Par: Roger Kpeteka et Ruth Douglas
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[DAKAR, LONDRES, SciDev.Net] Pour faire face à une épidémie silencieuse de fièvre de la vallée du Rift qui sévit dans le pays depuis septembre 2025, le Sénégal a déclenché une riposte nationale coordonnée qui mobilise les ministères de la Santé, de l’Agriculture et de l’Environnement et de l’hydraulique.
L’information a été communiquée le lundi, 20 octobre, 2025, au cours d’une conférence de presse du ministre de la Santé et de l’hygiène publique, Ibrahima Sy. Ce dernier a justifié cette approche en indiquant que « c’est une maladie qui est à la croisée de la santé humaine, de la santé animale et de la santé environnementale. Ce qui exige une réponse coordonnée et collective. »
Ainsi, dit-il, « le gouvernement a mis en place une riposte multisectorielle coordonnée à l’échelle nationale et régionale. Des mesures fortes ont été prises, parmi lesquelles l’activation des comités de gestion d’épidémie à tous les niveaux, la prise en charge des malades, la vaccination du bétail et la lutte antivectorielle. »
“Nous demandons à la population d’être vigilante. En cas de signes ou de symptômes évocateurs, il faut se rendre rapidement chez un médecin. Nous déconseillons fortement l’automédication, car certains médicaments, notamment des anti-inflammatoires vendus dans les marchés, peuvent aggraver la situation”
Boly Diop, Système de gestion de l’incident national (SGI)
Le ministre rappelle également que la lutte contre les moustiques a été intensifiée dans les zones à risque, notamment par la localisation et la destruction des sites de reproduction, l’utilisation de moustiquaires imprégnées et le recours à des drones pour identifier les points d’eau stagnante.
« Nous avons aussi mis en œuvre une communication de proximité en langues locales pour informer et sensibiliser les populations dans les marchés, les villages et les zones d’élevage. Ces efforts conjugués ont permis de ralentir la progression de l’épidémie, mais la vigilance doit rester de mise », a ajouté Ibrahima Sy.
Sur le terrain, les foyers les plus actifs de l’épidémie se trouvent dans les régions de Saint-Louis, Matam, Louga, Thiès et Tambacounda, où les autorités ont renforcé le dispositif de surveillance.
Selon les données actualisées du ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, au 20 octobre 2025, 1 657 prélèvements avaient été effectués, pour 258 cas confirmés dont 27 cas simples suivis à domicile, 4 hospitalisations, 192 guérisons et 21 décès.
Chez les animaux, 57 cas ont été confirmés, dont 42 à Saint-Louis, 11 à Louga, 2 à Matam et 2 à Tambacounda. En parallèle, 230 avortements ont été notifiés chez les petits ruminants, et 14 245 bêtes ont déjà été vaccinées
Boly Diop, responsable du Système de gestion de l’incident national (SGI) et coordonnateur de la réponse opérationnelle, fait savoir que des groupes thématiques sur les zoonoses ont été constitués avec des experts sénégalais spécialisés dans les maladies animales transmissibles à l’homme.
« Ces groupes permettent d’échanger et de prendre des décisions importantes. Si elles sont appliquées, elles peuvent permettre de lutter efficacement contre les maladies zoonotiques », dit-elle.
Automédication
Les autorités sanitaires estiment que les efforts conjugués des ministères et des équipes techniques ont permis de ralentir la progression de l’épidémie, notamment grâce à la détection rapide des cas et à la prise en charge précoce des formes graves.
Seulement, Boly Diop met en garde contre les comportements à risque et l’automédication qui, selon ses déclarations, ont aggravé plusieurs cas.
« Nous demandons à la population d’être vigilante. En cas de signes ou de symptômes évocateurs, il faut se rendre rapidement chez un médecin. Nous déconseillons fortement l’automédication, car certains médicaments, notamment des anti-inflammatoires vendus dans les marchés, peuvent aggraver la situation », dit-il.
En effet, des enquêtes menées par les équipes du SGI dans le nord du pays ont révélé que plusieurs décès étaient liés à des retards de consultation ou à des complications de l’automédication.
« Certains sont morts d’hémorragies, d’autres de défaillances organiques. Les constatations montrent que plusieurs patients sont arrivés trop tard à l’hôpital. Cela confirme encore une fois que l’automédication fait partie des causes principales de l’aggravation de la forme virale de la maladie », indique Boly Diop.
Pour le ministre Ibrahima Sy, la compréhension du mode de transmission de la maladie est essentielle pour éviter la panique.
« Elle se transmet principalement par des moustiques et, dans certains cas, par le contact direct avec des animaux infectés. À ce titre, il est important de préciser que nous ne sommes pas en présence d’une maladie à transmission interhumaine », dit-il.
Pas de vaccin pour les humains
Et Boly Diop de marteler : « Il n’existe pas de vaccin pour les humains, mais il en existe pour les animaux, d’où l’importance de la prévention »,.
« Parmi ces vaccins destinés aux animaux, certains sont disponibles depuis longtemps au Sénégal. Maintenant qu’il y a une épidémie, des vaccinations ciblées seront menées dans certaines zones », indique Mawlouth Diallo, entomologiste à l’Institut Pasteur de Dakar (IPD).
Selon les explications de ce dernier, ces zones prioritaires comprennent les couloirs de transhumance, les marchés à bétail et les points d’eau, identifiés comme zones à risque majeur.
En outre, le déploiement d’une unité de laboratoire mobile à Kaolack facilite les analyses de proximité et permet d’appuyer les équipes régionales dans le diagnostic.
Lors d’une consultation scientifique sur cette maladie organisée le 14 octobre par l’Agence britannique de sécurité sanitaire, en collaboration avec des institutions sanitaires mondiales et africaines, des experts ont déclaré qu’il était urgent de disposer d’un plus grand nombre de tests de diagnostic pour combattre plus efficacement la maladie.
Emmanuel Agogo, directeur du programme de lutte contre les menaces pandémiques de FIND, une organisation à but non lucratif dont l’objectif est de stimuler l’innovation en matière de diagnostic, a notamment indiqué que l’analyse des données effectuée par l’organisation sur la disponibilité des tests de diagnostic commerciaux pour la FVR avait révélé « d’énormes lacunes dans les tests de diagnostic sur le lieu de soins ».
Les tests PCR, qui nécessitent que les échantillons soient analysés en laboratoire, sont actuellement utilisés pour diagnostiquer les cas suspects au Sénégal et ailleurs. Sauf que, dit-il, « dans l’ensemble, les tests disponibles sur le marché sont très limités… »
Surveillance génomique
Pour ne rien arranger, les tests de flux latéral et les tests antigéniques, qui donnent des résultats sans nécessiter d’équipements de laboratoire spécialisés, font défaut, a affirmé Emmanuel Agogo.
« Nous disposons d’un certain nombre de tests mis au point en laboratoire, mais lorsqu’il s’agit de tests de flux latéral ou de tests antigéniques, il n’y a pratiquement rien », a-t-il souligné lors de la réunion. Ajoutant qu’aucun test n’est en cours de développement.
Dès lors, pour Moussa Diagne, chercheur en virologie à l’IPD, « il est important de poursuivre la surveillance génomique. C’est la clé de la mise à jour des tests, et c’est ce que nous avons fait pour cette épidémie à l’IPD, afin de nous assurer que nous sommes à jour en termes de sensibilité et de spécificité ».
L’autre grand défi de cette lutte contre la FVR consiste à assurer la sécurité des vétérinaires et à veiller à ce que des conditions strictes de biosécurité soient respectées afin d’empêcher la propagation de la maladie.
A ce propos, le Sénégal pourrait s’inspirer de l’expérience de l’Ouganda où des chercheurs ont mis au point des « laboratoires mobiles » dotés d’une « boîte à gants » spécialement conçue pour améliorer la biosécurité.
A en croire Stephen Balinandi, chercheur à l’Institut ougandais de recherche sur les virus, « c’est une petite boîte qui peut fournir un environnement sûr, qui ne nécessite pas beaucoup de formation et qui, en fait, ne nécessite pas beaucoup d’équipement de protection individuelle (EPI) ».