07/03/19

VIH/Sida : le traitement par la greffe «peu viable»

Aids article
Représentation graphique du virus du sida - Crédit image: Depositphotos/Preshkova. Image de 4500/3000 ramenée à 1359/450 et retraitée.

Lecture rapide

  • Pour la deuxième fois, une greffe de la moelle osseuse permet d’éliminer le virus du sida du sang
  • Vu sa complexité et sa cherté, cette méthode n’est pourtant pas près d’être utilisée à grande échelle
  • En attendant, pendant que les recherches se poursuivent, les ARV demeurent le traitement préconisé

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Dans un article paru le 5 mars dans la revue Nature, des chercheurs de la prestigieuse University College London rapportent le cas d’un patient séropositif qui, après avoir reçu une greffe de la moelle osseuse, n’a plus présenté le moindre signe du virus du sida, dix-huit mois après qu'il eut suspendu son traitement antirétroviral.
 
En présentant leurs travaux le même jour à la conférence annuelle sur les rétrovirus et les infections opportunistes à Seattle (Etats-Unis), les chercheurs ont fait savoir qu’ils avaient utilisé, à quelques détails près, la même méthode qui fut employée en 2007 à Berlin (Allemagne) sur Timothy Ray Brown.
 
Ce dernier est d’ailleurs considéré comme la première personne au monde à avoir guéri du VIH/Sida , puisque le virus n’a plus été détecté dans son organisme depuis lors.

“Arriver, même chez un nombre très limité d’individus, à obtenir une "presque-guérison" de l’infection à VIH est un succès qu’il faut saluer. Cela semblait encore utopique il y a une décennie.”

Avelin F. Aghokeng, chercheur au Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF), au Gabon

La méthode en question consiste à trouver un donneur compatible qui présente en plus une mutation d’un gène appelé CCR5.
 
C’est en effet par ce gène que le virus du sida pénètre dans les cellules immunitaires et se multiplie.
 
Or une telle mutation rend la pénétration impossible.
 
En tant que cellule souche, la moelle osseuse ainsi greffée va produire chez l’hôte de nouvelles cellules immunitaires dotées du gène CCR5 muté qui vont progressivement se substituer aux anciennes cellules, et bloquer ainsi le virus, qui ne peut plus se répliquer.
 
« En poursuivant nos recherches, nous devons comprendre si nous pourrions éliminer ce gène récepteur chez les personnes vivant avec le VIH, ce qui pourrait être possible avec la thérapie génique », déclare Ravindra Gupta, l'auteur principal de l'étude, dans une note d’information publiée par University College London.
 
C’est pourtant sur cette méthode que reposent les réserves d'une partie de la communauté scientifique, qui estime, à l'instar d’Éric Delaporte, responsable du laboratoire de recherches translationnelles sur le VIH et les maladies infectieuses à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
 
Dans un entretien avec SciDev.Net, le chercheur relève que le mutation génétique dont il s’agit est « rare » et ne se retrouve que chez 1% de la population.
 
De plus, poursuit-il, « comme souvent à propos du sida, on a affaire à une présentation excessive d’un résultat où l’on parle de guérison, alors qu’en pratique, pour les millions de personnes vivant avec le VIH, ce n’est pas la solution pour guérir ».
 

Chimiothérapie

 
Éric Delaporte trouve en outre ce procédé « compliqué et dangereux ».
 
« Il faut mettre le patient en aplasie, c’est-à-dire détruire les cellules par une chimiothérapie anticancéreuse et ensuite greffer de la moelle d’un donneur compatible », explique-t-il.
 
« Pendant la phase d’aplasie où les cellules sont détruites, la moindre infection peut tuer, car le patient n’a plus de défense. Il faut donc qu’il soit dans un service spécialisé avec une chambre stérile, donc avec une infrastructure médicalisée de pointe, sophistiquée et coûteuse », poursuit-il.
 
Pour Éric Delaporte, l'effervescence autour de cette expérience donne de « faux espoirs ».
 
Un point de vue que ne partage pas Michel Sidibé, le directeur exécutif de l’Onusida, beaucoup plus nuancé.
 
« Bien que cette avancée soit compliquée et qu’il y ait encore beaucoup de travail à faire, cela nous donne un grand espoir pour le futur, que nous pourrons potentiellement éliminer le sida par la science, par le biais d’un vaccin ou d’un traitement », écrit-il dans un communiqué de presse publié par l’organisation, après l’annonce de l'information.
 
L’optimisme de Michel Sidibé est partagé par Avelin F. Aghokeng, chercheur au Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF), au Gabon.
 
« Arriver, même chez un nombre très limité d’individus, à obtenir une "presque-guérison" de l’infection à VIH est un succès qu’il faut saluer. Cela semblait encore utopique il y a une décennie », dit-il.
 
L’intéressé ajoute qu'il est « important de savoir que les progrès en matière de recherche s’enrichissent de telles preuves de concept et ouvrent de nouvelles perspectives de recherche et d’intervention ».
 

Perspectives

 
« Bien qu’il ne s’agisse pas d’une stratégie viable à grande échelle (…), ces nouvelles conclusions réaffirment notre conviction qu'il existe une preuve de concept que le VIH est curable », indique de son côté, Anton Pozniak, président de la Société internationale de lutte contre le sida (International Aids Society -IAS).
 
Dans un communiqué publié le 5 mars, l'infectiologue britannique dit espérer que « cela débouchera éventuellement sur une stratégie sûre, rentable et simple pour atteindre ces résultats en utilisant la technologie du gène ou des techniques d'anticorps ».
 
Les auteurs des travaux préfèrent quant à eux s'appesantir sur les perspectives qui s’offrent à la communauté scientifique : « s'il est trop tôt pour dire avec certitude que notre patient est maintenant guéri du VIH, le succès apparent de la greffe de cellules souches donne l'espoir que de nouvelles stratégies pourront être développées pour combattre la maladie », affirme Eduardo Olavarria, membre de l’équipe de recherche.
 
Analysant la répétition de cette méthode qui a déjà été utilisée plus tôt en 2007, Avelin F. Aghokeng affirme, pour sa part, qu’en matière de résultats scientifiques, la question de la reproductibilité d’une procédure, expérience ou intervention est « capitale ».
 
« Il est difficile, dit-il, de tirer d’importantes conclusions à partir d’un seul cas. Un second succès, réalisé par une autre équipe de recherche et chez un patient différent, permet de confirmer le premier résultat et de considérer l’expérience comme étant reproductible ».
 
« Cela permet aussi de mieux maîtriser l’approche, ses avantages et aussi ses limites et ses dangers. Car il faut noter que derrière ce succès se cachent aussi beaucoup d’échecs de cette approche », conclut le chercheur dans un entretien accordé à SciDev.Net.
 
En attendant, tout le monde scientifique s’accorde pour dire que le seul moyen de traiter cette maladie qui touche 37 millions de personnes dans le monde,  d’après les chiffres de l’Onusida, c’est de prendre à vie des antirétroviraux (ARV).