17/04/17

Quand l’Afrique veut voler de ses propres ailes…

Africa Plane
Crédit image: Karistaps Eberlins

Lecture rapide

  • Après le Zaïrois Mobutu, moult jeunes Africains se lancent dans la conquête de l'espace
  • Mais la plupart de leurs prototypes ne dépassent guère la hauteur d'un immeuble
  • Un expert estime qu'au-delà de l'enthousiasme, une formation rigoureuse est requise

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La maîtrise de l’espace, à vocation civile ou militaire, constitue un enjeu stratégique majeur pour de nombreux pays. L’exemple le plus récent est celui de la Corée du Nord, dont le test balistique du 14 avril, s’est soldé par un échec; cela ne décourage pas pour autant le régime nord-coréen de poursuivre ses recherches en vue de la maîtrise de la technologie des missiles.
 
En Afrique, une escadrille d’intrépides innovateurs et d’inventeurs s’activent depuis quelque temps à la recherche de cet éclair de lumière qui les ferait entrer dans la cour des grands de la technologie, ce qui, ici, est avant tout synonyme de faire réaliser un saut en hauteur de quelques secondes à un assemblage de ferrailles défiant les lois de l'aérodynamique.
 
Il s’agit souvent d’initiatives privées, uniquement portées par la passion.
 
Gabriel Nderitu, jeune entrepreneur kenyan, est emblématique de cette génération.
 

Après plus d’une dizaine de tentatives, dont un accident très médiatisé,  il n’a cependant toujours pas réussi à donner corps à son rêve : construire le premier avion africain à partir de simples objets de récupération : tôleries, moteurs de fortune, carrosseries usées, bref, selon un pilote, "le parfait cocktail pour un crash assuré."
 
Mais l’intrépide innovateur kenyan n’en démord pas et bénéficie d’une couverture médiatique où se mêlent amusement, curiosité, sarcasme et, parfois, commisération.
 
En 2015, un pilote du Wisconsin, aux Etats-Unis, ému par son histoire, a posté le message suivant à l’intention de toutes les bonnes volontés au sein de la communauté des pilotes :
 
"Quelqu’un peut-il aider cet homme, avant qu’il ne se fasse mal ?"
 
S’ensuivit une quête qui a permis à Gabriel de recevoir des dizaines d’ouvrages sur les principes de l’aérodynamique, ainsi que des plans de fabrication d’avions ; l’EAA – Experimental Aircraft Association -, qui regroupe aux Etats-Unis des amateurs de construction d’avions privés, a également envoyé des livres à l’aviateur en devenir…
 
L’histoire de Gabriel Nderitu résume l’un des nombreux dilemmes de la technologie en Afrique : Faut-il réapprendre la science et la technologie à partir de zéro, prétendre que les Lavoisier, les frères Wright et Lumière n’ont pas existé et "redécouvrir" des principes scientifiques établis depuis des siècles, afin de mieux apprivoiser la technologie, ou investir des milliards de dollars que les Etats africains ne possèdent pas de toute façon, pour acquérir des technologies modernes ?
 
Gabriel et tous les autres aventuriers de sa génération semblent avoir choisi la première option, même si, jusqu’ici, aucun de leurs aéronefs n’a volé d’un pied : la prouesse technologique se limite bien souvent, en l’absence d’une mise en application rigoureuse des règles de l’art, à l’arrimage d’un moteur Kawasaki à un amas de ferrailles, le tout donnant un objet ressemblant vaguement à un avion… de terre.
 

"Le futur nous appartient"

 
Le Sud-Soudanais George Mel fait aussi partie de ces amoureux de l’aviation, qui ont consacré une grande partie de leur vie à essayer de faire voler un tas de ferrailles.
 
Son prototype d’avion, construit dans l’arrière-cour de la maison familiale, a tellement impressionné les forces aériennes sud-soudanaises, qu’elles lui ont offert un emploi.
 
Son laboratoire a tout d’un salon de coiffure moderne : dans la bâtisse en terre cuite se trouvent des enceintes de haut-parleurs, une table, un fauteuil, un ordinateur ainsi qu’une bibliothèque.
 
Il a réalisé l’assemblage de son avion à partir de documents retrouvés sur l’Internet ; le siège du pilote n’est rien d’autre qu’un fauteuil de jardin et dans l’empennage, Gabriel a fait peindre ces mots, témoins de sa détermination : "Le futur nous appartient."
 
Malheureusement, en dehors de l’offre d’emploi des forces aériennes de son pays, il n’a reçu aucun soutien des autorités et continue sa route avec les moyens du bord, convaincu de mettre au point, un jour, son avion.
 
Pour sa part, le Congolais Jean-Patrice Keka, véritable icône dans son pays, a connu une aventure d’une toute autre nature.
 
Après des études de commerce, il s’est employé à concevoir des fusées sur son temps libre.
 
Un temps, il fut contacté par le gouvernement du président Mobutu Sese Seko et conduit au ministère de la Défense, où il rencontra des ingénieurs militaires prêts à l’aider.
 
Plus tard encore, il fut appelé par l’Institut supérieur de techniques appliquées (ISTA), qui l'embaucha comme chercheur associé.
 
Ayant acquis l’expertise requise, il a vite été en mesure de construire une fusée. Il a alors créé sa propre entreprise.
 
A partir d’une rampe de lancement aux allures de peloton d’exécution, Jean-Patrice Keka et son équipe ont lancé en mars 2009, une énième version de sa fusée, Troposphère V, présentée comme la troisième fusée congolaise.
 
Ce jour-là, sur le pas de tirs, officiels et curieux étaient rassemblés pour une grande première.
 
Malheureusement, le lancement a été une catastrophe – l’une des chambres de combustion a explosé, la fusée a fait une embardée et pris une direction aléatoire, tandis que la souris qui avait été placée à l'intérieur à des fins de recherche, a connu une mort cruelle.
 
N’empêche, le vice-Premier ministre congolais, Emile Bongeli, présent sur les lieux, dira de l’aventure : "On a commencé à construire des avions comme ça, on a commencé à construire des véhicules comme ça. Tout commence par une petite aventure intellectuelle, une petite folie, un petit rêve et c’est de là que les grandes choses peuvent se faire."
 
Pour sa part, Jean-Patrice Keka ne se décourage pas pour autant. En 2015, sa compagnie travaillait sur un programme spatial appelé Galaxie, visant à mettre les premiers satellites africains en orbite ; elle prévoyait pour fin 2016 le lancement d’une nouvelle fusée…
 

Mobutu dans l’espace

 
Il faut dire que pour ce qui est de la RDC, la culture de l’innovation dans le domaine de l’espace date de la fin des années 1970, où l’ancien président de ce pays qui se nommait encore le Zaïre, Mobutu Sese Seko, tout à son rêve de grandeur, avait lancé un programme spatial, avec, ni plus, ni moins, l’ambition de concurrencer les Occidentaux.
 

L’aventure, menée avec des ingénieurs allemands, se soldera par un cuisant échec, qui inspirera en 2015 au dessinateur belge Aurélien Ducoudray, une bande dessinée à succès, "Mobutu dans l’espace."
 
“Avec le recul, on a tout trouvé loufoque, mais sur le moment, à mon avis, la loufoquerie n'était pas de mise”, a expliqué l’auteur dans une interview à SciDev.Net.
 
“Avoir une base permettant d'envoyer des satellites dans l'espace aurait été un pas technologique immense pour le continent africain. C'est surtout les fastes de Mobutu qui peuvent nous sembler loufoques. Rien n'est trop beau pour "son chef bien aimé" (que ce soit consenti ou non par le peuple…). Pour un Européen peu au fait du fonctionnement de la chefferie africaine, tout semble loufoque, mais là, une fusée en plus par-dessus tout ça, c'était trop!”
 
Aurélien Ducoudray fait ainsi ressortir un aspect bien classique des grandes ambitions sur le continent : bien plus pour servir, les dirigeants porteurs de grands projets de développement cherchent avant tout à se servir et quand la science se met au service de la politique, l’attelage fonctionne rarement.
 
Cela n’étonnera personne que la fusée congolaise fît un tour de piste, avant de piquer du nez et d’exploser sans grand-peine, au nez et à la barbe du président Mobutu.
 
Depuis, plus aucun chef d’Etat africain n’a osé s’exposer à pareille humiliation.
 
Mais les jeunes poursuivent le rêve, à défaut d’aller un jour dans l’espace, du moins, de pouvoir faire voler un engin à hauteur d’un immeuble.
 
En 2012, dans le monde francophone, un jeune nigérien de 28 ans, Abdoulaziz Kountché, a ainsi construit un drone capable de voler à 6000 mètres d’altitude, sur un trajet de 20 kilomètres.
 
Aujourd’hui, du Nord au Sud, l’Afrique compte des centaines de jeunes Abdoulaziz Kountché, hobbyistes de l’aviation et précurseurs potentiels d’une génération de frères Wright africains.
 
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Dans une récente interview à SciDev.Net, l’expert burinabé Sékou Ouédraogo, a déclaré :

"Il est vrai que des vocations naissent tôt et qu’elles permettent à des jeunes de progresser par la motivation et de s’orienter vers ces sciences. Mais ce n’est pas suffisant, car les sciences aéronautiques ou spatiales sont des sciences exactes qui nécessitent du professionnalisme et des moyens en formation de très haut niveau, ainsi que du matériel de qualité. C’est ce qui permet à un pays ou à un continent de décoller sur le plan technologique."
 
Seule consolation pour cette génération de bricoleurs : il est encore loin, le temps où la marine américaine viendrait faire le guet sur les côtes africaines, pour cause d’activités ballistiques illégales…