24/04/17

Q&R : L’enfant dans la recherche et l’information sur le VIH

VIH
Crédit image: Flickr / ACN

Lecture rapide

  • Un groupe de plus de 300 enfants vivant avec le VIH ont été suivis pendant trois ans
  • Il y a encore du travail à faire en termes d’information de l’enfant sur son statut
  • Plus tôt un enfant est conscient de son statut, mieux il sera autonome en grandissant

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Dans le cadre d'une cohorte VIH (virus de l’immunodéficience humaine) organisée à Dakar (Sénégal) et ses environs, un chercheur a entrepris d'accompagner, entre 2013 et 2016 des enfants dans la recherche sur cette maladie.
 
Pour rappel, une cohorte est une approche de recherche en santé qui consiste à suivre, pendant un certain temps, un groupe de personnes porteuses de la même maladie afin d’analyser leur comportement et l’évolution de la pathologie.
 
Cette cohorte VIH, baptisée MAGGSEN (grandir au Sénégal, en wolof), a concerné plus de 300 enfants âgés de 2 à 16 ans et vivant tous avec le VIH. Mais, l'accompagnement du chercheur s’est intéressé particulièrement aux enfants de 7 à 16 ans ; ce qui a permis d’avoir un échantillon de 233 enfants.

“La personne qui est malade, c’est elle qui est au centre des préoccupations. Et plus elle sera en capacité d’avoir des informations, plus elle pourra, sur le long terme, se prendre en charge et adopter des comportements favorables à sa santé”

Caroline Desclaux Sall, 
Docteur en santé publique, Université de Montpellier (France)

 
A la faveur de la restitution des résultats de ces travaux d'accompagnment le vendredi 21 avril dans la capitale sénégalaise, SciDev.Net s’est entretenue avec l’auteur de cette étude associée.
 
Caroline Desclaux Sall, docteur en santé publique à l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale), à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et à l’université de Montpellier (France), livre ici les principaux enseignements de son travail.
 

En quoi a consisté votre étude dans le cadre de la cohorte MAGGSEN au Sénégal ?

 
Ce travail s’inscrivait dans la volonté de continuer à réfléchir et à apporter des données empiriques sur ce que devrait être la participation des enfants dans la recherche sur le VIH. Avec la mise en place en 2013 d’une cohorte d’enfants vivant avec le VIH baptisée MAGSEN (grandir avec le VIH au Sénégal, en wolof), on a eu l’opportunité de voir comment les enfants participent au processus de décision sur la recherche. Auparavant, nous avions travaillé sur la même question avec des adultes ; et il s’agissait de savoir si les enfants aussi ont une place ou pas dans le processus de décision, est-ce qu’on doit les informer sur le fait qu’il y a une recherche, est-ce qu’on doit demander leur consentement ou leur assentiment, etc. Donc, cette cohorte nous a permis d’explorer toutes ces questions-là…
 

Comment ces travaux se sont-ils déroulés concrètement ?

 

Caroline Desclaux Sall
Caroline Desclaux Sall

La cohorte est un type de recherche qui a un suivi longitudinal. On prend un groupe de personnes, des enfants pour le cas d’espèce, et on va les suivre dans le temps avec un certain nombre d’examens qu’on va réaliser à trois mois, à six mois, à un an, à 24 mois, à 36 mois, etc. Des fois, il y a quelques mesures supplémentaires. Par exemple pour MAGGSEN, les enfants avaient en plus des prélèvements de sang, la mesure des plis cutanés lorsqu’on était sur la question des troubles nutritionnels et métaboliques. On les pinçait et on prenait des mesures. Ainsi, pour les analyses, on pouvait voir dans le temps s’il y a des changements, voir quels sont les facteurs qui influencent la manière dont ils grandissent.
 

A quelles conclusions êtes-vous parvenue au terme de ce processus ?

 
Au moment où nous avons commencé, nous avons constaté qu’il y avait encore beaucoup d’enfants qui ne connaissent pas leur statut VIH. En fait, seulement 22% d’enfants connaissaient leur statut et 42% dans la tranche des 12 – 16 ans. Alors que dans les recommandations internationales de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il est dit qu’avant 12 ans, l’enfant doit connaître son statut sérologique. Donc, il y a encore un gros travail à faire en termes d’information de l’enfant sur son statut.
 

Dans un deuxième temps, vous avez travaillé avec des enfants qui connaissaient déjà leur statut. Quels enseignements en avez-vous tirés ?

 
Ce que l’on a pu voir est qu’ils s’intéressent vraiment à leur pathologie. Après, ce qui est difficile est fonction de ce qu’on a bien voulu leur dire ou pas. Ils comprennent bien la question des médicaments, les antirétroviraux (ARV), la manière dont la maladie se transmet. Mais, on sent qu’ils ont encore beaucoup de questions. Surtout qu’on ne leur parle pas encore de leur sexualité parce qu’ils sont encore jeunes. Il y en a qui veulent aussi savoir comment la maladie leur a été transmise; parce qu’on n’a pas été très clair sur le mode de transmission au moment de les informer de la pathologie. Bref, on a des enfants qui sont très en demande sur leur pathologie. Et il a aussi été démontré qu’ils ont très bien compris l’importance de garder le secret.
 

Ces enfants en bas âge sont-ils suffisamment conscients pour comprendre les enjeux de la recherche et de la prise en charge en rapport avec le VIH ?

 
Il faut prendre en compte à la fois l’âge et l’enfant lui-même. On a des fois des enfants à 7 ans qui sont très éveillés et qui posent plein de questions. Tout dépend de la manière dont on les associe dans leur prise en charge, dans le quotidien, à la maison, etc. C’est pour cela que je demandais aussi aux enfants quelles responsabilités ils pouvaient avoir à la maison ou à l’école. Car, on a des enfants qui, très tôt, sont très actifs à la maison, ont des tâches, s’occupent de leurs cadets, etc. L’idée, c’était déjà de savoir ce qu’ils comprenaient, même s’ils n’avaient pas eu beaucoup d’informations. Afin de montrer que même si on ne leur dit pas ce qu’on va faire, à partir du moment où ils commencent à participer à la cohorte, ils voient, ils observent, il se rendent compte qu’il y a des changements et ils se posent des questions. Après, on se dit qu’il faut aussi accompagner leur information. Car, l’enfant, c’est un sujet, c’est un acteur et il est important de lui offrir un espace d’échanges dans un contexte bienveillant afin qu’il puisse prendre conscience de ce qui se passe autour de lui…
 

Pourquoi insistez-vous autant sur ce dialogue entre l’enfant et le soignant ?

 
Je pense que, et on l’a aussi démontré chez l’adulte, la personne qui est malade, c’est elle qui est au centre des préoccupations. Et plus elle sera en capacité de gérer sa pathologie, d’être autonome, d’avoir des informations, plus elle pourra, sur le long terme, se prendre en charge et adopter des comportements favorables à sa santé, pour elle et pour les autres. C’est vrai que l’enfant est accompagné par ses parents, mais, c’est lui qui est malade et il est en train de grandir pour devenir un adulte vivant avec le VIH. Je pense que plus tôt on l’associe à sa santé et à la prise en charge de sa santé pour qu’il la comprenne et pour qu’il puisse bien la gérer, plus ça va garantir qu’il sera un adolescent, puis un adulte autonome.
 

A qui revient la responsabilité d’informer l’enfant de son statut sérologique, au médecin ou à ses parents ?

 
En tout cas, ça n’incombe pas à nous les chercheurs. Mais, ce qu’on peut voir est qu’il y a des pratiques très différentes selon les sites de prise en charge. C’est vrai que souvent, on délègue la responsabilité aux parents ; mais, ceux-ci sont un peu en difficulté parce que le dire à l’enfant reviendrait à lui annoncer qu’eux-mêmes, en tant que parents, sont infectés. Ce qui crée un sentiment de culpabilité ou de crainte de la part des parents, car, ils ne veulent pas blesser leur enfant.
 

Quelle est la solution alors ?

 
Il y a eu tout un travail de la part de mes collègues sur le sujet de mieux préparer les parents et les soignants pour arriver à annoncer l’information aux enfants. L’idée étant d’accompagner ensemble l’enfant dans la connaissance de son statut sérologique.
 

Comment évaluez-vous le niveau de prise en charge des enfants vivant avec le VIH au Sénégal ?

 
Les équipes de prise en charge sont bien formées. Mais, malheureusement, comme c’est le cas chez les adultes aussi, on a un problème de manque de moyens financiers, avec les difficultés d’accès aux traitements, aux examens biologiques et des coûts qui sont importants. On est face à des familles qui sont dans des situations de précarité importante et des fois, rien que se déplacer à l’hôpital pour la consultation peut être compliqué s’il n’y a pas d’appui pour les transports. Donc, ce qui était intéressant avec la cohorte, c’est que nous avions mis en place toutes les conditions optimales pour que les enfants et les parents puissent participer. Il y avait un appui aux transports, tous les examens ont pu être réalisés dans de bonnes conditions, si les enfants développaient des pathologies au cours de l’étude, elles étaient prises en charge, etc. Ce sont des conditions auxquelles tous les enfants malades devraient avoir accès ; sauf que souvent, il y a un manque de moyens et les hôpitaux n’ont pas assez d’argent et pas toujours l’effectif nécessaire pour prendre en charge correctement les enfants. Donc, il y a un plaidoyer encore très fort à faire pour améliorer les conditions de prise en charge de enfants vivant avec le VIH afin de mettre en œuvre ce qui est recommandé.