23/02/17

Q&R: “L’Internet, un avatar de la Radio des Mille Collines”

Cameroon Technology
Crédit image: Xtockimages

Lecture rapide

  • L'Internet est devenu un instrument politique au service de groupes d'expatriés
  • La suspension durera tant que la situation restera instable
  • Les citoyens peuvent recourir à d'autres moyens de communication

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Outre les nombreuses violations des droits de l’homme enregistrées ça et là dans le monde, le rapport 2016/2017 d’Amnesty International pointe du doigt les violations du droit à l’information à l’échelle mondiale, notamment par le biais de la censure de l'Internet.
 
Sont notablement coutumiers du fait en Afrique, des pays comme l’Ethiopie, le Soudan (2014 à nos jours), l’Egypte, la Tunisie (2006-2010), l’Algérie et le Gabon, entre autres.
 
A cette liste s’est ajouté, depuis le 17 janvier 2017, le Cameroun, qui a ordonné un blocage partiel de l'accès à l’Internet, dans le but d’endiguer la contestation dans les régions anglophones du pays, en proie à l’instabilité.
 
Mais la mesure ne fait pas l’unanimité : de nombreux hommes d’affaires, chercheurs et autres activistes se plaignent d’une paralysie totale ou partielle des activités, qu’ils imputent à l’indisponibilité des ressources en ligne.
 
L’organisation Internet Sans Frontières, se basant sur une méthodologie recommandée par la firme Deloitte, estime quant à elle à US$ 723.000 (environ 443.000.000 FCFA) le coût de la suspension de l’Internet pour le seul compte des deux dernières semaines du mois de janvier.
 
Mais dans une interview à SciDev.Net, le ministre camerounais de la Communication, Issa Tchiroma, invoque des menaces graves à la stabilité du pays, pour justifier la mesure d’interdiction.
 

Monsieur le ministre, pourquoi le gouvernement camerounais a-t-il décidé de suspendre l’accès à l’Internet dans la partie anglophone du pays ?

 

“L'Internet était devenu une espèce de radio des Mille Collines où l’on prêche la haine, la désobéissance civile, les villes mortes et autres.”

Issa Tchiroma
Ministre camerounais de la Communication

Le gouvernement a estimé de son devoir de suspendre l’Internet, qui était devenu un instrument par lequel on prêchait la haine, la déstabilisation, l’intolérance et la sécession. L’Internet était devenu un instrument dont on se sert pour intimider, arnaquer et prendre en otage nos enfants. Et quand nos enfants, qui deviendront les prochains dirigeants de notre nation, ne peuvent pas accéder au savoir, instrument par lequel ils gouverneront la nation, c’est tout le Cameroun qui est concerné. Dites-vous bien que ce n’est pas de gaîté de cœur que nous avons momentanément suspendu l’Internet, mais parce que la responsabilité du gouvernement, c’est de protéger la liberté et le vouloir vivre ensemble de la communauté nationale. Le gouvernement a estimé inacceptable qu’une poignée d’individus, de jusqu’au-boutistes qui refusent le dialogue veuillent effectuer un passage en force avec pour objectif de briser notre volonté commune de vivre ensemble.
 

Le gouvernement a-t-il conscience que ce faisant, il porte atteinte au droit des populations à l’information, parce que l’Internet est quand même aussi un vecteur de diffusion de l’information ?

 

Fiche Internet du Cameroun. Source:  Internet World Stats – 2016.
  Cameroun Afrique
Population 24.360.803 1.216 milliard
Superficie 475.442 km2 30,37 millions de km2
Nombre d'internautes 4.311.178 340.783.342
Pénétration Internet 17,7% 28,7%
Facebook 2.100.000 utilisateurs 146.637.000 utilisateurs
Pénétration FB 8,6% 12,4%

Tous les autres vecteurs de communication restent disponibles : la radio, la télévision et la presse écrite. Le gouvernement ne s’est pas attaqué à ces instruments de communication mis à la disposition des uns et des autres. En revanche, nous avons estimé qu’Internet était devenu une espèce de radio des Mille Collines où l’on prêche la haine, la désobéissance civile, les villes mortes et autres. Face à pareille situation, la responsabilité de tout gouvernement n’est pas de rester autiste, mais conscient et proactif.
 

Mais en interdisant l’Internet, vous renforcez quand même cette impression que la population des localités anglophones du Cameroun est effectivement marginalisée.

 
Ecoutez, la position du gouvernement est très simple. Il n’y a pas de problème qui ne trouve pas de solution à travers le dialogue. Sont-ils frustrés, ostracisés ou marginalisés ? Pas de problème. Venez avec vos problèmes, venez dans le cadre du dialogue voulu par le chef de l’Etat et le gouvernement est prêt à écouter toute revendication, quelle qu’elle soit, pourvu qu’elle soit conforme aux lois de la République. Ils disent qu’ils veulent le retour au fédéralisme, il y en a même qui parlent de sécession, qu’ils viennent donc autour de la table. La nation est gouvernée par des lois et tout citoyen doit faire allégeance aux lois de la République. Le gouvernement est donc ouvert au dialogue, mais à la seule condition que tout un chacun fasse allégeance aux lois de la République.
 

Qu’en est-il de l’impact sur le développement ? A cause de cette mesure d’interdiction, un certain nombre de mécanismes de distribution de l’information sont bloqués, les opérations bancaires en souffrent et certains Camerounais parlent d’un retour en arrière de 30 ans.

S’il faut choisir entre l’économie, la liberté, la paix et notre vouloir vivre ensemble, le gouvernement a effectué son choix. Ce que les manipulateurs à distance, basés pour la plupart hors du Cameroun veulent, c’est l’éclatement du pays. Le fédéralisme dont ils parlent n’est qu’un prétexte.
 

En attendant, qu’en est-il des conséquences économiques de la suspension ?

 
Internet ne restera pas interdit ad vitam æternam.
 

Justement, quand comptez-vous lever cette mesure de suspension ?

 
Lorsque les conditions seront réunies, je vous garantis que le gouvernement ne ménagera aucun effort pour que la situation redevienne normale.
 

Lorsque vous parlez de conditions, à quoi faites-vous précisément allusion ?

 
Lorsque le gouvernement jugera nécessaire de relancer l’Internet dans ces régions.
 

En attendant, vous semblez considérer l’Internet comme l’ennemi de la nation camerounaise ou carrément de la démocratie…

 
Non. Internet n’est pas un ennemi de la démocrate. Mais l’usage qu’on en fait peut constituer une menace pour la démocratie. Internet n’est qu’un instrument et tout instrument ne vaut que l’usage qu’on en fait. Internet peut être utilisé pour la promotion de l’économie, la recherche, le développement, etc. Mais lorsqu’on se sert de l’Internet pour demander aux francophones qui se trouvent dans cette partie de notre pays de regagner leur région d’origine, et qu’on envoie le même type de message aux anglophones, c’est la cessation de facto. Quel gouvernement au monde ne réagirait pas face à une telle menace ?

Est-ce vraiment en censurant l’Internet qu’on réussira à régler le problème du mécontentement de la population ?

 
Ecoutez, s’il y a plusieurs moyens, nous avons considéré que celui-là pouvait contribuer à ramener la situation à la normale.