuétude lorsque les fonds se sont taris.
 
"Ces autres projets ne représentaient que ce qu'ils étaient – des projets", ajoute John Selker. "Au lieu de cela, nous sommes une entreprise."
 
Cependant, pour que les données de l'observatoire profitent aux petits exploitants pauvres, les entreprises devraient savoir ce dont elles ont besoin et trouver utile de développer des services pour eux, soutient Ben Schaap.
 
Selon Julio Araujo, coordinateur de la recherche pour Future Climate For Africa, il y a un débat en cours sur le meilleur modèle pour fournir des services climatologiques, et l'observatoire est l'un de ces modèles, dont il convient de suivre l'évolution. "Vendre des services aux pays africains … est une amélioration par rapport au statu quo", estime-t-il.
 
Soif de données
 
Les scientifiques se félicitent de l'idée de données libres et facilement accessibles, en particulier dans les domaines où les conflits et la mauvaise gouvernance sont simplement synonymes de leur inexistence, selon Mark New.
 
John Kioli, président du groupe de travail sur le changement climatique du Kenya, s'est félicité de la possibilité de données gratuites sur le terrain. "Nous avons besoin de données pour la recherche et la prévision. Il est important d'avoir des données fiables et, si possible, des données provenant de l'Afrique."
 
Les scientifiques ont déjà commencé à publier des articles en utilisant des données TAHMO, explique John Selker. Pour y accéder, il suffit simplement de faire acte de candidature et de déclarer l'objet de la recherche. "Nous envoyons des données à des scientifiques au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Europe et en Afrique. Nous constatons aussi cette soif et cette demande de données climatiques africaines au sein de la communauté scientifique africaine", a-t-il déclaré.
 
Elles pourraient aider à répondre à des questions scientifiques sur la façon dont le climat africain dans son ensemble évolue, mais aussi aborder les incertitudes sur la façon dont ce changement s'opère au niveau de la ville.
 
"Il existe de nombreuses possibilités", explique Marieke de Groen, coordinatrice régionale de TAHMO pour l'Afrique australe, qui supervise huit stations à Johannesburg.
 
Marieke de Groen estime que les données météorologiques sont essentielles pour mieux comprendre les besoins en eau et les débits d'eau, ce qui a des implications pour la gestion des eaux pluviales et la recharge des eaux souterraines.
 
Pour une grande ville comme Johannesburg, où il peut pleuvoir dans une partie alors que le soleil brille dans l'autre, les effets des phénomènes météorologiques extrêmes ne seront pas uniformes à travers la ville, explique-t-elle. 


Cet article a été soutenu par The Rockefeller Foundation Bellagio Center. Pendant près de 60 ans, le Centre Bellagio a soutenu des individus travaillant pour améliorer la vie des personnes pauvres et vulnérables à travers ses programmes de conférence et de résidence, et a servi de catalyseur pour des idées, des initiatives et des collaborations transformatrices.

 

Une fois par an, le Centre Bellagio accueille un programme spécial de résidence thématique réunissant des universitaires, des praticiens et des artistes dont le travail se rattache à un thème commun. En 2018, le programme de résidence se déroulera du 5 au 30 novembre et sera centré sur le thème "Science pour le développement." Les candidatures pour les programmes de résidence de praticiens sont maintenant ouvertes et les demandes de participation aux programmes de résidence pour des travaux universitaires seront ouvertes le 1er mars. Pour vous inscrire, veuillez envoyer un courriel à [email protected] en indiquant "Science for development" dans le champ objet.