09/09/21

Gabon : Quand les mariages propagent les maladies du manioc

Cassava mosaic
Symptômes de la mosaïque du manioc dans un champ en Tanzanie. Crédit image: rtb_cgiar (CC BY 2.0)

Lecture rapide

  • En quittant ses parents pour rejoindre son mari, la femme emporte des boutures souvent contaminées
  • La mosaïque du manioc peut causer jusqu’à 95% de pertes de récoltes
  • Des campagnes de sensibilisation des agriculteurs sur les maladies du manioc sont recommandées

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

[LIBREVILLE] Des chercheurs de l’université de Galway (Irlande) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) alertent l’opinion publique sur la propagation de la mosaïque du manioc (CMD), une maladie virale qui menace cette plante et qui pourrait avoir des conséquences sur la sécurité alimentaire au Gabon.

Selon l’étude qu’ils ont publiée fin juillet dans la revue Nature Communications, la propagation des maladies du manioc est favorisée par les échanges de boutures entre populations frontalières et l’utilisation ou la réutilisation des boutures infectées par les producteurs pour renouveler leurs champs. Ce mode est d’ailleurs le plus répandu, estiment les chercheurs.

“Cette virose se propage principalement par l’utilisation des boutures infectées. Et si rien n’est fait, les baisses de rendements vont accentuer le déficit et peuvent engendrer de véritables problèmes d’alimentation pour les populations”

Jacques Mavoungou,  programme WAVE, Gabon

D’après leurs explications, les agriculteurs échangent plus ou moins les boutures avec les villages voisins. Ces échanges sont fonction des réseaux d’interaction sociale qui se créent au travers des mariages.

« Lorsqu’une femme se marie, elle rejoint son mari dans le village de celui-ci. Dans les sociétés matrilinéaires, prédominantes au sud du Gabon, elles emmènent avec elles des variétés de manioc cultivées par leur mère dans leur village d’origine. On a donc un transfert de variétés du village de l’épouse vers celui de l’époux », explique Marc Delêtre, chercheur à l’université de Galway et co-auteur de l’étude.

« Dans les sociétés patrilinéaires, prédominantes dans le nord du pays, c’est la belle-mère qui donne à la jeune épouse les boutures de manioc qu’elle cultivera pour nourrir sa famille », ajoute le chercheur dans un entretien accordé à SciDev.Net.

A en croire les chercheurs, cette propagation du virus est également accentuée par la méconnaissance des symptômes de maladie par les producteurs et l’inexistence d’un système semencier fiable.

L’étude soutient que les virus responsables de la mosaïque du manioc peuvent « causer jusqu’à 95 % de pertes sur une récolte », avec un impact économique qui est estimé à 1,2 milliard voire 2,3 milliards de dollars chaque année.Une thèse confirmée par des chercheurs gabonais du programme WAVE (West and Central African Virus Epidemiology), soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates pour lutter contre la mosaïque du manioc et la striure brune du manioc.

« Effectivement, la filière manioc au Gabon, comme dans la sous-région, est menacée par les maladies qui détruisent les plantations. Les champs de manioc au Gabon sont aussi infectés comme le souligne l’article », confie à SciDev.Net Claude K. Gnacadja, membre de l’équipe de chercheurs de ce programme au Gabon.

Les chercheurs de Wave affirment avoir également mené une étude sur cette maladie et celle-ci a permis d’identifier la présence au Gabon des deux souches les plus répandues de la mosaïque (ACMV et EACMV) et les co-infections provoquées simultanément par les deux.

Cette étude qui a été menée au niveau de toutes les provinces du pays a confirmé la présence de la mosaïque du manioc ; répandue dans toutes les plantations avec une incidence et une sévérité élevées.

« Cette virose se propage principalement par l’utilisation des boutures infectées. Et si rien n’est fait, les baisses de rendements vont accentuer le déficit et peuvent engendrer de véritables problèmes d’alimentation pour les populations », met en garde l’équipe des chercheurs conduite par Jacques Mavoungou, directeur pays de WAVE au Gabon.

Culture stratégique

Le manioc est considéré comme une culture stratégique pour la relance du secteur agricole. Il procure à la fois des revenus aux petits producteurs et assure la sécurité alimentaire des populations.

A en croire le Rodrigue Mintsa Nguema, chercheur au programme Wave, le manioc est consommé par plus de 80% de la population.

« Environ 159 kg/habitant/an dans les années 2010, cette consommation est estimée de nos jours à plus de 180 kg/habitant/an », argumente-t-il.

Afin d‘éradiquer cette menace, Marc Delêtre recommande de mener des campagnes de sensibilisation des agriculteurs aux maladies du manioc pour leur permettre de les reconnaître et d’éviter les boutures infectées.Les autorités gabonaises soutiennent, quant à elles, que des initiatives sont en cours pour éviter les maladies du manioc.

Dans ce sens, le ministère en charge de l’Agriculture a lancé la mise en place d’environ 20 hectares de champs semenciers pour mettre à la disposition des producteurs d’ici 2022, des milliers de boutures saines dans les différentes provinces du pays, apprend-on.

Les chercheurs de Wave, pour leur part, annoncent qu’une étude est actuellement en train d’être menée pour la mise en place d’un laboratoire de culture in vitro. Ce laboratoire une fois opérationnel, devra accélérer la production du matériel sain à travers des techniques modernes.

En attendant, au-delà de son impact sur le rendement et l’économie gabonaise, « la mosaïque du manioc n’a pas d’effet sur la santé humaine », rassure Marc Delêtre.