09/10/19

Fadima Diawara, conceptrice de smartphones

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Kunfabo - Crédit image: Fadima Diawara, fondatrice de la startup guinéenne Kunfabo.

Lecture rapide

  • Sans avoir jamais fait des études de sciences ou de technologie, elle a conçu un smartphone pour l'Afrique
  • Le téléphone qui embarque des applications adaptées aux réalités africaines sera bientôt lancé
  • Pour y arriver, elle s’est appuyée sur sa passion, quittant son emploi et hypothéquant ses économies

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Désireuse dans un premier temps de devenir avocate, la Guinéenne Fadima Diawara s’inscrit à la faculté de droit de l’université de Conakry, où elle apprend le droit privé. Mais pour des raisons familiales, elle va quitter la Guinée pour s’établir en Espagne, où elle abandonne le droit pour embrasser la comptabilité, avant d’entrer dans le monde professionnel.
 
Entre-temps, une vive passion pour la technologie est née en elle. C’est ainsi qu’elle démissionne en 2016 pour se consacrer à la conception d’un smartphone adapté aux réalités africaines. Elle y investit les économies qu’elle avait réalisées jusque-là.
 
Le résultat de ce choix est la fabrication de prototypes de ce téléphone intelligent qui fonctionne sous le système Android et sur réseau 4G, avec des applications conçues en Guinée et au Cameroun. Son nom de baptême est « Kunfabo », qui signifie « être en contact », en langue malinké, en Guinée.
 
Fadima Diawara a bien voulu révéler à SciDev.Net l’ambition et la stratégie qui sous-tendent ce projet qui, d’après ses prévisions, devrait connaître un tournant décisif dès la fin de cette année 2019.
 

Vous avez étudié le droit à l’université de Conakry, puis la comptabilité en Espagne, avant d’embrasser la technologie à travers la création de Kunfabo. Comment avez-vous fait pour vous adapter chaque fois à ces domaines si différents les uns des autres ?

 
J’ai effectivement étudié le droit privé au début parce que j’avais l’intention d’être avocate. Mais en grandissant, ma vocation a changé. Je n’ai pas fait d’études en technologie, mais je suis très passionnée par tout ce qui est lié à la technologie, en général. Si vous êtes passionné par quelque chose, vous finissez fatalement par apprendre. Je me suis beaucoup formée en tout ce qui concerne la technologie. J’ai beaucoup appris, y compris sur YouTube, j’ai beaucoup lu et j’ai assisté à beaucoup de conférences.
 

On imagine que cela vaut aussi pour la langue, puisque vous êtes partie de la Guinée qui est francophone, pour vous établir en Espagne…

 
Tout à fait. Je suis venue en Espagne dans le cadre de ma vie familiale. Donc, je me suis adaptée et j’ai appris la langue. On peut apprendre autant de langues qu’on veut si on a de la volonté. En plus, quand on vient dans un pays pour pouvoir communiquer, travailler, mener des activités, il faut bien apprendre la langue pour y arriver.
 

Ayant décidé d’investir dans la technologie, pourquoi avez-vous choisi de concevoir un smartphone plutôt que de faire autre chose ?

 
Quand on veut entreprendre, il faut bien savoir dans quel domaine le faire et il faut que ce soit un domaine que l’on aime, que l’on admire et pour lequel on a de la passion. Et il faut aussi entreprendre dans un domaine où il y a la demande. Donc, j’ai constaté qu’il y a beaucoup de pays qui ont leurs marques de smartphone et que chaque continent s’approprie un smartphone.

“Chaque fois qu’on appelle en Afrique, la majorité des personnes demandent un téléphone. Je me suis donc dit qu’il y avait un besoin et je me suis lancée dans ce domaine, pour contribuer à combler ce vide, en créant une marque africaine de smartphones qui nous représente et à laquelle nous nous identifions”

Fadima Diawara, fondatrice de Kunfabo

Par exemple, un Américain peut bien s’identifier à un iPhone, les Asiatiques à Samsung ou à Huawei. L’Afrique, c’est l’avenir du monde, mais je me suis rendu compte qu’on était un peu marginalisés dans ce domaine et les téléphones sont très chers chez nous. Chaque fois qu’on appelle en Afrique, la majorité des personnes demandent un téléphone. Je me suis donc dit qu’il y avait un besoin et je me suis lancée dans ce domaine, pour contribuer à combler ce vide en créant une marque africaine de smartphones qui nous représente et à laquelle nous nous identifions.
 

Vous avez voulu que ce smartphone embarque des applications 100% africaines. Quelles sont ces applications et leur originalité ?

 
La première application permet la géolocalisation des centres de santé, hôpitaux, pharmacies de proximité, etc. L’application est baptisée "FINDme". Elle a pour but de mettre la technologie au service de la santé pour sauver des vies. Par exemple, si je me retrouve dans un village où je ne connais personne et je ne parle, ni ne comprends la langue locale, et que j’ai besoin d’acheter un médicament ou d’aller dans un centre de santé, pour peu que j’aie cette application, elle va me faciliter la tâche, en géolocalisant la pharmacie ou le centre de santé le plus proche. Cette application est utilisable partout en Afrique. La deuxième application est baptisée « Afrocook » et vise à faire connaître l’art culinaire africain. On a pris des recettes un peu partout dans les pays du continent et on les a intégrées dans l’application, afin de démocratiser l’art culinaire africain pour qu’on puisse tous en profiter et avoir un peu plus de diversité, de sorte qu’un Guinéen puisse cuisiner éthiopien, camerounais, etc.
La dernière application, c’est « Dikalo ». C’est la messagerie par défaut de « Kunfabo ». Elle a été développée par une start-up camerounaise avec laquelle nous collaborons. Étant un smartphone africain, il faut bien que nous ayons une messagerie africaine. « Dikalo » est déjà disponible sur Playstore. Le fondateur de cette start-up et moi-même avons des visions très proches en ce qui concerne la technologie, l’inclusion numérique, l’africanisation de la technologie.
 

Outre le fait d’être conçu par une Africaine et d’embarquer des applications africaines, quels sont les autres atouts de « Kunfabo » ?

 
« Kunfabo » est un téléphone africain de qualité et il est certifié aux normes européennes. Ses atouts sont aussi son africanité, son caractère low-cost. Le but, c’est l’inclusion que nous voulons en Afrique pour que tout Africain puisse avoir son smartphone. Et pour cela, nous faisons beaucoup d’efforts ; car, l’objectif n’est pas d’avoir de grandes marges.
 

Les pays d’Afrique n’étant pas toujours bien équipés techniquement, comment fabriquez-vous ce téléphone ?

 
Le design de « Kunfabo » est réalisé par des Africains, mais l’appareil est fabriqué en Chine, tout simplement parce que nous n’avons pas encore d’usines d’assemblage en Afrique. Et on a choisi de passer par la Chine parce que les coûts y sont beaucoup plus accessibles. Mais notre objectif, et je l’ai souligné quand j’ai rencontré les autorités guinéennes, est d’avoir une usine d’assemblage sur place en Afrique dans cinq ans pour réellement faire du « made in Africa », pour que la carte mère soit fabriquée en Afrique. Cela demande beaucoup de moyens. Si nous ne  pas recevons pas d’aide des autorités, nous allons l’envisager à plus long terme…
 

Quels types de soutien espérez-vous de la part des autorités et décideurs guinéens et africains en général pour faciliter le succès de ce smartphone africain ?

 
Je sais que l’Etat n’est pas un bailleur de fonds ; donc, nous ne demandons pas de fonds aux Etats. Ce que nous demandons, en revanche, c’est qu’ils nous fassent des commandes et nous facilitent l’implantation. On a déjà créé une structure en Guinée. C’est déjà un accompagnement…
 

En attendant, quels sont vos projets les plus immédiats pour le développement de ce téléphone ?

 
Notre projet est de pouvoir faire le premier lancement d’ici à la fin de l’année 2019 ; et ce sera en Guinée. Ensuite, notre ambition sera de conquérir le marché africain dans le court terme. Nous sommes en train de préparer un crowdfunding qui a pour but de faire en sorte que tous les Africains puissent avoir « Kunfabo » en même temps. Car, on ne pourra pas aller faire un lancement dans chaque pays ; ça demanderait beaucoup de moyens alors que nous sommes une jeune structure aux ressources limitées. Donc, nous sommes en train de communiquer là-dessus pour inviter les gens à s’inscrire. Et nous comptons le faire d’ici la fin de l’année.
 

Concevoir un smartphone spécialement pour l’Afrique ne risque-t-il pas de limiter votre marché et par conséquent de compromettre la rentabilité de votre projet ?

 
L’Afrique est un marché gigantesque. Notre marché n’est pas limité. Il y a des marques que vous trouvez sur le marché africain et qui ne se vendent nulle part ailleurs au monde. On les fabrique en Chine, et on les débarque directement en Afrique. Les grandes compagnies ont compris que l’Afrique, c’est l’avenir du monde. Donc, qu’on ne dise pas que le marché africain est limité lorsqu’il s’agit d’un smartphone africain. Au contraire, c’est une valeur ajoutée pour le produit. L’Afrique est un continent super jeune et en 2050, on sera plus nombreux que les Chinois. Par conséquent, il y a un marché, il y a du potentiel. Surtout que partout où il y a la diaspora africaine, on peut utiliser « Kunfabo ». Nous allons nous organiser pour que les gens de la diaspora puissent acheter ce téléphone à partir de notre site web. Et même un non-Africain qui voit en « Kunfabo » un téléphone de qualité, l’achètera ! Pour le début, notre objectif est de nous implanter en Afrique, d’être leader et ensuite d’explorer d’autres continents. Donc, « Kunfabo » ne se limitera pas au marché africain.
 

Comment avez-vous réuni les fonds nécessaires au lancement de ce projet et comment comptez-vous financer son développement ?

 
Je travaillais, puis j’ai démissionné il y a maintenant trois ans. J’ai pris mes économies et je les ai investies dans la réalisation de « Kunfabo ». Je suis convaincue que sur le chemin, des investisseurs vont nous accompagner. Pour lancer le projet, nous avons besoin d’un minimum de 3 000 unités pour pénétrer le marché. Cela demande plus ou moins 300.000 euros. Nous sommes en discussions avec pas mal de structures qui veulent nous accompagner, ne serait-ce qu’en nous passant des commandes pour que nous soyons sur le marché d’ici à la fin de l’année. Pour l’instant, nous avons des prototypes qui sont en train de subir des tests et jusqu’ici, nous avons des feed-back positifs dans l’ensemble. Donc, ce qu’il nous reste, c’est d’avoir des commandes.