08/10/25

Quand des produits manufacturés deviennent un danger pour la santé

Produits alimentaires avariés saisis par la police municipale
La police municipale de Ouagadougou procède à la saisie de produits avariés en vente dans une boutique. Crédit image: SDN/A. A. Nabaloum

Lecture rapide

  • Des produits manufacturés contrefaits ou modifiés sont vendus sans obstacle sur les marchés africains
  • Des tests ont montré que beaucoup de ces aliments contiennent des substances dangereuses pour la santé
  • Des experts prescrivent des cours d’éducation à la sécurité alimentaire dans les écoles et les communautés

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[OUAGADOUGOU, GITEGA, BUKAVU, SciDev.Net] Face aux méfaits de la prolifération sur les marchés africains des produits alimentaires impropres à la consommation, la diététicienne burkinabè Yasmine Zerbo ne trouve pas mieux que d’introduire une éducation à la nutrition et à la sécurité alimentaire dans les écoles, les médias et les espaces communautaires comme les marchés.

Pour cette professionnelle de la nutrition, une telle éducation viserait à déconseiller aux populations l’achat et la consommation de produits manufacturés sans étiquetage ou de produits emballés sans mention d’origine et de la date de péremption.

Elle encouragerait également les consommateurs à lire « attentivement » les étiquettes afin de choisir les produits portant un numéro d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) ou un label de qualité reconnu. « Ne jamais consommer des conserves dont les boîtes sont bombées, rouillées ou dégagent une odeur suspecte », insiste-t-elle.

“Le premier acteur de la lutte contre la fraude, c’est la population. L’un des points d’honneur que nous faisons chaque fois que nous en avons l’occasion, c’est l’appel à la collaboration des populations par le système de dénonciation anonyme”

Yves Kafando, CNLF, Burkina Faso

Cette recommandation est une réponse aux fréquents ennuis considérés comme potentiellement générés par les produits manufacturés impropres à la consommation sur la santé des personnes qui les consomment quotidiennement dans les pays d’Afrique subsaharienne.

En effet, les produits alimentaires non conformes sont à la base d’un certain nombre de problèmes de santé publique, soutient Sibiri Christian Kaboré, secrétaire général de l’Agence nationale pour la sécurité sanitaire de l’environnement, de l’alimentation, du travail et des produits de santé (ANSSEAT) au Burkina Faso.

« Nous avons commandité des études sur les produits consommés au Burkina Faso. Lors de nos analyses, nous retrouvons parfois des aflatoxines dans les céréales et des pesticides ou des métaux lourds dans les boissons, etc. ; parfois à des doses élevées, mais souvent à des doses relatives », confie-t-il à SciDev.Net. Ajoutant que « ces non-conformités sont récurrentes ».

Une portion importante des produits en vente sur les marchés d’Afrique subsaharienne est impropre à la consommation. Crédit photo : SciDev.Net/F. Mbonihankuye

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les aflatoxines sont des toxines élaborées par des champignons qui se développent sous forme de moisissure sur des aliments, le sol ou encore la végétation en décomposition…

« Lorsque les produits contenant ces matières toxiques sont consommés, on peut avoir des cas de cancer, d’hypertension, des maladies cardiovasculaires, etc. Ils peuvent poser des problèmes sérieux de santé publique », ajoute Sibiri Christian Kaboré.

Pour Gaïus Mashauri Mulume, médecin au centre hospitalier Malkia Wa Amani à Bukavu en République démocratique du Congo (RDC), les produits alimentaires de qualité douteuse (contrefaits, périmés, mal conservés ou falsifiés) présentent de graves dangers, surtout pour les enfants, les personnes âgées, les femmes enceintes et les immunodéprimés.

Ces aliments peuvent contenir des bactéries pathogènes, telles que les salmonelles, l’Escherichia coli (E. coli), la listeria, les toxines produites par des champignons ou bactéries (ex. aflatoxines), fait-il savoir.

Leur consommation peut provoquer des vomissements, de la diarrhée aiguë, une déshydratation sévère et des hospitalisations fréquentes chez les enfants, précise le médecin ; ajoutant que « chez les enfants ou les malades chroniques, un aliment contaminé peut épuiser le système immunitaire et aggraver les maladies sous-jacentes comme le VIH/sida et le diabète… »

Métaux lourds

Alfred Hakizimana, un citoyen burundais se rappelle avoir failli perdre son fils après que ce dernier a consommé du lait acheté dans un commerce de la place. Selon son témoignage, l’étiquette sur la boite de lait était illisible et couverte de poussière.

« Mon enfant criait de douleurs et était pris de vomissements incontrôlables. Conduit à l’hôpital, les médecins ont conclu que l’enfant souffrait d’une intoxication alimentaire », relate Alfred Hakizimana qui ajoute que la maladie de son fils était causée par ce lait qui était déjà périmé.

Noura Dianda, résidente au quartier Somgandé, dans le 4è arrondissement de Ouagadougou, au Burkina Faso, a vécu une mésaventure similaire. Elle a encore en mémoire les troubles du ventre dont elle a été victime après la consommation d’un repas fait à base de riz, d’huile, de pâte, de tomate, de mayonnaise, achetés dans une alimentation du quartier.

« Comme par hasard dans notre secteur, plusieurs personnes avaient fréquemment des problèmes gastriques avec des diarrhées… », dit-elle. Les habitants du coin ont donc commencé à soupçonner les produits achetés dans l’alimentation.

Un contrôle permet de mettre la main sur des cartons de poulet avarié destiné à la commercialisation. Crédit photo : SDN/A.A. Nabaloum

A la suite des dénonciations des habitants de Somgandé, la police municipale de Ouagadougou, à travers sa Direction de la police de salubrité et de la tranquillité urbaine (DPSTU), avait mené une investigation dans l’alimentation incriminée.

Résultat : Environ une tonne de produits alimentaires contrefaits avait été saisie par une équipe de la police municipale en collaboration avec la Ligue des consommateurs du Burkina (LCB), et le propriétaire de l’alimentation mis aux arrêts.

Outre les organismes pathogènes, Gaïus Mashauri Mulume soutient que certains aliments vendus sur nos marchés peuvent contenir des additifs chimiques non contrôlés, notamment des métaux lourds ou des colorants dangereux, surtout dans les produits contrefaits (jus, biscuits, bouillons).

« Cela a des conséquences possibles notamment le retard mental ou moteur, des troubles du comportement, le retard de croissance », indique le médecin. Il ajoute que « certains aliments falsifiés (laits, jus…) peuvent contenir des hormones ou plastifiants toxiques, des produits chimiques à effet perturbateur endocrinien. Cela peut causer aussi la puberté précoce, des malformations congénitales ou la stérilité à long terme ».

Troubles neurologiques ou hépatiques

Mathieu Kponou Tobossi, spécialiste en santé environnementale et directeur du centre Nouvelle formule sanitaire (NFS)-Togo, souligne que certaines conséquences de la consommation d’aliments altérés, frelatés ou contaminés sont visibles immédiatement, comme les intoxications alimentaires, tandis que d’autres apparaissent à long terme.

« Les risques chimiques, eux, sont encore plus silencieux. Les aflatoxines contenues dans les céréales mal stockées, par exemple, sont cancérigènes. Les métaux lourds, comme le plomb ou le mercure, présents dans les poissons ou légumes arrosés par des eaux polluées, provoquent des troubles neurologiques ou hépatiques », renseigne cette source.

Par ailleurs, la consommation d’aliments de mauvaise qualité aggrave la situation de la malnutrition dans les pays où elle sévit déjà, souligne le spécialiste. « On parle souvent de carence en fer ou en vitamine A, mais on oublie que certains aliments impropres à la consommation, comme le lait contaminé aux aflatoxines, peuvent perturber l’absorption de ces nutriments », explique-t-il.

« Le pire, c’est que par contraintes économiques, les familles pauvres optent souvent pour des produits bon marché, mais ils sont dangereux. On achète parce que c’est accessible, pas parce que c’est sain », déplore Mathieu Kponou Tobossi.

La diététicienne burkinabè Yasmine Zerbo propose d’introduire une éducation à la nutrition et à la sécurité alimentaire dans les écoles, les médias. Crédit photo : SDN/A.A. Nabaloum

Bref, pour la diététicienne Yasmine Zerbo, la circulation et la consommation des produits alimentaires impropres à la consommation sont des facteurs aggravant de la morbidité et de la mortalité évitables au Burkina Faso et dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Il est donc essentiel, estime-t-elle, de promouvoir des pratiques alimentaires sûres et équilibrées, tant au niveau individuel que communautaire.

A cela, Noël Nkurunziza, président de l’Association burundaise des consommateurs (ABUCO), ajoute la nécessité de mener une lutte préventive qui consisterait à démanteler les circuits qui acheminent ces produits impropres à la consommation sur les marchés de nos villes et villages.

Ce dernier rappelle en effet que les échanges croissants de produits agroalimentaires à travers les frontières favorisent des pratiques frauduleuses de plus en plus complexes. Ajoutant que certains individus exploitent cette complexité pour écouler en toute discrétion des marchandises impropres à la consommation.

Contrôle

A titre d’exemple, la ville de Dakola, située à la frontière entre le Burkina Faso et le Ghana, est l’un des points de passage terrestre par où transitent les marchandises. Les véhicules doivent y franchir deux postes de contrôle avant de poursuivre leur route.

Le premier est la police de la frontière. Ici, les marchandises sont déchargées et fouillées pour déceler les substances comme la drogue, les produits interdits sur le territoire et surtout pour vérifier l’identité des occupants des véhicules.

Situé à moins d’un kilomètre du premier, le second est la douane. A ce niveau, l’inspection est plus intensive et rigoureuse. L’objectif est de rechercher et de saisir les produits frauduleux, de taxer les marchandises et de remettre un certificat pour le contrôle qualité.

Ce certificat provisoire permet aux agents de l’ANSSEAT d’effectuer des analyses sur les produits alimentaires avant leur commercialisation. Au terme de l’opération, si aucune anomalie n’est trouvée, un certificat de qualité sanitaire est délivré à l’opérateur.

Des tonnes de pâtes alimentaires saisies par la CNLF au Burkina Faso. Crédit photo : SDN/A.A. Nabaloum

Sibiri Christian Kaboré indique à SciDev.Net que l’ANSSEAT doit intervenir avant que ces produits, qu’ils soient fabriqués localement ou importés, soient mis à la consommation des Burkinabè pour s’assurer qu’ils sont sains.

Ainsi, « les produits qui se trouvent sur le marché et qui sont passés par le dispositif normal de l’État, on peut dire que nous les analysons. Tous les produits qui sont passés par les voies licites sont contrôlés, qu’ils soient fabriqués localement ou importés », insiste ce dernier.

En revanche, les produits frauduleusement importés sont à 100% impropres à la consommation, soutient Yves Kafando, responsable de la CNLF. « C’est pourquoi ils sont importés dans des conditions irrespectueuses des dispositions réglementaires », argumente-t-il.

Circuits illicites

Mais, en dépit des dispositifs de contrôle, des tonnes de produits alimentaires d’origine douteuse ou encore frelatés empruntent des circuits illicites et inondent les marchés burkinabé.

Dasmané Traoré, président de la Ligue des consommateurs du Burkina (LCB), reconnait que « chaque mois pratiquement, il y a des incinérations ou des destructions de produits de mauvaise qualité. A tel point qu’on peut dire qu’aujourd’hui, en tout cas avec les structures de contrôle habilitées, il y a un immense travail qui est fait sur le terrain et les résultats y sont ».

Illustration le 6 mars 2025 : des agents de la Coordination nationale de lutte contre la fraude (CNLF) ont procédé à la saisie de 473 tonnes de pâtes alimentaires périmés depuis le mois de septembre 2024. Destinés à être écoulés dans les marchés, ces produits impropres à la consommation étaient stockés dans quatre magasins de Ouagadougou.

Déjà, six mois plus tôt, en septembre 2024, la Brigade mobile de contrôle économique et de la répression des fraudes (BMCRF) avait mis la main sur plus de 200 tonnes de produits impropres à la consommation comprenant des boissons sucrées, du lait en poudre, de la mayonnaise, de la pâte dentifrice, du savon, etc.

Dasmané Traoré, président de la Ligue des consommateurs du Burkina. Crédit photo : A. A. Nabaloum.

D’où le constat de Noël Nkurunziza : « les fraudeurs perfectionnent des techniques de camouflage qui défient la vigilance des autorités », rendant les contrôles classiques souvent « inefficaces ». Bref, dit-il, même si des mécanismes de contrôle existent, leur efficacité reste limitée sur le terrain.

Ainsi, un laboratoire spécialisé dans la prorogation des dates de péremption de produits alimentaires avait été découvert, il y a quelques années, dans la ville de Yaoundé, au Cameroun, par des équipes de la Brigade nationale de contrôle et de répression des fraudes du ministère du Commerce.

Des cargaisons de chocolat pour pâtisserie, des huiles végétales, des bonbons dont les dates de péremption avaient été prorogées de deux ans, avaient été saisis au cours de cette opération.

« Le changement d’étiquetage sur des produits proches de leur date de péremption ou déjà périmés, ainsi que l’utilisation de faux emballages, en particulier pour jus et produits laitiers » font effectivement partie des techniques de camouflage utilisées par des commerçants fraudeurs pour échapper à la vigilance des autorités, affirme Noël Nkurunziza.

Prix réduits

D’après les acteurs de la société civile et les services de lutte contre la fraude, une autre technique utilisée par des opérateurs et commerçants véreux consiste à écouler les produits alimentaires d’origine douteuse, périmés ou proches de la péremption à des prix réduits.

Dans sa boutique à Gitega, capitale du Burundi, Jean-Pierre Ndikumana, avoue également écouler les produits alimentaires dont la date d’expiration est imminente a des prix réduits. A Ouagadougou, les tonnes de produits alimentaires saisies par la CNLF, étaient écoulées à bas prix à travers le pays.

Un carton de pâtes alimentaires, habituellement vendu à 18 000 F CFA, était cédé entre 10 000 et 8 000 FCFA pour en faciliter l’écoulement. La vente des produits se déroulait avec la complicité de certains détaillants, éparpillés dans les marchés et quartiers, sur le territoire national, souligne la CNLF.

« Et malheureusement, le consommateur n’ayant pas une éducation de consumérisme, se laisse duper. Parce que le plus souvent, il ne fait pas attention à ce qu’il achète. Et du coup, il peut prendre un produit de mauvaise qualité pour l’emporter chez lui », se désole Dasmané Traoré.

Aucune catégorie de produits n’est épargnée. Ici, des boissons saisies. Crédit photo : SDN/AA Nabaloum.

D’où l’insistance de Yves Kafando, responsable de la CNLF : « aucune fraude n’est facile à dénicher ». Pour l’intéressé, il s’ensuit que « le premier acteur de la lutte contre la fraude, c’est la population. L’un des points d’honneur que nous faisons chaque fois que nous en avons l’occasion, c’est l’appel à la collaboration des populations par le système de dénonciation anonyme ».

Sibiri Christian Kaboré pense pour sa part que la population doit être elle-même son propre laboratoire [d’analyse]. « C’est-à-dire que lorsque vous voulez acheter un produit, vous pouvez contrôler les dates de péremption et les numéros de lot. Si tout cela n’est pas clair, vous pouvez douter du produit », explique-t-il.

Ensuite, poursuit ce dernier, « vous pouvez regarder les couleurs. S’il y a une couleur qui n’est pas normale, ou du moins qui ne répond pas aux normes, cela se voit. Si vous avez une odeur qui n’est pas celle que vous saviez du produit, vous pouvez en douter ».

Pour Noël Nkurunziza, la vigilance des consommateurs est donc la première ligne de défense contre la fraude alimentaire. « Beaucoup de gens n’examinent ni les dates de péremption ni l’état des produits avant de les acheter », regrette-t-il.

Or, « protéger sa santé et celle de sa communauté est un devoir citoyen essentiel pour parvenir à un développement réellement durable ».