17/11/25

Paludisme : Le Cameroun confronté à l’inefficacité des moustiquaires

Mosquito net
Les moustiques sont de plus en plus résistants aux insecticides dont sont imprégnées les moustiquaires. Crédit image: Wonderlane (CC BY 2.0 )

Lecture rapide

  • Les moustiques exposés aux moustiquaires imprégnées affichent un taux de mortalité situé entre 0 et 17%
  • Selon les experts, cette situation est susceptible d’entraîner de nouveaux foyers épidémiques
  • Les acteurs de la lutte contre le paludisme sont face à l’urgence de trouver des moustiquaires plus adaptées

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[YAOUNDÉ, SciDev.Net] Une étude publiée en septembre 2025 dans le Malaria Journal, révélant une « forte » résistance des moustiques aux moustiquaires imprégnées d’insecticide au Cameroun, devrait alerter les chercheurs sur l’ampleur du problème du paludisme en Afrique.

Les moustiques sont devenus très résistants aux moustiquaires imprégnées d’insecticide classiques, une réalité qui pourrait anéantir des années de progrès dans la lutte contre l’un des plus grands défis de santé publique sur le continent.

Les moustiquaires constituent un élément essentiel de la lutte contre le paludisme en Afrique, qui représente environ 94 % des cas et 95 % des décès dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). La région Afrique de l’OMS ayant enregistré 246 millions de cas et 569 000 décès en 2023.

“Si nous ne remplaçons pas ces moustiquaires en temps voulu, nous serons sans aucun doute confrontés à une résurgence du paludisme dans les années à venir, ce qui entraînera des millions de nouveaux cas et une augmentation des décès”

Charles Wondji, École de médecine tropicale de Liverpool (Angleterre)

Des chercheurs du Centre de recherche sur les maladies infectieuses (CRID), à Yaoundé, la capitale du Cameroun, et de l’Université de Yaoundé 1 ont souhaité évaluer l’ampleur de cette résistance au Cameroun, pays qui enregistre l’un des taux d’infection et de mortalité liés au paludisme les plus élevés. D’après le Rapport mondial sur le paludisme de l’OMS, on a dénombré 7,3 millions de cas et 11 600 décès au Cameroun en 2023.

L’étude, menée de 2020 à 2021, montre que la plupart des moustiques sont désormais capables de survivre à l’exposition aux pesticides pyréthroïdes conçus pour les éliminer.

Des chercheurs ont étudié les populations de moustiques à travers le Cameroun et ont constaté que les taux de mortalité variaient de 0 à 17 % lorsque les insectes étaient exposés à des moustiquaires imprégnées uniquement de pyréthroïdes.

« Nous avons utilisé le protocole de bioessai de sensibilité de l’OMS pour évaluer et quantifier le niveau de résistance des moustiques », confie à SciDev.Net Charles Wondji, auteur principal de l’étude et professeur de génétique et de biologie vectorielle à l’École de médecine tropicale de Liverpool en Angleterre.

« Nous avons d’abord utilisé la dose diagnostique standard d’insecticide, appelée 1x, censée éliminer 100 % d’une population de moustiques sensibles. Or, nous avons constaté que cette dose ne tuait que moins de 20 % des moustiques sur certains sites d’étude », a-t-il déclaré.

Les chercheurs ont alors testé une dose beaucoup plus forte du produit chimique, et les résultats ont été encore plus alarmants.

« À peine 10 % des moustiques ont survécu à cette dose », indique Charles Wondji qui est par ailleurs directeur exécutif du CRID. Il précise au passage que l’OMS considère cela comme une « résistance de forte intensité ».

Alarme

Wilfred Mbacham, professeur de biotechnologie de santé publique au Cameroun, qui n’a pas participé à l’étude, a averti que ces résultats sonnent comme une alarme pour la lutte contre le paludisme en Afrique.

Interrogé par SciDev.Net, il déclare qu’une telle résistance pourrait « se propager dans la région en quelques années et plus largement sur le continent en quelques années ou décennies ».

Une perte rapide d’efficacité des moustiquaires imprégnées uniquement de pyréthroïdes « se traduit par une augmentation de la survie des vecteurs qui piquent les personnes dormant sous ces moustiquaires », ajoute-t-il.

L’inefficacité des moustiquaires, explique Wilfred Mbacham, pourrait entraîner des « foyers de paludisme à risque accru » et exercer une pression opérationnelle considérable sur les programmes nationaux de lutte, qui doivent désormais se tourner d’urgence vers des interventions alternatives pour éviter une crise continentale.

Charles Wondji et Hervé Tazokong co-auteur de l’étude, partagent cet avis et soulignent que cette résistance pourrait entraîner une augmentation des cas de paludisme, avec des répercussions directes et indirectes sur la croissance économique, l’assiduité au travail, la productivité des travailleurs et les coûts médicaux.

« Si nous ne remplaçons pas ces moustiquaires en temps voulu, nous serons sans aucun doute confrontés à une résurgence du paludisme dans les années à venir, ce qui entraînera des millions de nouveaux cas et une augmentation des décès », prévient Charles Wondji.

Les chercheurs n’ont pas établi de lien clair entre la résistance des moustiques aux moustiquaires imprégnées et la propagation du paludisme.

Conséquences épidémiologiques

Cependant, Wilfred Mbacham met en garde contre toute forme d’illusion face à l’absence d’un tel lien, affirmant que « le risque d’échec des mesures de contrôle est indépendant du taux d’infection immédiatement observé ». Le danger fondamental, dit-il, réside dans la perte de la fonction première des moustiquaires : tuer les moustiques.

« Si les moustiquaires cessent de tuer les moustiques, des conséquences épidémiologiques s’ensuivent souvent, parfois avec un certain délai, parfois sous forme de foyers épidémiques localisés », explique-t-il.

Les chercheurs recommandent aux responsables de la santé publique en Afrique d’abandonner les moustiquaires classiques et d’adopter de nouveaux outils tels que les moustiquaires à base de butoxyde de pipéronyle (PBO) afin de garder une longueur d’avance dans la lutte contre la résistance.

Cependant, Charles Wondji indique que de plus en plus de preuves montrent que les moustiques développent également une résistance aux moustiquaires imprégnées de PBO. Ce fut le cas en Ouganda, où les moustiques ont développé une résistance aux moustiquaires seulement trois ans après leur introduction.

Au Cameroun, le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) a déjà pris des mesures pour ralentir la propagation de la résistance du moustique anophèle aux moustiquaires imprégnées.

« Les moustiques réagissent différemment aux diverses classes d’insecticides : certains peuvent les tuer, tandis que d’autres sont inefficaces en raison de la résistance qu’ils développent », fait savoir Raymond Tabue, entomologiste médical et haut responsable du Programme national de lutte contre le paludisme.

Il rappelle que des moustiquaires imprégnées uniquement de pyréthroïdes avaient été utilisées lors des campagnes de distribution massive de 2011 et 2015 et que, bien qu’elles étaient initialement efficaces, une résistance s’était finalement installée.

Nouveaux produits chimiques

En 2019, des moustiquaires traitées avec des produits chimiques différents ont été introduites dans certaines régions, mais, regrette-t-il, « nous avons constaté que les populations de moustiques continuaient de développer une résistance, même à ces nouveaux produits chimiques ».

A en croire cette même source, en 2022, trois types de moustiquaires ont été déployés dans tout le pays, dont des moustiquaires de nouvelle génération comme l’Interceptor G2, selon M.

Raymond Tabue ajoute qu’une autre campagne nationale serait lancée plus tard cette année pour distribuer des moustiquaires de « nouvelle génération » combinant des insecticides pyréthroïdes et chlorfénapyr.

Selon l’OMS, des essais cliniques et des études pilotes ont démontré que les moustiquaires à double insecticide amélioraient la lutte contre le paludisme de 20 à 50 % par rapport aux moustiquaires standard imprégnées uniquement de pyréthroïdes.

« La stratégie que nous appliquons actuellement consiste donc à éviter l’utilisation d’un seul type d’insecticide », conclut Raymond Tabue.