09/12/20

Les inégalités foncières s’aggravent en Afrique

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Les entreprises agroalimentaires ont une grande part de responsabilité dans les inégalités foncières en Afrique. Crédit image: Africa Renewal (CC BY-NC-SA 2.0)

Lecture rapide

  • Le phénomène d’accaparement des terres est en réalité 41 % plus grave que ce qui a jusque-là été rapporté
  • 10 % des gros propriétaires fonciers ont 60 % des terres et 50 % des petits propriétaires n’en ont que 3%
  • Le rapport prescrit de protéger les droits coutumiers, de reconnaître les droits fonciers des femmes, etc.

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Un rapport de l’International Land Coalition indique que l’inégalité liée aux terres  augmente dans la plupart des pays, dépassant de loin ce qui a été observé les années antérieures.

Le rapport qui a été présenté le 24 novembre 2020 souligne que ce phénomène d’accaparement des terres est en réalité 41 % plus important que ce qui a jusque-là été rapporté.

Selon le document rédigé à partir de 17 études menées en amont et qui a mobilisé 14 partenaires de la Land Inequality Initiative, les 10 % les plus riches de la population rurale contrôlent 60 % de la valeur des terres agricoles, tandis que les 50 % les plus pauvres de la population rurale se partagent en tout et pour tout 3 % de la valeur des terres.

Ces données correspondent aussi à celles de l’Afrique prise séparément. S’agissant du continent, Ward Anseeuw, chercheur au CIRAD[1] et coordinateur de ce rapport et de l’initiative Land Inequality, indique que « les 10 % des plus gros propriétaires fonciers occupent 60 % des terres agricoles et les 50 % des plus petits propriétaires n’en possèdent que 3%, ce qui équivaut à la moyenne mondiale ».

“Outre leurs effets directs sur l’agriculture de petite échelle, les inégalités foncières nuisent à la stabilité et au développement de sociétés durables et ont des répercussions sur presque tous les aspects de la vie”

Ward Anseeuw,  CIRAD

Le chercheur évoque l’exemple de la Tanzanie où, dit-il, les 108 investissements agricoles à grande échelle qui ont été récemment mis en œuvre contrôlent plus de terres que les deux millions d’entités agricoles les plus petites réunies.

Traditionnellement, les inégalités foncières se calculent à partir de recensements agricoles enregistrant la propriété et la superficie des exploitations par taille.

Or, dans cette étude, outre ces aspects, les experts ont utilisé une méthode qui prend en compte les informations relatives à la valeur des terres, la propriété multiple et la privation de terres, de même que le contrôle qu’une personne ou une entité exerce sur elles.

« Quand on prend en compte la valeur des terres, l’inégalité foncière en Afrique s’accroît de 54 %. Si la valeur des terres et les “sans-terres” sont considérés, cela s’accroît même de 74 %. Avec ces nouvelles données et méthodologies, l’Afrique n’est plus la moins inégalitaire mais dépasse l’Asie », précise Ward Anseeuw.

Menace pour la subsistance

D’après ce rapport intitulé « Uneven Ground: land inequality at the heart of unequal societies », l’accroissement des inégalités foncières représente une menace directe pour les moyens de subsistance d’environ 2,5 milliards de personnes dépendant de l’agriculture de petite échelle partout dans le monde.

« Les inégalités foncières sont également au cœur de nombreuses autres formes d’inégalités liées aux richesses, au pouvoir, au genre, à la santé et à l’environnement, et sont fondamentalement indissociables des crises qui frappent le monde d’aujourd’hui, à savoir le recul de la démocratie, le changement climatique, la sécurité sanitaire mondiale, les migrations de masse, le chômage et les injustices intergénérationnelles », indique Ward Anseeuw.

« Outre leurs effets directs sur l’agriculture de petite échelle, il est donc évident que les inégalités foncières nuisent aussi à la stabilité et au développement de sociétés durables, et ont des répercussions sur presque tous les aspects de la vie de tout un chacun », ajoute le chercheur.

Dans un entretien avec SciDev.Net, Xavier Zola, directeur de la Formation, du renforcement des capacités et de l’appui à la gestion foncière à l’‎Agence nationale du domaine et du foncier (ANDF) au Bénin, déclare que l’accroissement des inégalités foncières est la résultante de l’emprise croissante des grands groupes et des multinationales qui investissent dans la production agricole et dans le secteur agroalimentaire.

« L’extension de leur champ d’action se fait malheureusement au détriment des petits exploitants qui n’ont ni les moyens économiques ni les entrées politiques pour leur résister. De gré ou de force, les populations sont obligées de céder leurs terres à ces groupes qui continuent d’étendre leur empire », explique-t-il.

« Dans certains villages, les autochtones cèdent toutes leurs terres et se retrouvent comme des étrangers dans leurs propres localités et doivent recourir à des baux pour y habiter », ajoute l’expert béninois.

Actions

Tout en saluant l’initiative de ce rapport qui tire la sonnette d’alarme sur ce phénomène qui, selon lui ne fait pas l’objet de toute l’attention requise, Xavier Zola déclare que les inégalités foncières vont entraîner une « précarisation endémique d’une bonne partie de la population mondiale, accentuer les migrations et alimenter les conflits ».

Ward Anseeuw regrette le fait qu’en dépit de cela, les gouvernements des pays notamment ceux d’Afrique ne font actuellement presque rien pour limiter ou mettre fin à ce phénomène.

Au contraire, constate le chercheur, la plupart des pays africains favorisent les grandes acquisitions foncières, comme c’est le cas au Sénégal et en Tanzanie, cités dans le rapport.

Quoi qu’il en soit, le rapport recommande formule un certain nombre d’actions à l’endroit des Etats : investir pour un meilleur fonctionnement des registres fonciers, renforcer la transparence et le suivi des propriétés foncières, protéger les droits communs et coutumiers, reconnaître et protéger les droits fonciers des femmes, renforcer la réglementation foncière et démocratiser la gouvernance foncière…

Références

[1] Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement