27/11/19

Ebola : Le système de santé guinéen reprend des couleurs

Donka Hosto
Le nouveau bâtiment du principal hôpital de Conakry. Crédit image: SDN/MTS

Lecture rapide

  • L’épidémie de 2014 en Guinée a pris de court les décideurs, aussi bien que les agents de la riposte
  • Trois ans plus tard, le pays a tiré des leçons des faiblesses structurelles de son système de santé
  • Au regard des améliorations apportées, la Guinée est prête pour faire face à toute nouvelle crise sanitaire

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Alors que la République démocratique du Congo est toujours aux prises avec l’épidémie d’Ébola, la Guinée, l’un des trois pays d’Afrique de l’Ouest affectés par l’épidémie de 2014, panse péniblement ses stigmates.
 
Trois ans après l’épidémie en Afrique de l’Ouest, Bienvenu Salim Camara, médecin chercheur en santé publique et titulaire d’un master en Sciences de la santé publique de l’Université de Nagasaki, au Japon, aide à comprendre, au-delà de l’impact dévastateur de l’épidémie d’Ébola sur les tissus sociaux en Guinée, les répercussions « positives » sur les systèmes de santé du pays.

Bienvenu Salim Camara est chercheur en sciences sociales et santé publique au centre National de Recherche de Maferinyah, en Guinée.

Notre correspondante à Conakry, Maria Théresa Sègnaya, l'a rencontré.
 

Au tout début de l’épidémie de 2014, une pratique s’est rapidement répandue dans le pays : le lavage systématique des mains et une véritable prise de conscience de l’importance de l’hygiène dans la vie de tous les jours. Malheureusement, dès la fin de l’épidémie, ces bonnes habitudes ont tôt fait de disparaître. Faut-il craindre un retour du virus ?

 
On ne peut pas dire qu’une épidémie ne peut pas resurgir, surtout lorsque nous savons que les mesures de prévention d’Ébola incluent aussi des mesures d’hygiène et nous sommes effectivement dans un pays où le niveau de vie socio-économique est encore très faible, et où le taux d’analphabétisme est encore très élevé. Vous comprendrez donc que nous sommes encore exposés à toutes maladies à potentiel épidémique, dont Ébola. Cela signifie qu’au niveau de certaines populations, il y a des efforts à fournir, pour les emmener à adopter des mesures préventives adéquates…
 

Au vu des enseignements tirés de l’épidémie d’Ébola en Afrique de l’Ouest, quel regard portez-vous sur l’actuelle épidémie en République démocratique du Congo ?

 
Il faut rappeler qu’Ébola a été découvert en 1976 en République Démocratique du Congo, par un jeune médecin belge, Peter Piot. En Guinée, le premier cas, le cas index, a été rapporté fin décembre 2013 dans le petit village de Méliandou à Guéckédou, sur un petit garçon de dix-huit mois, et très rapidement, cette épidémie s’est répandue les jours qui ont suivi dans les 26 préfectures sur les 33 que compte le pays. Et selon les statistiques des laboratoires, l’épidémie a infecté 3351 personnes et tué plus de deux mille d’entre elles. Les efforts du gouvernement et de ses partenaires nationaux et internationaux ont aidé à contenir l’épidémie et en décembre 2015, elle a été déclarée finie en Guinée, mais malheureusement, en mars 2016, trois autres cas ont été déclarés dans le village de Koropara, à N’Zérékoré. Il a fallu 90 autres jours pour vraiment déclarer la fin officielle de l’épidémie, en juin 2016. Pour le reste, il faut surtout retenir que l’épidémie en Afrique de l’Ouest a été la plus vaste, la plus mortelle et la plus longue de l’histoire.
 

Quel a été le fait marquant, pour le chercheur que vous êtes, dans le cadre de la gestion de cette épidémie ?

 
Le contexte en Guinée vis-à-vis de cette épidémie, c’est que le système de santé était inapte à faire face à la situation, qui a pris tout le monde de court. En ce moment, nous faisions partie des pays ayant les systèmes de santé les plus faibles au monde. Nous avions un plateau technique très fragile et limité. Je veux parler des laboratoires d’analyses, mais aussi de tout ce qui est équipements ou infrastructures qui viennent en soutien à la santé. Nous avions aussi un personnel insuffisant parce que notre pays produit des ressources humaines en santé, mais celles-ci sont très mal réparties, avec une grande concentration dans la capitale.

“Bien que ce fût pour leur traitement et que les gens aient guéri, ceux dont les parents mouraient, quelle perception avaient-ils de la situation ? « On part dans les centres de traitement pour y mourir… »”

Bienvenue Salim Camara, expert en santé publique

En milieu rural, il y avait un nombre très limité de personnels de santé. Et le personnel opérationnel n’était pas préparé à faire face à une maladie « étrange » comme Ébola. Les collègues étaient comme en train de se battre contre un inconnu, un ennemi invisible, à la différence d’un soldat qui voit le rebelle venir. Donc, cela signifie que le système de santé n’était vraiment pas préparé. Voilà mon premier constat sur le contexte en Guinée. Il faut aussi dire que la stratégie de lutte contre Ébola aux premières heures de l’épidémie n’a pas été très adaptée et cette stratégie inappropriée a énormément conduit à l’état de crise, vu que les communautés ont perçu autrement les moyens de lutte mis en place.
 

Elles n’étaient pas visiblement préparées, non plus…

En effet. On peut citer l’exemple d’une communication inadéquate au tout début. Les messages diffusés ont fait peur à la population. Par exemple, quand on vous dit que c’est une maladie fatale et qu’il n’y a pas de médicaments. Donc il y avait des stratégies très inappropriées au début et il y avait aussi la non-implication des membres de la communauté dans cette riposte, parce que l’épidémie a commencé en milieu rural. Donc, pour les communautés, voir des « outsiders », des gens qui sont externes à la communauté, qui sont inconnus, qui arrivent pour donner des instructions sur des mesures à suivre, était difficile à accepter. Les membres de la communauté qui ne les connaissent pas et qui apprennent que dans un village voisin, l’épidémie tue ou qu’il y a des individus qui sont masqués et qui viennent kidnapper les villageois, ne peuvent évidemment s’ouvrir spontanément aux équipes de la riposte. Bien que ce fût pour leur traitement et que les gens aient guéri, ceux dont les parents mouraient, quelle perception avaient-ils de la situation ? « On part dans les centres de traitement pour y mourir… » Et pire encore, ils communiquent sur quoi ? Sur des mesures de prévention qui sont perçues comme provocatrices, comme des mesures qui viennent transgresser les normes traditionnelles. Quand on dit qu’on doit interdire des obsèques communautaires, qu’on doit interdire les visites aux malades, quand on dit qu’on ne doit pas se saluer alors que c’est l’une de nos valeurs traditionnelles, il y a de quoi bousculer les us et coutumes, au point de susciter la méfiance, voire la défiance.

“Le pire, c’est que les gens qui venaient pulvériser les concessions étaient masqués et ça effrayait même les enfants.”

Bienvenue Salim Camara, expert en santé publique

Les équipes de la riposte étaient considérés comme des gens qui arrivaient et qu’on ne connaissait pas, accompagnés des autorités administratives. Les gens avaient l’impression que ces personnes voulaient les piéger. Donc c’était des stratégies inappropriées. Un autre exemple, c’est la pulvérisation des maisons. Ces gens qui ignorent l’importance de cette action, bien que le gouvernement et ses partenaires l’aient mise en œuvre pour les protéger, la percevaient comme un danger. Alors, ils se disent que l’unique façon de se défendre est de s’attaquer aux initiateurs, qu’ils croient être des ennemis. Le pire, c’est que les gens qui venaient pulvériser les concessions étaient masqués et ça effrayait même les enfants. Donc c’était comme un envahissement et la communauté était contrainte de réagir dans ce cadre. Voilà des contextes caractéristiques de cette épidémie, qui ont engendré des violences. Malheureusement des gens en ont perdu la vie et cela a aussi entraîné la désertion des équipes de santé. Les visites dans les structures de santé ont complètement baissé, il y a eu beaucoup de décès collatéraux, des enfants qui mouraient de paludisme, de diarrhée, des femmes enceintes qui avaient besoin d’accoucher dans les structures hospitalières, mais qui, malheureusement, ne pouvaient y accéder par peur, par méfiance.
 

Vous avez parlé d’un certain nombre de problèmes liés à la communication, aux stratégies de lutte inappropriées, mais puisque la maladie a été vaincue et maîtrisée, quelle stratégie a donc permis d’en venir à bout ?

Le tout début a été un départ raté, mais très tôt, les acteurs sur le terrain ont compris parce qu’ils ont fait appel à des anthropologues, des chercheurs en sociologie, qui ont examiné la situation et ont fait des recherches de base au sein de la communauté, pour connaître ses perceptions ou ses propositions pour contrôler l’épidémie. Le cœur de la solution était l’implication des acteurs de la communauté eux-mêmes et il fallait qu’ils travaillent en synergie avec les équipes de la riposte. Le transfert des connaissances est venu des expatriés, mais l’opérationnalisation était beaucoup plus assurée par les membres de la communauté elle-même et ceci a rapidement permis de contrôler l’épidémie. Avec toutes les mesures qui ont été prises, on peut dire aujourd’hui que le système de santé reprend des couleurs.
 

Aujourd’hui, quelles sont les séquelles de la maladie sur la Guinée, bien qu’elle ait été éradiquée ?

 
D’abord, l’épidémie a surpris un système de santé fragile et l’a fragilisé davantage. Il y a eu des décès massifs des personnels soignants, soit cent-quinze agents de santé en tout. C’est très énorme pour un pays où la densité des agents de santé par communauté est de 0,9 agents de santé pour 1000 habitants. Donc quand cent-quinze agents de santé perdent la vie, c’est encore très compliqué sur le plan de la prise en charge de la population. En plus de cela, vous comprendrez qu’au-delà de ces pertes en vies humaines, bon nombre des agents de santé qui ont survécu, étaient pris de peur, parce qu’il n’y avait pas les mesures adéquates de protection contre la maladie. Même si en milieu rural ou dans certaines communautés il y a eu des rumeurs que les agents de santé étaient complices de la propagation du virus, la réalité est qu’ils étaient aussi très exposés, donc beaucoup ont déserté leurs services ou ont réservé un paquet très minimum de services vis-à-vis des cas de maladies qui arrivaient, comme le paludisme, ou les maladies liées à la grossesse. Cela veut dire que le système de santé est beaucoup plus affaibli. Un autre impact à souligner, c’est aussi le côté infrastructures et équipements. Vu la nature dévastatrice de l’épidémie, il fallait déployer des efforts pour la stopper en priorité. Donc les services de routine comme les activités de vaccination, la lutte contre le paludisme, étaient réduits au minimum. Les équipements ou le financement des infrastructures avaient chuté parce qu’il fallait rediriger les fonds pour aider à stopper l’épidémie. Mais la crise a aussi fait que certains centres de santé ont fermé. Toutefois, il faut signaler qu’il y a eu aussi des déviations de certaines recommandations dans la prise en charge.
 

Y a-t-il eu quelque part des conséquences plutôt positives ?

Cette épidémie, en raison de la peur qu’elle a suscitée, a débouché sur l’adoption de mesures de prévention, parce qu’il y a eu des exigences dans ces structures de santé qui ont amené les infections à chuter de 10% chez les femmes qui ont subi une césarienne. Auparavant, 10% de ces femmes pouvaient avoir des infections dans les sites opératoires, mais pendant l’épidémie d’Ébola, cette proportion a chuté à 7%, et un peu après Ébola, ça a encore chuté à 5%. Donc, voici un impact positif de cette épidémie qu’il est important de souligner.
 

On se souvient d’une phrase du président de la République qui disait que si l’épidémie d’Ébola a été une surprise, elle a aussi été une opportunité pour la Guinée…

C’est une question qui est très importante et il faut qu’on en parle.
Je voudrais dire qu’effectivement cette épidémie n’a pas eu que des effets négatifs sur le pays. Il y a aussi eu des atouts et des acquis qui ont fortifié le système de santé guinéen, qui d’ailleurs à mon avis, doit lui permettre de faire face efficacement à toute future épidémie de même nature. Je ne suis pas en train d’expliquer ce que le président de la République a dit, c’est juste mon point de vue de chercheur en santé publique. En me basant sur les 5 principaux piliers du système de santé guinéen, je dirai que l’épidémie a aidé parce qu’elle a permis en 2016 et 2017 de recruter près de quatre mille agents de santé. Ceci a aidé à faire passer la densité des agents de santé de 0,9 à 1,4. Donc il y a eu une augmentation vers le minimum que l’OMS recommande, c'est-à-dire 2,6 agents de santé pour mille personnes. Et aussi le budget de l’État alloué à la Santé a été augmenté. Avant Ébola, c’était 3,6 % du budget de l’État qui était alloué à la santé, maintenant ce budget a été porté jusqu’à 8% et d’ailleurs, le salaire des personnels de santé engagés a connu une croissance de 70%. Donc ce sont des atouts pour le système de santé, au niveau des ressources humaines. Le troisième pilier, c’est le système d’information sanitaire. Aujourd’hui, il y a un projet en cours de développement, le DHIS en anglais qui veut dire « District Help Informatics System », qui sert à rassembler, à informatiser les informations de santé depuis les bases communautaires, les villages, les postes et les centres de santé. Et donc toutes les maladies sont entrées dans une base de données et vous savez que celles-ci sont très importantes pour la surveillance épidémiologique, mais aussi pour des recherches qui aident à informer les stratégies ou les interventions de santé pour l’amélioration des conditions de santé en Guinée. Ces atouts n’étaient pas là avant Ébola et grâce à la stratégie de renforcement du système de santé post-Ébola, ils sont à notre disposition aujourd’hui. Il faut aussi dire qu’il y a eu le développement de la capacité de recherche de plusieurs institutions de l’État, dont le centre de Maferinya. Il y a par exemple eu aussi la création de l’agence nationale de sécurité sanitaire pour la surveillance de ces épidémies et la riposte. Par ailleurs, l’hôpital Donka est en rénovation, le centre de recherche de Maferinya par exemple est en rénovation et dispose aujourd’hui d’un laboratoire avec des équipements de dernière génération qui permettent même de détecter désormais le virus d’Ébola. Sur le plan du leadership et de la gouvernance, il y a aujourd’hui un renforcement d’institutions au niveau central, tout comme au niveau périphérique. Au niveau central par exemple, nous avons la création de la direction nationale des ressources humaines au niveau du ministère de la santé. Ça n’existait pas avant. Au niveau périphérique, il y a des projets pilotes en cours aujourd’hui qui sont en train d’être testés pour aider le système de santé local à se prendre en charge. Il y a par exemple le plan national d’appui aux communes, qui consiste à décentraliser la gestion des ressources humaines. Nous avons malheureusement subi Ébola, mais dans la dynamique de lutte contre Ébola, nous avons eu de très grands atouts. Loin d’avoir un avis politique, moi, de mon point de vue de chercheur, voici ce que j’ai constaté comme atouts par rapport au système de santé.
 

Qu’en est-il, selon vous, des interventions de santé post-Ébola ?

Tout ce que j’ai cité comme atouts, c’est venu par des interventions. Quand je parle des recrutements, de l’augmentation du budget, des rénovations, ce sont des interventions qui, aujourd’hui, sont en train de renforcer le système de santé dans le contexte post-Ébola. Et je vais donc dire que cet impact est en train d’être mitigé parce qu’avec ces ressources humaines déployées, avec la stratégie de lutte qui a changé et qui a permis de continuer la sensibilisation des communautés, aujourd’hui, il y a une reprise progressive de l’utilisation des services de santé. Nous avons mené, par exemple, une étude à Guéckédou qui a montré que les visites des enfants de moins de cinq ans ont repris, même au-delà du niveau pré-Ébola en milieu rural et vous savez bien que Guéckédou a été l’épicentre de cette épidémie ; elle a été parmi les zones les plus frappés de la région, mais aussi parmi les préfectures caractérisées par les réticences communautaires.
 

Qu’en est-il de la prévention contre une éventuelle réapparition de l’épidémie d’Ébola en Guinée ?

 Comme je le disais, il y a maintenant des centres de prévention et de traitement des épidémies. Le traitement qui est aujourd’hui disponible selon les recherches scientifiques, aiderait donc à soigner des patients.
 

De votre point de vue de chercheur, le système de santé guinéen est-il prêt à faire face à des épidémies similaires ?

 
Je peux me permettre de dire qu’il y a suffisamment eu d’acquis qui permettent de croire que le système de santé guinéen est prêt à faire face – on ne le souhaite pas – à de futures épidémies. J’ai parlé du renforcement du système de santé à travers cinq piliers principaux parmi lesquels les ressources humaines, le financement, le leadership et la gouvernance