21/02/17

Les villes d’Afrique jugées surpeuplées, déconnectées et chères

Lagos
Une vue de la ville de Lagos (Nigeria) Crédit image: Flickr / Juju Films

Lecture rapide

  • Des experts de la Banque mondiale ont passé au peigne fin l’urbanisation de l’Afrique
  • Nos villes se sont surpeuplées et ne facilitent pas le développement des affaires
  • Il est recommandé aux autorités de régler le problème foncier et d’investir tôt

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"Ouvrir les villes africaines au monde", tel est le titre quelque peu directif du tout dernier rapport que la Banque mondiale vient de produire sur les villes d’Afrique subsaharienne.
 
Parue le 9 février dernier à Washington, cette étude a porté sur l’analyse de quelques 64 agglomérations de plus de 800 000 habitants réparties dans une trentaine de pays du continent.
 
Ce travail débouche sur un diagnostic sans complaisance selon lequel "les villes africaines sont surpeuplées, déconnectées et coûteuses".

“Les dirigeants et responsables publics africains doivent s’attacher en priorité à investir tôt et de manière coordonnée dans les infrastructures. Faute de quoi, les villes d’Afrique resteront des villes "locales"”

Somik Lall
Spécialiste du développement urbain, Banque mondiale

Au sens de cette étude, la surpopulation dont il est question ici se réfère à l’"entassement" des populations dans des maisons souvent "rudimentaires" au centre-ville pour être proches de leurs lieux de travail.
 
Ainsi, peut-on lire dans ce document : "à Dar es Salam (Tanzanie), 28 % des résidents vivent à trois au moins dans une seule pièce, tandis qu’à Abidjan (Côte d’Ivoire), ils sont 50 % à vivre dans ces conditions. À Lagos, au Nigéria, deux personnes sur trois habitent dans des bidonvilles".
 
Une surpopulation que les auteurs de l’étude mettent sur le compte "de l’absence de logements formels planifiés à proximité des emplois et des services."
 
En effet, les auteurs du rapport trouvent que l’urbanisation de la population ne s’est pas accompagnée d’une urbanisation des capitaux. En conséquence, le logement et les autres infrastructures font défaut.
 
Pire, l’on apprend que "sur l’ensemble du continent, l’investissement dans l’immobilier urbain a neuf ans de retard".
 
En outre, les cités du continent sont perçues comme étant déconnectées "en ce sens qu’elles sont caractérisées par une dispersion spatiale".
 
"Sans routes adéquates ni transports en commun, les trajets pour se rendre au travail sont longs et coûteux, ce qui empêche les travailleurs d’accéder aux emplois répartis dans l’ensemble de l’agglomération urbaine", écrivent les auteurs du rapport.
 
Pour ces chercheurs, cette absence de connexion entre les quartiers des villes africaines a pour conséquences leur plus faible exposition et une plus forte fragmentation de leurs populations.
 
Et ils expliquent : "La faible exposition aboutit au fait que les individus sont déconnectés les uns des autres. À une distance donnée (généralement 10 km), ils ne peuvent pas interagir avec autant de personnes que dans une ville caractérisée par une exposition plus élevée".
 

Fragmentation

 
Quant à elle, "la fragmentation élevée signifie que dans une zone donnée, la variation de la densité de population est importante : ses pics sont dispersés et non groupés d’une manière qui pourrait favoriser les économies d’échelle."
 
Car, peut-on lire, "la fragmentation accroît les coûts des infrastructures tout en allongeant les temps de déplacement entre le domicile, le lieu de travail et le site de l’entreprise".
 
Ede Ijjasz-Vasquez, directeur principal du pôle Développement social, urbain et rural, et résilience de la Banque mondiale, se veut plus précis sur les inconvénients d’un tel phénomène.
 
"La fragmentation du développement urbain en Afrique, qui est 20 % supérieure à celle observée en Asie ou en Amérique latine, porte préjudice à la productivité et aux conditions de vie dans les villes", estime-t-il.
 
A en croire le rapport, c’est d’ailleurs ce niveau élevé de leur fragmentation qui rend les villes de l’Afrique subsaharienne plus coûteuses que celles des autres parties du monde.
 
Car, peut-on lire, "des densités spatiales supérieures semblent réduire les coûts. L’indice de Puga montre ainsi qu’une réduction de 1 % de la fragmentation spatiale est associée à une réduction de 12 % des coûts urbains".
 
Concrètement, les coûts en question se ressentent aussi bien sur le loyer que sur les denrées alimentaires et sur les autres biens et services échangés dans ces villes.
 
Mais, ils affectent aussi les entreprises et leurs performances : "le coût de la vie élevé pèse non seulement sur les ménages, mais également sur les entreprises qui doivent verser des salaires supérieurs dans les villes, car le coût de la vie y est élevé", peut-on lire.
 

Fermées au commerce

 
Ainsi, "les entreprises manufacturières établies dans les villes africaines versent des salaires nominaux plus élevés que les entreprises urbaines d’autres pays ayant des niveaux de développement comparables".
 
A titre d’exemple, le rapport établit que les coûts de main-d’œuvre unitaires sont trois fois plus élevés à Djibouti (Djibouti) qu’à Mumbai (Inde) et 20 % plus élevés à Dar es Salaam (Tanzanie) qu’à Dhaka (Bangladesh).
 
Pour ne rien arranger, la Banque mondiale trouve que les villes d’Afrique sont "fermées au commerce et hors service" du fait que ces caractéristiques ne favorisent pas la compétitivité des entreprises condamnées, dès lors, à n’alimenter que des activités d’envergure locale, non échangeables.
 
Or, "les villes d’Afrique doivent développer une activité exportatrice compétitive sur les marchés internationaux pour offrir un environnement propice aux affaires", indique Somik Lall, économiste principal à la Banque mondiale spécialisé dans le développement urbain et un  des auteurs du rapport.
 
Le tableau de l’urbanisation de l’Afrique est encore plus sombre quand on le rapproche beaucoup plus près de la situation qui a prévalu dans les autres parties du monde au même stade de leur évolution.
 
Ainsi, les investissements sont restés relativement faibles sur le continent au cours des quatre dernières décennies, à seulement 20 % environ du produit intérieur brut (PIB). Alors qu’en comparaison, les pays urbanisés d’Asie de l’Est, tels que la Chine, le Japon et la République de Corée, ont augmenté leurs investissements pendant les périodes d’urbanisation rapide.
 
"Entre 1980 et 2011, remarque l’étude, les dépenses d’investissement en Chine (infrastructures, logements et immobilier de bureau) sont passées de 35 à 48 % du PIB, tandis que la population urbaine augmentait de 18 à 52 % entre 1978 et 2012. Dans l’ensemble de la région est-asiatique, les dépenses d’investissement sont restées au-dessus de 40 % du PIB à la fin de cette période".
 

Solutions

 
Pour les experts de la Banque mondiale, ces indicateurs prouvent que l’Afrique s’urbanise tout en demeurant pauvre.
 
Illustration : en 1968, lorsque les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont atteint un taux d’urbanisation de 40 %, leur PIB par habitant était de 1 800 dollars. Et en 1994, les pays de l’Asie de l’Est et du Pacifique ont dépassé ce même seuil d’urbanisation avec un PIB par habitant s’élevant à 3600 dollars.
 
"En revanche, l’Afrique a aujourd’hui un PIB par habitant de 1 000 dollars seulement, avec un taux d’urbanisation de 40 %", regrette le rapport.
 
Au final, dans le communiqué de presse que la Banque mondiale a publié à l’occasion de la sortie de ce rapport, deux priorités s’imposent désormais à l’Afrique comme solutions pour sortir de ce "mode de croissance qui entrave le développement économique".
 
D’une part, il est question de régulariser les marchés fonciers, de clarifier les droits de propriété et d’instituer des politiques efficaces d’aménagement urbain.
 
"L’Afrique doit renforcer les institutions qui régissent les marchés fonciers et coordonner l’aménagement du territoire et la planification des infrastructures", précise Ede Ijjasz-Vasquez.
 
D’autre part, il s'agit d'investir tôt et de manière coordonnée dans les infrastructures, "afin de relier ensemble tous les éléments du développement urbain : résidentiel, commercial et industriel.
 
Somik Lall précise : "les dirigeants et responsables publics africains doivent s’attacher en priorité à investir tôt et de manière coordonnée dans les infrastructures. Faute de quoi, les villes d’Afrique resteront des villes “locales”".
 
En un mot, "la clé de la transformation des économies africaines réside dans un développement urbain mieux maîtrisé", proclame Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique.

Références

Le rapport entier de la Banque mondiale sur les villes africaines en anglais est téléchargeable ici.
Mais, son résumé est également disponible en français et en anglais