19/12/25

La cigarette électronique est-elle vraiment sans danger pour le fumeur ?

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Des experts tirent la sonnette d'alarme par rapport au vapotage se répand rapidement au sein de la population en Afrique. Crédit image: Ecigclick.co.uk (CC BY-SA 2.0 )

Lecture rapide

  • • L’usage de la cigarette électronique tend à se répandre en Afrique, y compris parmi les jeunes
  • • Le vapotage est présenté comme inoffensif, mais il peut comporter des risques, à l’instar de l’addiction
  • • Les pays africains sont encouragés à adopter des lois interdisant ou encadrant strictement l’e-cigarette

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[DAKAR, LOME, NDJAMENA, YAOUNDE, SciDev.Net] Depuis environ un an, Constantin Danimbé, la vingtaine, consomme la cigarette électronique (e-cigarette). L’étudiant en communication à l’université de N’Djamena au Tchad explique que c’est la curiosité qui l’a poussé à essayer ce produit et aujourd’hui, il l’alterne avec des cigarettes classiques. Pour lui, l’e-cigarette est pratique, facile à dissimuler et l’aide à gérer le stress des examens.

Comme Constantin, Achta Mahamat, jeune commerçante dans une boutique de téléphonie mobile dans la ville de N’Djamena, est une adepte de la cigarette électronique. Elle affirme avoir été séduite par le goût fruité des liquides aromatisés et le côté pratique de l’appareil électronique.

Les cigarettes électroniques, encore connues sous l’appellation de vapoteuses, sont des appareils qui chauffent un liquide afin de créer un aérosol qui est inhalé par l’utilisateur, précise l’organisation mondiale de la santé (OMS).

“De nombreux pays africains ne disposent pas de politiques pour réglementer les cigarettes électroniques, laissant les jeunes vulnérables à la désinformation et à une exposition incontrôlée”

Deowan Mohee, Alliance pour le contrôle du tabac (ACTA)

Les e-cigarettes sont en pleine expansion dans de nombreux pays africains, soutiennent des organisations non gouvernementales (ONG). Au Sénégal, dans les rues de Dakar, dans les lieux publics et même dans les transports en commun, il est courant de croiser des adultes et même des adolescents avec leur vapoteuse.

« Avec la baisse de la consommation de la cigarette, l’industrie du tabac s’est acharnée à la création de nouveaux produits. On les appelle les nouveaux produits émergents. Et leur consommation se répand », explique Penda Camara Fall, présidente du conseil d’administration de la Ligue sénégalaise contre le Tabac (LISTAB).

Le dernier rapport de l’OMS sur l’évolution du tabagisme, publié le 6 octobre 2025, révèle en effet un recul du nombre de fumeurs (de cigarettes classiques) dans le monde.

La part des adultes consommant du tabac est passée de 26 % en 2010 à 19,5 % en 2023. En revanche, le rapport s’inquiète d’une hausse du nombre des utilisateurs de la cigarette électronique : plus de 100 millions de personnes dans le monde, dont 86 millions d’adultes, vapotent désormais.

La situation est « alarmante » chez les jeunes de 13 à 15 ans, avec près de 15 millions d’adolescentes et d’adolescents qui utilisent déjà des cigarettes électroniques, estime l’OMS.

En ce qui concerne le continent africain, très peu de données sur l’ampleur de ce phénomène sont disponibles, en raison d’une quasi-absence d’enquête sur la prévalence de l’utilisation de la cigarette électronique tant chez les adultes que chez les jeunes, indique le rapport.

Toutefois, Penda Camara Fall révèle qu’au Sénégal, « la moyenne d’âge des utilisateurs de vapoteuses dans les écoles serait de 7 ans et demi. »

Pour preuve, Cheikh Fall, proviseur dans un lycée privé de Dakar, déclare que les jeunes lycéens sont de plus en plus enclins à venir dans l’établissement et même dans les salles de classes avec des vapoteuses qu’ils se partagent.

Cette source, qui refuse de situer l’âge de ces jeunes fumeurs, soutient tout de même qu’il s’agit d’un phénomène très inquiétant. « Dans leurs sacs à dos, dans leurs proches ou même parfois dans des chaussures, ils cachent des vapoteuses et d’autres produits tabagiques », se désole-t-il.

Tactiques agressives

Cette hausse du vapotage chez les jeunes Africains s’explique par des tactiques agressives de l’industrie du tabac, déclare Deowan Mohee, expert de la lutte antitabac et consultant pour l’Alliance pour le contrôle du tabac (ACTA), un réseau d’organisations de la société civile (OSC) et d’organisations non gouvernementales qui se consacre à la prévention du tabagisme en Afrique.

« Ces produits sont commercialisés comme étant à la mode, modernes et même plus sains que les cigarettes traditionnelles », malgré leurs risques potentiels sur la santé et de leurs capacités addictives, affirme-t-il.

L’expert ajoute que leurs saveurs variées (de nombreux arômes, ndlr) et leur design élégant les rendent particulièrement attrayants pour les jeunes, tandis que les influenceurs sur les réseaux sociaux et les plateformes numériques amplifient leur portée sans véritable encadrement, dit-il.

Pour lui, l’industrie du tabac utilise des tactiques bien connues : marketing ciblé, emballages attrayants, arômes séduisants, et discours pseudo-scientifiques.

« Elle s’appuie sur des influenceurs, des campagnes numériques, et même des partenariats déguisés pour infiltrer les espaces jeunesse et médiatique. En Afrique, où les régulations sont parfois moins strictes, ces stratégies prennent une ampleur inquiétante », critique-t-il.

Des spécimens de cigarette électronique. Crédit photo : SDN/Kuessi Giraud Togbé

Abondant dans le même sens, Edem Kodjo Aokou, juriste, spécialisé en management des entreprises et gouvernance associative et membre de l’association Cercle des leaders de santé du Togo (CLS), relève que les réseaux sociaux sont utilisés pour faire des publicités déguisées des cigarettes électroniques, « notamment à travers des jeunes influenceurs qui en font la promotion. Certains font des vidéos live en train de vapoter) », soutient-il.

Aussi, l’industrie du tabac rivalise-t-elle d’ardeur pour créer des vapoteuses ou vapes de plus en plus petites en taille, se désole Stanislas Diédhiou, pneumologue en service à l’Hôpital régional de Saint-Louis au Sénégal. « Aujourd’hui, nous avons des vapes d’à peine 7 centimètres. Facile à transporter et encore plus facile à cacher, et bienvenue à l’addiction », confie le spécialiste.

Cet aspect discret des vapoteuses et les arômes sucrés sont des éléments qui attirent de plus en plus les utilisateurs.

« On veut tout le temps son moment de pause cigarette et aussi parce que j’ai des enfants. Donc je ne voulais pas les exposer à cette mauvaise habitude…Et puis quand tu fumes une cigarette classique, on sait que c’est toi. Quand tu entres dans une salle, ça sent mauvais, tu dégages une odeur désagréable », confie Alexis Lekodo, jeune fumeur qui a abandonné la cigarette classique pour l’e-cigarette.

Quasi-inexistence de réglementations

A en croire Deowan Mohee, l’industrie du tabac profite également d’une quasi-inexistence de réglementations spécifiques sur les cigarettes électroniques pour encourager la commercialisation de ces produits.

« De nombreux pays africains ne disposent pas de politiques pour réglementer les cigarettes électroniques, laissant les jeunes vulnérables à la désinformation et à une exposition incontrôlée », précise cet expert.

Selon ce dernier, l’industrie du tabac exploite ce vide, « positionnant l’Afrique comme un marché en pleine croissance pour ces produits nicotiniques. Il s’agit là d’un ciblage délibéré de nos jeunes et d’une menace pour l’avenir de notre continent », dénonce-t-il.

Au Tchad, par exemple, la loi de 2010 sur la lutte anti-tabac pose un cadre général qui englobe toutes les formes de tabac. Cette loi interdit, entre autres, de fumer dans les lieux publics, impose des images d’avertissement sanitaire sur les paquets de cigarettes et prévoit des taxes spécifiques.

Mais, précise Nenodji Mbaïro, coordinatrice du Programme national de lutte contre le tabac, l’alcool et la drogue au ministère de la Santé publique du Tchad, cette loi ne prévoit aucune disposition par rapport l’e-cigarette.

Cependant, poursuit-elle, « on pourra évoquer cette spécificité lors de la révision de loi qui est en cours. Mais pour le moment, la cigarette électronique entre dans les types de tabac », dit-elle à SciDev.Net.

Idem au Togo où plusieurs mesures anti-tabac prises, telles que la loi du 31decembre 2010 portant sur la production, la commercialisation et la consommation des cigarettes et d’autres produits du tabac, se concentrent uniquement sur le tabac et ses dérivés.

Substances chimiques

Les cigarettes électroniques sont souvent présentées comme une alternative moins toxique parce qu’elles ne contiennent ni goudron ni monoxyde de carbone, « mais cela ne veut pas dire qu’elles sont inoffensives », prévient Mahamat Brahim Dahab, secrétaire général du syndicat des médecins du Tchad.

« Les liquides contiennent des substances chimiques comme le formaldéhyde ou l’acroléine, connues pour irriter les voies respiratoires. La nicotine, quant à elle, entraîne une forte dépendance et perturbe le développement cérébral des plus jeunes, tout en banalisant l’acte de fumer », assure cette source.

Pour Stanislas Diedhiou, même si le risque de cancer associé à l’utilisation à long terme des vapoteuses, semble bien moindre que celui des cigarettes classiques, il est toujours présent et n’est pas à négliger.

Un avis partagé par la présidente du conseil d’administration de la LISTAB. « Les maladies causées par les nouveaux produits émergents sont les risques de pneumonie, les pathologies respiratoires, les risques cardiovasculaires, le cancer », liste Penda Camara Fall.

Abdoul-Aziz Kassé, cancérologue et médecin chef du Centre international de cancérologie de Dakar (CICD), explique que le phénomène cancéreux est un long processus qui, dit-il, peut prendre jusqu’à 25 ans.

« Tant que ces produits n’auront pas été étudiés pendant plus de 25 ans, sur plusieurs études, dans plusieurs endroits, sur plusieurs profils d’individus, il sera difficile de dire que ces nouveaux produits tabagiques ne sont pas cancérigènes », fait-il savoir.

Le cancérologue ajoute que « la cigarette électronique ne brûle pas le tabac. Elle transforme les dérivés que l’on met dans un gel en vapeur d’eau ».

La vapeur est, certes, différente de la fumée, « mais cette vapeur d’eau contient d’autres substances qui ont leur toxicité propre, parmi lesquelles bien sûr la nicotine, mais bien d’autres substances qui sont quand même dangereuses, telles que les nitrosamines. Les nitrosamines sont connues pour être cancérigènes », relève-t-il

« Vous comprenez qu’aucune forme d’utilisation du tabac ou de ses dérivés n’est dénuée de risque. Dès qu’une substance contient des goudrons, je dis « attention ». Quand une substance ne contient pas de goudrons, je dis « ouf », mais je reste vigilant. Pourquoi ? Parce que la cigarette électronique, c’est une solution dans laquelle on met de la nicotine, du polyéthylène glycol, et qui contient également des nitrosamines », conclut le spécialiste.

Dépendance à la nicotine

Nenodji Mbaïro, martèle également que l’apparente modernité des cigarettes électroniques ne doit pas masquer les risques qu’elles présentent pour la santé.

« Beaucoup de jeunes pensent qu’il ne s’agit pas de tabac simplement parce que l’appareil est électronique. Mais la dépendance à la nicotine, elle, est bien réelle… Nous voyons apparaître une nouvelle forme d’addiction, plus sournoise, car socialement mieux acceptée », affirme-t-elle.

Cet argument est partagé par N’takinawe Kondoh, assistant médical de santé publique et chargé de suivi évaluation au Programme national des addictions aux produits psychoactifs (PNAPP) au Togo.

A l’en croire, la nicotine, contenue dans les e-cigarettes, est « une substance qui crée une dépendance rapide, altère le développement cérébral chez les adolescents et favorise la consommation future de cigarettes traditionnelles et autres produits psychotropes », dit-il.

Argument soutenu par le consultant pour l’ACTA qui rappelle que « les produits chimiques des e-cigarettes entretiennent la dépendance, normalisent l’acte de fumer, et servent de passerelle vers le tabac classique, notamment chez les jeunes ».

Le médecin chef du Centre international de cancérologie de Dakar révèle que dans son centre de cancérologie, il voit défiler des patients de plus en plus jeunes.

« Les cancers de la sphère ORL étaient des cancers chez des sujets de 50-60 ans. Maintenant, nous rencontrons des malades de 30-35 ans. Donc, cela veut dire qu’ils ont commencé à fumer ou sont exposés à la fumée du tabac depuis l’âge de 10 ou 15 ans », confie-t-il à SciDev.Net.

Sevrage tabagique

En dépit des avertissements des professionnels de la santé et des organisations de lutte contre le tabac et ses dérivés concernant la dangerosité du vapotage, des études soutiennent pourtant que les cigarettes électroniques aideraient au sevrage tabagique.

C’est le cas de l’étude sur l’efficacité de l’e-cigarette pour arrêter de fumer publiée par l’Institut britannique Cochrane, un réseau de chercheurs et professionnels de santé… dont la mission est de produire des données probantes accessibles et fiables, et qui plaide en faveur de leur utilisation afin de permettre une santé meilleure et plus équitable pour tout le monde.

L’étude, lancée en 2014, est une compilation et une analyse de nombreuses études (90 au total) portant sur l’utilisation des cigarettes électroniques pour arrêter de fumer, menées sur près de 30 000 fumeurs. Ces études comparent les cigarettes électroniques à nicotine avec, entre autres, les substituts nicotiniques, tels que les patchs ou les gommes à mâcher ; les cigarettes électroniques sans nicotine…

La dernière version de l’étude, publiée en janvier 2025, a montré que « pour les personnes qui fument, les cigarettes électroniques à la nicotine peuvent les aider à arrêter de fumer. Depuis le début de l’étude, les preuves démontrant l’efficacité des cigarettes électroniques à la nicotine comme moyen de sevrage tabagique se sont considérablement accrues », déclare Nicola Lindson, coauteure de l’étude, interrogée par SciDev.Net.

A l’en croire, les chercheurs ont trouvé des preuves très fiables, indiquant que les cigarettes électroniques à la nicotine aident davantage de personnes à arrêter de fumer pendant au moins six mois que les substituts nicotiniques (qui comprennent notamment les patchs, les gommes, les pastilles et les sprays nasaux à la nicotine).

« Ceci est important car nous disposons déjà de preuves très claires, recueillies sur une longue période, indiquant que les substituts nicotiniques constituent une aide efficace pour arrêter de fumer. Les cigarettes électroniques à la nicotine ne semblent pas être associées à des effets indésirables graves à court terme », soutient-elle.

Cependant, « d’autres études sont nécessaires pour évaluer l’utilisation des cigarettes électroniques sur une plus longue période, afin de jauger leur innocuité à long terme », précise la chercheure.

Mahamat Brahim Dahab affirme que l’e-cigarette peut effectivement être « un outil de sevrage pour les fumeurs invétérés, mais sous encadrement médical », insiste-t-il.

Cible privilégiée

Nicola Lindson insiste toutefois sur le fait que les taux de tabagisme en Afrique subsaharienne varient considérablement d’un pays à l’autre, avec des niveaux très faibles dans certaines régions.

Selon ses explications, lorsque les taux de tabagisme sont extrêmement bas, le rôle des cigarettes électroniques à la nicotine n’est pas clair, à moins qu’il n’existe des preuves suggérant une augmentation de la prévalence du tabagisme.

« Notre étude se concentre spécifiquement sur les personnes qui utilisent des cigarettes électroniques à la nicotine pour arrêter de fumer. Nos mesures de sécurité concernent donc les personnes qui ont fumé. Notre étude ne peut rien dire sur la sécurité des cigarettes électroniques chez les personnes qui n’ont jamais fumé », clarifie-t-elle.

« Elle ne doit donc pas être utilisée pour justifier la disponibilité et l’utilisation des cigarettes électroniques à la nicotine dans les pays où le tabagisme combustible n’est pas un problème », prévient la chercheure.

Certes, l’Afrique affiche encore des taux de tabagisme relativement faibles, c’est précisément ce qui en fait une cible privilégiée pour l’industrie du tabac, en quête de nouveaux marchés, répond pour sa part Deowan Mohee.

« Face à la dénonciation croissante des méfaits des cigarettes classiques, l’industrie a dû se réinventer. Elle a donc lancé des produits dits “innovants” tous présentés comme “moins nocifs”. Mais cette notion de “moindre nocivité” est profondément trompeuse », tranche l’expert.

Il poursuit en indiquant que « moins de poison reste du poison. Le corps humain n’est pas conçu pour inhaler des substances chimiques, même en quantité réduite », soutient-il, ajoutant que la cigarette électronique ne saurait être une solution miracle pour arrêter de fumer. « Elle peut renforcer la dépendance à la nicotine et mener à une double consommation », assure-t-il.

C’est le cas de Achta Mahamat qui a adopté la cigarette électronique pour arrêter le tabac classique. Selon son témoignage, elle fume moins qu’avant, mais avoue avoir du mal à se passer de la nicotine.

Législation forte

Pour lutter contre la consommation de la cigarette électronique et éviter qu’elle ne prenne des proportions inquiétantes sur le continent, Deowan Mohee affirme que la meilleure réponse « est une législation forte, une régulation stricte, et une mise en œuvre rigoureuse ».

« Nous encourageons les États africains à adopter des lois qui interdisent purement et simplement les cigarettes électroniques, ou à défaut, qui les encadrent de manière stricte. Ces produits, bien que souvent commercialisés comme moins nocifs, entretiennent la dépendance à la nicotine et servent de passerelle vers le tabac classique, en particulier chez les jeunes », argumente-t-il.

L’expert cite en exemple des pays comme l’Ouganda, la Gambie, Maurice et le Sénégal qui ont déjà franchi le pas en interdisant les cigarettes électroniques… « Ces avancées montrent qu’un engagement politique fort est possible et qu’il peut porter ses fruits », dit-il.

Dans son rapport sur l’évolution du tabagisme dans le monde, l’OMS encourage les Etats à réglementer les nouveaux produits à base de nicotine, comme les cigarettes électroniques.

Outre la règlementation, Nenodji Mbaïro estime qu’il faut aussi un changement de mentalité et un engagement de la société civile afin de déconstruire le mythe de la cigarette électronique comme produit inoffensif.