29/06/14

Mettre l’accent sur la recherche au service du développement, pas sur les classements

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Crédit image: Alfredo D'Amato / Panos

Lecture rapide

  • Mettre l'accent sur les classements internationaux serait inapproprié pour les universités africaines
  • Les gouvernements devraient aider certaines universités à mettre l’accent sur la recherche pour le développement, d'autres sur l'enseignement
  • Des fonds limités rendent la collaboration sur les ressources et la formation extrêmement importante

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Pour Goolam Mohamedbhai, les universités africaines peuvent prendre des mesures concrètes pour améliorer la formation et la recherche doctorales.
 

Les classements des universités à l’échelle mondiale mesurent les performances des universités sur la base d’une série d'indicateurs. Les plus influents mettent fortement l'accent sur ​​la recherche, en utilisant des critères tels que les enquêtes sur la réputation académique et les citations dans des revues internationales ou prestigieuses.

Mais ces critères ne sont pas pertinents pour les universités africaines. Leurs priorités devraient aller à la recherche pour résoudre la myriade de problèmes de développement auxquels la région est confrontée; la communication de leurs résultats de manière appropriée à des groupes de parties prenantes (pas nécessairement dans le but d'obtenir une publication dans des revues à fort impact); et la collaboration avec la communauté plus large pour atteindre les objectifs de développement convenus au niveau international.

Ces priorités ne correspondent pas aux critères retenus pour les classements mondiaux. Mais les universités africaines sont confrontées à d'énormes défis dans la promotion de la recherche pour soutenir le développement, en particulier à travers l’enseignement doctoral.

Trop peu de doctorants

Pour relever un tel défi, il faut promouvoir les études au niveau du doctorat. La plupart des pays africains suivent une stratégie d'enseignement supérieur qui met principalement l’accent sur ​​l'augmentation du taux d’inscription d’étudiants au premier cycle. Mais elle doit être abordée avec prudence.

Comme résultat de cette stratégie, l'augmentation massive du nombre d'étudiants inscrits au cours des deux dernières décennies ne s'est pas accompagnée d'une augmentation proportionnelle du personnel universitaire. Cela a entraîné de lourdes charges pour le personnel enseignement, leur laissant peu de temps pour la recherche. Et cela a entamé la qualité des enseignements reçus par les étudiants qui obtiennent leurs premiers diplômes, et sont de potentiels étudiants de troisième cycle.

En outre, la plupart des universités publiques éprouvent des difficultés pour recruter du personnel, ou même conserver ceux qui sont déjà en poste, en raison de la faiblesse des salaires. Et la proportion d'enseignants actuels titulaires d'un doctorat est très faible, ce qui fait que la capacité d'entreprendre des recherches et de superviser des doctorants est déjà faible.

Les obstacles ne s'arrêtent pas là. La plupart des universités n'ont pas une politique institutionnelle et une stratégie pour la recherche, et leur structure de gestion des doctorants est soit faible, soit inexistante. Par exemple, des données précises sur les inscriptions au doctorat et les projets de recherche sont rarement disponibles dans les universités africaines.

La recherche doctorale est donc beaucoup plus une entreprise personnelle. Les chercheurs doivent obtenir un financement pour leurs travaux et utiliser les résultats pour leur propre promotion à travers des publications dans des revues internationales. C’est rarement que leurs résultats, même lorsqu’ils sont pertinents pour le développement, parviennent à la communauté appropriée ou éclairent les décideurs politiques.

Les missions et la gestion

Les gouvernements africains peuvent prendre diverses initiatives, à la fois pour améliorer les capacités en matière de recherche et stimuler la formation de troisième cycle. Premièrement, ils devraient abandonner l'approche consistant à créer de nouvelles universités suivant le modèle existant, ou à ériger des collèges d’enseignement technique et des écoles polytechniques en universités. L’enseignement supérieur a besoin d’une  "différenciation de ses missions."

Dans la pratique, cela signifie que les gouvernements devraient soutenir certaines de leurs universités pour qu’elles deviennent de solides institutions de recherche dispensant des programmes de maîtrise et de doctorat, tout en offrant des cours de premier cycle. La majeure partie du personnel devrait avoir un doctorat et devrait être libéré des lourdes charges liées à l'enseignement, de manière à pouvoir entreprendre des recherches.

Les autres établissements d'enseignement supérieur devraient mettre davantage l'accent sur ​​la mission tout aussi importante d’enseignement et d'apprentissage au niveau du premier cycle. Ce n'est qu’alors qu'une recherche de qualité pourra vraiment prospérer dans les pays africains. Il serait impossible, et inutile, pour la majeure partie du personnel de tous les établissements d'enseignement supérieur du continent, d'avoir un doctorat.

Les universités africaines devraient également élaborer une politique et une stratégie de recherche claires. Celles-ci devraient être étroitement liées aux besoins de développement de leurs pays et en phase avec les sujets prioritaires et les capacités de leurs institutions. Toutes les recherches doctorales devraient être en accord avec des domaines de développement identifiés.

Chaque université aura aussi besoin d’une unité centrale pour gérer la recherche et la formation postdoctorale – en vue de décider des incitations financières en faveur des étudiants et des superviseurs, par exemple, et d’organiser des séminaires de formation. Une telle unité ne devrait pas remplacer le rôle académique du département, mais viendrait le compléter dans les questions administratives.

En outre, les étudiants de troisième cycle devraient être tenus de préparer un dossier simple, concis de leurs conclusions et des recommandations, destiné à la communauté des utilisateurs ou aux décideurs. À l'heure actuelle, la plupart des résultats sont publiés dans des revues universitaires, ou apparaissent dans des thèses sur les étagères des bibliothèques: dans les deux cas, les résultats ne sont pas accessibles aux personnes qui en ont besoin.

Les questions d'argent

Le manque de fonds est un autre obstacle majeur. En effet, les gouvernements africains ne mettent pas assez d'argent dans la recherche; et au niveau institutionnel, les fonds alloués aux institutions sont absorbés par les salaires et l’offre pédagogique. Donc, la majeure partie de la recherche faite dans les universités africaines est financée par des donateurs extérieurs. Compte tenu de la situation financière à laquelle font face la plupart des pays africains, il est probable que cela continue.

Les possibilités de présentation des demandes de subventions de recherche compétitives sont nombreuses, mais les universitaires africains manquent d'expérience pour leur formulation – en conséquence, une formation dans ce domaine est absolument indispensable.

Le financement limité se traduit par la mauvaise qualité des infrastructures et des ressources humaines pour la recherche. La collaboration régionale et la mise en réseau, telles que soutenues par la plupart des agences de développement et des bailleurs de fonds, ont un rôle essentiel à jouer pour que ces défis soient relevés.

Par exemple, le Consortium pour la formation à la recherche avancée en Afrique (CARTA), financé par plusieurs bailleurs de fonds, établit des liens entre des universités et des organismes de recherche et des institutions équivalentes dans des pays plus développés, et soutient la formation doctorale dans les domaines de la santé et du développement. De même, l'Initiative régionale en sciences et en éducation (RISE), financée par la Carnegie Corporation de New York, appuie la mise en réseau pour aider les universités africaines à renforcer leurs capacités de recherche et développer des études de troisième cycle dans des domaines clés du développement tels que les ressources en eau et la biotechnologie.

Les universités africaines ont besoin de réformes qui favorisent la recherche. Mais ces réformes devraient s'étendre à la mise en pratique de la recherche – la recherche en Afrique ne devrait pas être entreprise simplement pour générer des connaissances, mais aussi pour aider à promouvoir le développement durable. Toute tentative visant à stimuler la recherche dans des universités africaines qui aspirent simplement à des classements mondiaux ne serait pas seulement un gaspillage de ressources limitées, mais serait également inappropriée, étant donné la nécessité de relever les défis de développement.

Goolam Mohamedbhai est l'ancien secrétaire général de l'Association des universités africaines, ancien président de l'Association internationale des universités et ancien vice-chancelier de l'Université de Maurice. Il peut être contacté à l'adresse: [email protected]

Cet article fait partie de notre dossier: Réformer l'enseignement supérieur en Afrique.