11/02/20

Q&R : Les femmes peuvent aussi s’imposer dans les sciences spatiales

Marie Korsaga 2
Crédit image: Marie Korsaga

Lecture rapide

  • Il faut combattre les stéréotypes ; car, les filles peuvent aussi exceller dans les sciences difficiles
  • Je suis heureuse de n’avoir pas reculé face aux difficultés rencontrées durant la rédaction de ma thèse
  • Les jeunes filles doivent lutter pour réaliser leurs rêves ; car, personne ne le fera à leur place

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En avril 2019, une jeune Burkinabè soutient une thèse de doctorat PhD en astrophysique à l’université du Cap en Afrique du Sud sur le thème : « la distribution de la matière noire et de la matière visible dans les galaxies spirales et irrégulières ».
 
Marie Korsaga concluait ainsi avec succès sept années d’intenses recherches qui font d’elle à ce jour la première femme astrophysicienne de toute l’Afrique de l’Ouest.
 
Ce faisant, elle effectuait aussi un grand progrès dans la réalisation d’un rêve qui l’habite depuis sa plus tendre enfance : celui de comprendre les phénomènes de l’univers.

“Les maths et la physique sont difficiles certes, mais si les hommes peuvent y faire carrière, pourquoi pas les femmes ?”

Marie Korsaga

Ce qu’elle a appris, elle a maintenant hâte de le partager avec ses concitoyens, à travers de multiples projets dont le dénominateur commun est de briser les stéréotypes pour libérer les jeunes filles et leur permettre de choisir les études scientifiques et de faire carrière dans les sciences.
 
Dans cet entretien qu’elle a bien voulu accorder à SciDev.Net à la faveur de la journée de la jeune fille et de la femme en science, Marie Korsaga montre comment l’astrophysique qu’elle considère comme une discipline mère peut contribuer à créer des infrastructures et des emplois en Afrique.
 

Comment est née votre passion pour l’astrophysique?

Depuis toute petite, je me suis toujours intéressée aux phénomènes de l'univers, à savoir l'apparition de la vie sur terre, les étoiles filantes, etc. J’aimais aussi regarder les films documentaires sur l’astronomie, surtout sur les missions Apollo (présence de l’Homme sur la lune). Mais à l'époque, je n’imaginais pas que je deviendrais astrophysicienne ; car l’astronomie était un domaine inconnu au Burkina Faso ; et en plus, je n’avais jamais rencontré (encore moins échangé avec) un astronome dans la vie réelle avant ma licence.
 
Donc, en grandissant, j’avais l’intention de devenir ingénieur du génie civil parce que j’aime aussi la construction. A ma licence, l’astronomie venait d'être intégrée au Burkina Faso comme matière optionnelle en physique, je n'ai pas hésité à saisir cette opportunité. Mon intérêt pour les matières scientifiques m’a permis d'exceller plus facilement dans le sujet et de poursuivre mes études de troisième cycle en astrophysique.
 

Comment vous êtes-vous prise quand on sait que dans nos pays, on oriente les filles le plus souvent vers les séries littéraires et que les familles ne les encouragent pas toujours à faire de longues études ?

C’est vrai que faire des études dans un domaine scientifique quand on est une femme est un peu compliqué. Par exemple, durant mon parcours, j’étais confrontée à des propos du genre : « la physique est trop compliquée pour une femme, tu ne pourras pas faire carrière dans le domaine », ou même : « tu risques de devenir folle si tu continues ».
 
Ces propos ne m’ont pas influencée dans mon choix de carrière, car j’aimais les matières scientifiques et j’avais aussi le soutien de ma famille. Surtout celui de mon père qui me faisait chaque fois savoir que les femmes peuvent aussi faire de longues études et faire carrière dans les domaines scientifiques, cela me faisait avoir davantage confiance en moi.
 

Comment comptez-vous à présent mettre votre savoir-faire à profit dans un pays comme le Burkina Faso où, comme ailleurs en Afrique, l’astrophysique n’est pas une discipline développée ?

Au-delà de la recherche, je compte contribuer à la formation des jeunes en sciences au Burkina Faso et en Afrique en général en dispensant des cours dans des universités. J’envisage aussi de mener des actions en vue de vulgariser l’éducation sur la science en général, et sur l’astrophysique en particulier dans les pays où l'accès à la science est limité. Cela servira à motiver les jeunes à embrasser les filières scientifiques, et surtout les jeunes filles.
 
C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a des efforts qui sont fournis par le gouvernement pour briser les stéréotypes, mais une grande partie de la société continue de penser que les filles ne doivent pas faire de longues études, surtout en sciences. Donc, j’aimerais contribuer à briser ces stéréotypes et permettre à mes sœurs africaines de choisir, sans peur, leur domaine d’étude.
 

Dans un continent où l’on manque d’eau, d’électricité, voire de nourriture, opter pour l’astrophysique ne vous met-il pas dans une situation où vous n'êtes pas en mesure d’apporter des réponses aux problèmes de base des populations ?

L’astronomie étant une science qui requiert un vaste champ de connaissances, elle permet de développer des compétences au niveau local. Par exemple, si vous prenez le projet de construction de télescopes en Afrique du Sud qui est d’ailleurs l’un des plus grands projets en astronomie, il a été formé des ingénieurs, des informaticiens, des techniciens, etc. Donc, en marge de l’astronomie stricte, on développe des compétences qui sont efficacement utilisables dans d’autres secteurs.
 
Quand vous prenez un astrophysicien, c’est quelqu’un qui est presque complet en science. Il a des compétences en physique, en ingénierie, en programmation, etc. C’est tout cela qui nous fait dire que l’astronomie est comme une science mère. En plus d’être fascinante comme science, l’astronomie peut être utilisée comme outil de développement à travers par exemple l’éducation et le tourisme. L’Union internationale astronomique (UIA) l’a bien compris et fournit beaucoup d’efforts pour se pencher sur le volet développement dans les pays en voie de développement, en travaillant à atteindre les objectifs de développement durable fixés par les Nations unies.
 
L’exemple typique en Afrique est le cas de l’Afrique du Sud où l’installation de télescopes dans des localités a permis non seulement de faciliter la vulgarisation de la science et la création d’emplois pour les jeunes, mais aussi de booster l’économie et le développement des infrastructures de ces localités. Le Burkina Faso pourrait bien s’inspirer de ces « success story », et se positionner comme pôle d’excellence en Afrique de l’Ouest.

“J’ai rencontré des obstacles durant mes études, mais à aucun moment, je n’ai pris en compte mon statut de femme comme prétexte pour abandonner”

Marie Korsaga

Quelles difficultés avez-vous rencontrées en tant que femme dans votre parcours d’étudiante et de chercheur dans un domaine aussi pointu et presque réservé?

Mes travaux se sont bien déroulés ; même si j’ai rencontré des difficultés à un moment donné et j’avais l’impression que mon travail n’avançait pas. Je me rappelle bien qu’à un moment pendant les travaux relatifs à ma thèse, les résultats que j’avais trouvés ne coïncidaient pas avec les études précédentes. Il fallait alors s’assurer durant de longues périodes de la fiabilité de mes résultats à travers un travail rigoureux et minutieux. Cela a permis de découvrir que les relations entre les paramètres de la matière noire et la luminosité des galaxies n’étaient pas standard comme on le pensait auparavant, mais qu’elles dépendaient de la structure de la galaxie. Je suis très heureuse de n’avoir pas baissé les bras pendant ces périodes difficiles.
 

Quels sont actuellement vos plus importants projets ?

Il s’agit de construire des planétariums dans les régions du Burkina Faso afin de donner des présentations sur l’univers ouvert au grand public. Je souhaiterais aussi installer un télescope de recherche, ce qui va permettre de développer la recherche en astrophysique au Burkina Faso, de faciliter la formation des étudiants, de tisser des liens avec des chercheurs d’autres pays et aider le pays ainsi que l’Afrique à se faire une bonne place en astrophysique.
 
En outre, je souhaiterais œuvrer à la mise en place d’écoles scientifiques en Afrique, particulièrement dédiées aux femmes. Cela permettrait d'encourager les filles à embrasser les filières scientifiques et contribuerait donc au développement du continent. J’aimerais enfin organiser des ateliers afin de permettre aux femmes scientifiques de témoigner de leurs parcours inspirants.
 

Comment comptez-vous contribuer à vulgariser l’astronomie dans votre pays ?

Je vais plaider pour l’instauration de l’astronomie au secondaire et pour la création de clubs d’astronomie pour les enfants. Le but c’est de mener des activités dans ces clubs afin de satisfaire la curiosité des enfants sur les phénomènes de l’univers. Ces enfants, par la suite, s’intéresseront aux phénomènes scientifiques, et donc à la science et la technologie. Enfin, j’aimerais contribuer à enseigner l’astronomie dans les universités et encadrer les étudiants de master et de doctorat.
 

Quel message pourriez-vous adresser aux jeunes femmes qui voudraient suivre votre exemple ?

Je leur dirais de lutter pour réaliser leurs rêves, car personne ne le fera à leur place ; de choisir des filières qui leur plaisent, car faire une chose qu’on aime est toujours un plaisir et pas une contrainte. Il est aussi très important d’avoir confiance en soi, c’est la clé de la réussite. Les maths et la physique sont difficiles certes, mais si les hommes peuvent y faire carrière, pourquoi pas les femmes ?

Ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on doit se mettre à l’idée de ne pas être capable de faire des choses dites difficiles. Il faut aussi noter qu’il n’y a rien de facile dans la vie. J’ai rencontré des obstacles durant mes études, mais à aucun moment, je n’ai pris en compte mon statut de femme comme prétexte pour abandonner. Il faut arriver à voir au-delà du sexe et faire de la question d’égalité du genre une réalité.