01/04/15

Q&R : Faciliter l’accès aux soins postnatals

Ethiopia Baby
Crédit image: Flickr/Gates Foundation

Lecture rapide

  • La période poste natale va jusqu’à six semaines après la naissance de l’enfant
  • 289 000 mères et 2,9 millions de bébés meurent par an avant, pendant ou après l’accouchement
  • Les décideurs doivent faciliter l’accès aux soins postnatals dans les pays pauvres.

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Le bulletin de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de publier les résultats d’une étude sur les inégalités des soins postnatals dans les pays à faible revenu et les conséquences qui en découlent.

Ces recherches ont été effectuées par un groupe de chercheurs basés en Suisse et au Canada, sous la direction  d'Etienne V. Langlois de l'Alliance pour la recherche sur les politiques et les systèmes de santé.

C’est une organisation dont la mission est de promouvoir la production et l'utilisation des connaissances pertinentes pour améliorer les systèmes de santé des pays à revenu faible et intermédiaire.

A cet effet, les chercheurs ont analysé les données de 15 pays, à savoir le Bangladesh, le Belize, le Brésil, la Chine, la République démocratique du Congo, l'Inde, l'Indonésie, la Jordanie, le Liban, le Myanmar, la Namibie, le Népal, le Nigéria, le Pakistan et la Palestine.

A l’arrivée, l’on apprend par exemple qu’en République démocratique du Congo, ce sont seulement 35% des femmes qui bénéficient des services de soins postnatals; le pourcentage est même de moins de 20 % au Kenya, pays qui ne fait cependant pas partie de l’étude.

En conséquence, l’on estime chaque année à 289 000 décès de mères et de 2,9 millions de décès de nouveau-nés dans la période postnatale qui est de 42 jours après l’accouchement.

Dans cet entretien, Etienne V. Langlois revient sur le contexte général de cette étude et interpelle les décideurs afin qu’ils prennent leurs responsabilités.

“Une des façons de lutter efficacement contre la mortalité maternelle et néonatale est d’améliorer l’accessibilité géographique et financière aux soins postnatals, notamment en éliminant les frais aux usagers.”

Etienne V. Langlois, Alliance pour la recherche sur les politiques et les systèmes de santé.

  

Votre étude porte sur les inégalités dans les soins postnatals dans certains pays pauvres. Pourquoi la période postnatale est-elle fixée à 42 jours après l’accouchement ?

 

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la période postnatale débute immédiatement après la naissance et dure six semaines, soit 42 jours.

Etienne V. LangloisCette période est mentionnée dans la Consultation technique de l’OMS sur les soins postpartum et postnataux, un document publié en 2010 qui intègre l’avis consensuel d’un panel d’experts dans le domaine, incluant des cliniciens, chercheurs, gestionnaires de programmes et décideurs politiques.

Pour les fins de dispensation des soins, le panel s’est entendu sur le fait que la «période postnatale» consiste en une période postnatale immédiate (jour 1), précoce (jours 2 à 7) et tardive (jours 8 à 42).

Le panel d’experts et la consultation technique ont été mis sur pieds pour assister l’OMS dans le processus de mise à jour des directives basées sur les bonnes pratiques et supportées par l’évidence scientifique, un processus qui a mené à la publication des Recommandations de l’OMS sur les soins postnatals de la mère et du nouveau-né. [i]

Le panel d’experts a souligné que la fin de la période postnatale (six semaines ou 42 jours) est associée à « la mise en œuvre d’interventions telle que la promotion de la contraception et de l’immunisation infantile, bien que certaines méthodes contraceptives – par exemple la méthode d’aménorrhée lactaire, le dispositif intra-utérin et la stérilisation féminine – doivent être discutées avant même la naissance, et en considérant aussi que certaines immunisations – par exemple contre l’hépatite B et la tuberculose (BCG) – peuvent être données à la naissance.

Qu’est-ce qui vous a déterminé à entreprendre une telle étude aujourd’hui ?

 
Dans les pays à revenus faibles et intermédiaires, la majorité des décès maternels et infantiles surviennent au cours des 42 jours qui suivent l'accouchement, alors que la couverture de services de soins postnatals demeure très faible.

Nous voulions mettre en exergue l’importance de la période postnatale dans la lutte contre la mortalité maternelle et néonatale, et nous souhaitions étudier par le fait même les iniquités d’accès aux soins postnatals dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Les soins postnatals présentent les plus faibles taux de couverture du continuum de santé maternelle et infantile, et nous voulions sensibiliser la communauté internationale à la nécessité d’améliorer l’accessibilité et la qualité des soins postnatals, en plus d’augmenter la recherche concernant cette période cruciale pour la santé des mères et des enfants.
 

Quels sont les objectifs de cette étude ?

 
L’objectif de l’étude est d’évaluer les iniquités socioéconomiques, géographiques et démographiques en matière d’utilisation des soins de santé postnatals dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Nous avons réalisé une revue systématique de l’association entre l’utilisation des services de soins postnatals et les déterminants socioéconomiques, géographiques et démographiques.

Notre étude incluait une méta-analyse de l’utilisation des services selon les quintiles de statut socioéconomique et le milieu de vie (urbain vs. rural).

Ce volet de recherche souligne que l’utilisation des soins postnatals demeure largement inéquitable en fonction du statut socioéconomique et de l’accessibilité géographique aux formations sanitaires.

Cette évidence scientifique devrait alimenter la planification de politiques et le renforcement des systèmes de santé, afin de cibler les besoins obstétricaux essentiels non comblés dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

 

Quels critères vous ont permis de sélectionner les 15 pays qui sont concernés par votre recherche ?

 
Notre recherche représente la première revue systématique et méta-analyse sur l’utilisation des services de soins postnatals, soit une recherche qui analyse toutes les données disponibles sur le sujet.

Les quinze pays en question reflètent ainsi la disponibilité actuelle des données en matière de couverture des soins postnatals.

Cet état de faits démontre par ailleurs la nécessité de conduire davantage de recherches sur les soins postnatals, afin d’obtenir des données probantes qui guideront l’élaboration et la mise en œuvre de politiques de santé visant à couvrir les besoins non comblés en la matière. La nécessité d’évidence sur les soins postnatals concerne aussi la qualité des soins dispensés et le respect du nombre de consultations postnatales recommandées par l’OMS.

 

Votre étude s’appuie sur des documents souvent très anciens. Croyez-vous dès lors que vos résultats reflètent la réalité d’aujourd’hui ?

 
Les données utilisées dans nos analyses sont en fait très récentes. Pour la méta-analyse de l’iniquité dans l’utilisation des services postnatals entre les ménages urbains et ruraux, les données ont été publiées entre 2009 et 2012.

Pour l’analyse de l’iniquité en vertu du statut socioéconomique, les données ont été publiées entre 2007 et 2012.

Notre stratégie de recherche incluait à titre de critère d’inclusion toutes données publiées entre 1960 et 2013, car nous avions l’intention d’étudier l’évolution de l’utilisation des soins postnatals dans le temps.

Or, la majorité des études sur le sujet n’ont été publiées que récemment et reflètent ainsi le problème contemporain des lacunes dans la couverture de soins postnatals.

 

Dans quelle mesure les résultats de cette étude peuvent-ils s’appliquer à des pays autres que les 15 que vous avez choisis ?

 
La question de la généralisabilité des résultats est très importante. Il est pratique courante dans le domaine de la synthèse des connaissances scientifiques de réaliser des revues systématiques qui concernent tous les pays à revenu faible et intermédiaire.

Bien que cette approche comporte certaines limites quant à la comparaison de données issues de milieux parfois hétérogènes, elle permet tout de même de tirer d’importantes conclusions sur les défis communs des systèmes de santé qui opèrent dans des contextes de ressources limitées et qui font face à des problématiques analogues en santé publique.

Notre revue systématique couvre des régions variées, de l’Afrique subsaharienne au Moyen-Orient en passant par l’Amérique latine, l’Asie du Sud et du Sud-Est, en plus de la Chine, et elle permet ainsi de fournir un panorama mondial des iniquités dans l’accès aux soins postnatals.

Une telle évidence permet de sensibiliser les décideurs de tous pays et horizons confondus à l’importance d’améliorer la disponibilité, l’accessibilité et la qualité des soins postnatals.

Il va sans dire que cette évidence globale doit être complétée par des études au niveau national et local, afin que chaque pays évalue l’ampleur des besoins non comblés dans leurs contextes spécifiques.

L’ensemble de ces données probantes permettra ensuite d’informer le développement et la mise en œuvre de politiques et de programmes de soins postnatals basés sur l’évidence scientifique.

 

Quels sont les problèmes de santé qui reviennent le plus souvent dans la période postnatale chez la mère et chez l’enfant ?

 
Au premier rang des causes de décès maternels se trouvent les hémorragies sévères, dont la majorité ont cours dans la période postnatale, et qui représentent 27% du fardeau de mortalité maternelle.

Les infections, par exemple les septicémies, représentent 11% des décès maternels, dont plusieurs ont cours dans la période postnatale, d’où l’importance des consultations postnatales pour assurer un diagnostic et un traitement précoces.

Deux principales causes de décès néonatals sont les infections sévères (23%) incluant les pneumonies, septicémies, méningites, tétanos et diarrhée, de même que les complications d’une naissance prématurée (35%).

À cet effet, l’OMS recommande des soins spécifiques pour les nouveau-nés prématurés, de faible poids de naissance et de mères vivant avec le VIH.

 

Votre étude révèle que le suivi des soins postnatals est fonction aussi bien du niveau d’instruction de la femme que de celui de son conjoint, ainsi que de leur condition socioéconomique. Comment ces différents facteurs influencent-ils concrètement le comportement postnatal des femmes après l’accouchement ?

 
Dans nombre de pays à revenu faible et intermédiaire, les ménages doivent débourser des frais directs associés aux consultations postnatales au point de service.

Le statut socioéconomique est une approximation de la capacité des ménages à payer les soins postnatals, et peut représenter une barrière financière à l’utilisation des services lorsque les ménages défavorisés ne peuvent payer les frais en question, d’où la situation inéquitable soulignée dans l’étude.

Par ailleurs, le niveau d’éducation de la femme et de son conjoint est associé à une demande accrue des soins de santé, notamment en raison d’un meilleur accès à l’information en santé et à une meilleure gestion de cette information.

Les ménages les plus éduqués ont donc traditionnellement plus recours aux services de santé que les ménages moins scolarisés.

 

Y a-t-il des dispositions spéciales à prendre avant l’accouchement pour éviter certains ennuis postnatals chez la mère et chez l’enfant ?

 
L’OMS recommande le recours à un minimum de quatre consultations prénatales pour les grossesses menées à terme.

La consultation anténatale permet de dispenser un paquet de services et de conseils de santé, notamment une supplémentation en fer afin de prévenir les risques d’anémie, soit un facteur de risque de mortalité maternelle et de mortalité néonatale.

La supplémentation vitaminique inclut aussi l’acide folique, jugée efficace dans la prévention des anomalies du tube neural et favorisant le développement neurologique global du fœtus.

Les soins prénatals incluent aussi des injections à l’anatoxine antitétanique (VAT), afin de prévenir le tétanos néonatal, qui demeure une des causes importantes de mortalité néonatale.

La période anténatale  représente l’opportunité d’éduquer les mères et les familles aux bonnes pratiques d’hygiènes et de soins du cordon ombilical, afin d’éviter les infections néonatales.

Les consultations prénatales sont l’occasion de promouvoir l’allaitement précoce et exclusif pendant six mois, afin de favoriser l’alimentation du nouveau-né et de réduire les infections néonatales de deux manières : en apportant un support au développement du système immunitaire du nourrisson et en évitant l’introduction dans l’intestin immature de substances potentiellement délétères (via l’allaitement pré-lactéal).

Par ailleurs, les consultations prénatales représentent l’opportunité de communiquer aux femmes enceintes l’importance d’accoucher en présence d’un professionnel de la santé qualifié, en plus de recourir à des consultations postnatales répétées pendant les six semaines suivant l’accouchement.

 

Au terme de cette étude, quelles recommandations faites-vous aux gouvernements des pays pauvres pour réduire les inégalités et la mortalité postnatale chez la mère et chez l’enfant ?

 
Nombre des décès maternels et néonataux peuvent être prévenus par la mise à l’échelle d’interventions basées sur l’évidence scientifique telles que l’immunisation anténatale des mères contre le tétanos, l’assistance qualifiée à l’accouchement, la ressuscitation néonatale, l’allaitement exclusif, les soins de cordon ombilical suivant les directives cliniques et le contrôle des infections des nouveau-nés.

Ces interventions médicales et sociosanitaires requièrent une meilleure disponibilité, accessibilité et utilisation des services inhérents au continuum de soins maternels, néonatals et infantiles, notamment les services de soins postnatals.

Une des façons de lutter efficacement contre la mortalité maternelle et néonatale est d’améliorer l’accessibilité géographique et financière aux soins postnatals, notamment en éliminant les frais aux usagers.

Améliorer la qualité des services postnatals doit aussi être une priorité d’action, tout comme la promotion de ces services par les travailleurs de la santé, en plus des programmes de sensibilisation communautaire.

Enfin, il est primordial pour les décideurs qui développent les politiques et programmes de santé maternelle et infantile de reconnaitre l’importance de la période postnatale et de consulter les recommandations de l’OMS sur les soins postnatals de la mère et du nouveau-né.