29/06/14

Un accès en grand nombre à des formations de piètre qualité ne créera pas un véritable apprentissage

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Crédit image: Flickr/Curt Carnemark/World Bank

Lecture rapide

  • L'enseignement supérieur ne devait pas être négligée en tant qu’une priorité - il est crucial pour le développement
  • Mais des connaissances et une innovation significatives ne découleront pas de l'accès à des enseignements de piètre qualité
  • Les gouvernements africains doivent veiller à ce que les enseignements véhiculent une culture scientifique

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Pour Patrício Langa et Gerald Wangenge-Ouma, le fait d’accueillir plus d'étudiants pour des enseignements de piètre qualité n’apportera pas grand-chose à l'innovation.

Dans les années 1980, l’économiste en éducation, George Pascharopoulos, a soutenu que le dollar moyen investi dans l'enseignement primaire en Afrique rapportait deux fois plus que le dollar investi dans l'enseignement supérieur. [1] La Banque mondiale l’a cru, et depuis lors, l'enseignement supérieur sur le continent a du mal à se positionner comme une importante priorité en matière d'investissement et un moteur du développement.

Nous contestons la logique selon laquelle l'enseignement supérieur en Afrique est une priorité d'investissement secondaire: il est, en effet, crucial pour le développement de l'Afrique. Toutefois, les conditions dans lesquelles cet enseignement fonctionne dans de nombreux pays africains ne permettent pas qu’il apporte une contribution utile au développement à travers les principales voies de la recherche et de l'innovation

Il y a une "exclusion de l'intérieur" dans l'enseignement supérieur en Afrique. Les étudiants accèdent à l'université mais sont exclus d'une relation significative avec les connaissances. Les soi-disant ‘programmes du soir’, largement offerts actuellement par les universités africaines, illustrent notre propos.

Des compétences, pas l’apprentissage

 
 Les programmes du soir ont vu le jour dans les années 1990 comme une réponse à la fois à la demande croissante d'enseignement supérieur et à la baisse du financement de l'État. Ils reflètent la commercialisation de l'enseignement supérieur dans plusieurs pays, dont le Kenya, le Mozambique et l'Ouganda.

Ces programmes attirent deux principaux types d'étudiants. Le premier est constitué d’étudiants issus de milieux socio-économiques défavorisés qui ont fait des études secondaires mais n'ont pas pu avoir une place dans une université publique bénéficiant des subventions étatiques. Le deuxième comprend les étudiants travailleurs qui cherchent à améliorer leurs qualifications en tant qu’un moyen pour faire augmenter leurs salaires.

“L'innovation implique de réfléchir à de nouvelles manières d’affronter la réalité et non simplement d’acquérir des compétences.”

Patrício V. Langa et Gerald Wangenge-Ouma

Les étudiants exercent généralement un emploi rémunéré dans la journée pour financer leurs études. Dans de nombreux cas, quand ils vont à l'université dans la soirée, ils sont fatigués (parfois même ils dorment dans la salle de cours). Souvent, ils ne peuvent pas supporter les lectures ou d'autres activités académiques qui sont essentielles pour le processus d'apprentissage.

Les problèmes ne s'arrêtent pas là. Être en mesure de payer les frais est devenu presque le seul critère d'admission pour beaucoup de ces programmes. Nous avons commencé à voir des cours accélérés, avec des diplômés utilisant leurs compétences nouvellement acquises pour obtenir des salaires plus élevés. Dans ces programmes, de nombreux ‘professeurs’ ont tendance à être des auxiliaires d'enseignement sans profil universitaire. 

Fondamentalement, l'environnement dans de telles classes ne ressemble pas à celui d'une université dynamique où les étudiants sont occupés dans des laboratoires, des bibliothèques et forment des groupes d'étude à l'intérieur et à l'extérieur de la salle de cours. A part un enseignant, ressemblant habituellement plus à un prédicateur s'adressant à une foule, il n'y a rien qui ressemble à un effort intellectuel et académique.

 
Des connaissances pour l'innovation

 
Les étudiants de ces établissements peuvent avoir surmonté l’obstacle de l'accès. Mais ils entrent dans des environnements peu propices à l'apprentissage où la recherche est un phénomène étranger, les enseignants sont sous-qualifiés et les étudiants moins préparés. Donc, ils ne peuvent pas accéder à ce que le sociologue du savoir, Michael Young, appelle les "connaissances solides", c'est-à-dire qu'ils n'apprennent pas à se confronter avec la réalité d'un point de vue scientifique.

Le concept qu’ont les jeunes des connaissances solides repose sur une distinction entre deux types de connaissances: les connaissances scientifiques (conceptuelles) et les connaissances quotidiennes (ou le bon sens). Pour établir une relation significative avec les connaissances, les étudiants doivent acquérir les outils conceptuels nécessaires pour étudier la réalité.
Les établissements d'enseignement supérieur, les universités en particulier, sont des lieux où la réalité est — et devrait être – traitée comme un objet d'étude. Ils ne devraient pas être simplement un environnement où les gens passent du temps pour obtenir une compétence qui les ‘qualifie’ pour une profession ou un emploi.

Dans les conditions décrites ci-dessus, l'université cesse essentiellement d'exister en tant qu’une institution du savoir. Il n’est nullement pas possible que ce type d'enseignement supérieur puisse contribuer au développement de manière significative par le biais de l'innovation. L'innovation implique de réfléchir à de nouvelles façons d’affronter la réalité et non simplement d’acquérir des compétences.

Si l'innovation doit être comprise comme l’atteinte d'une certaine forme d'originalité, qu’elle soit scientifique ou technologique, alors son précurseur qu’est l’apprentissage doit devenir un processus de construction active des connaissances. Par conséquent, pour obtenir de plus grands rendements de l'enseignement supérieur, et pour qu'il devienne une plaque tournante pour l'innovation, il est essentiel de repenser ses conditions d'existence.

Les gouvernements africains doivent se poser la question suivante: "Qu’attendons-nous de l'enseignement supérieur?" Si la réponse est simplement une amélioration de l'accès, alors ils n'ont pas à s'inquiéter, ils atteignent cet objectif. Mais, s’ils désirent que les établissements d'enseignement supérieur fassent avancer leurs pays dans l'économie mondiale du savoir, alors ils doivent donner une orientation aux universités en conséquence et engendrer de manière active une culture scientifique.

 Patrício V. Langa est le coordinateur du programme de maîtrise en études supérieures à la faculté d'éducation de l'Université Eduardo Mondlane, à Maputo, au Mozambique. Gerald Wangenge-Ouma est le directeur de la planification institutionnelle à l'Université de Pretoria, en Afrique du Sud. Langa peut être contacté à l’adresse [email protected] et Ouma à l’adresse [email protected]

Cet article fait partie du Dossier Comment rendrre l'enseignement supérieur utile pour l'Afrique.

Références

[1] George Psacharopoulos Returns to investment in education: a global update World Development 22(9):1325-43. (1993)