28/09/20

L’intelligence artificielle dans le secteur de la santé en Afrique

Artificial intelligence
Crédit image: Gerd Altmann de Pixabay

Lecture rapide

  • La faiblesse des systèmes de données en Afrique serait un atout pour booster l’intelligence artificielle
  • Dans le secteur de la santé, les solutions d’intelligence artificielle viendraient en appui au médecin
  • Mais, pour certains experts, le continent a davantage besoin de médecins et de solutions endogènes

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Les pays à faible revenu pourraient bientôt surclasser les Etats à revenu élevé en matière d’adoption des technologies de la santé basées sur l'intelligence artificielle (AI). C’est l’une des conclusions d’un rapport publié ce mois de septembre 2020 sous la direction de Microsoft et de la Fondation Novartis et intitulé « Reimagining Global Health through Artificial Intelligence : The Roadmap to AI Maturity »[1].
 
Dans un communiqué de presse, les auteurs de ce rapport justifient leur optimisme par le fait qu’un bon nombre de services adossés aux technologies de l’information et de la communication ont souvent été adoptés plus rapidement dans les pays à revenus faible et intermédiaire qu’ailleurs.
 
Citant entre autres les plateformes mobiles d'échange, les services bancaires électroniques ou encore le commerce électronique, ils concluent que « l'adoption des technologies de la santé suivra probablement la même tendance, avec la transformation numérique accélérée par la COVID-19 ».
 
Le rapport s’appuie sur l’exemple du Rwanda qui dispose aujourd'hui d’un service de conseil virtuel en santé dépassant les deux millions d'utilisateurs en mai 2020, soit un tiers de la population adulte. 

“L’opportunité qu’ont les pays à faible revenu est que n’ayant pas encore ces différents systèmes, ils peuvent une fois pour toutes développer un écosystème unique de sorte que tous les systèmes de données aient la même structure et soient interopérables”

Ann Aerts, Fondation Novartis

Dans un entretien accordé à SciDev.Net, Ann Aerts, directrice de la Fondation Novartis et l’un des auteurs du rapport, indique qu’un atout majeur pour les pays à faible revenu est que ceux-ci peuvent être exemptés des difficultés que rencontrent à présent les pays riches.
 
Ces derniers, explique-t-elle, ont déjà différents types de données hébergées par des systèmes qui ne sont pas toujours à même de communiquer, alors qu’ils doivent être interopérables pour être « efficacement » utilisés dans le cadre de l’IA.
 
« L’opportunité qu’ont les pays à faible revenu est que n’ayant pas encore ces différents systèmes, ils peuvent une fois pour toutes développer un écosystème unique de sorte que tous les systèmes de données aient la même structure et soient interopérables », poursuit Ann Aerts.
 
L’intéressée rappelle qu’il existe à ce jour plus de 300 possibilités d’utilisation de l’IA dans le secteur de la santé. Le rapport classe d’ailleurs ces multiples possibilités en cinq grandes catégories, à commencer par les solutions utilisant l'IA pour surveiller et évaluer la santé d'une population humaine.
 
A cela s’ajoutent les solutions qui utilisent l'IA pour découvrir et concevoir des médicaments, les solutions d'IA qui interagissent directement avec les patients, les solutions qui peuvent être intégrées dans les travaux cliniques existants et nouveaux, et enfin les solutions d'IA qui optimisent les processus tels que les achats, la logistique, la planification du personnel, la gestion de la répartition des services d'urgence, etc.
 
Ayant pris connaissance des conclusions de ce rapport, Fogue Foguito, chercheur et directeur exécutif de l’ONG Positive Generation qui milite pour l’accès aux soins de santé au Cameroun, le considère simplement comme « une analyse prospective ».
 
« Pour l'usager ou le citoyen lambda des pays à faible revenu, les investissements humains, technologiques et politiques nécessaires à la mise en place de l’IA ne nous permettent pas d'être aussi optimistes », justifie-t-il.
 
« Bien que nous soyons conscients qu'avec l'IA, tout va vite, les contraintes politiques et infrastructurelles nous amènent à être prudents », souligne Fogue Foguito.
 

Manque de personnel médical

Cette perception n’est pas très éloignée de celle de Barnabo Nampoukime Kan-Paatib, médecin togolais en service au Tongji Hospital à Wuhan (Chine), qui constate d’abord que nos pays manquent cruellement de personnel médical, la population manque de moyens, la majeure partie est illettrée, n’a pas accès à l’eau, à l’électricité ou encore à l’internet.
 
« Ce serait utopique de penser pouvoir rentrer dans l’ère de l’IA sans avoir atteint un niveau acceptable et accessible de soins de santé avec la médecine conventionnelle », conclut-il.
 
Pour sa part, Bernabé Batchakui, enseignant au département d’informatique à l’école nationale polytechnique de l’université de Yaoundé I (Cameroun), préfère faire une analyse approfondie de la situation.
 
« Au cœur de l’IA, il y a les données. Ceci n’est faisable que si nous disposons de l’infrastructure de stockage de ces données mise à la disposition de nos structures de soins de santé », introduit-il.
 
« Est-ce que si vous arrivez dans les hôpitaux de la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne deux ans après vos soins ou une consultation médicale, on est capable de vous donner l’historique de ce qui s’était passé ? La réponse c’est non. », analyse Bernabé Batchakui.
 

Préalables

En conséquence l’universitaire déduit qu’à la différence des technologies mobiles, l’adoption de l’IA en matière de santé requiert « d’importants préalables ».
 
Dès lors, dit-il, « nos gouvernements doivent mettre sur pied des politiques qui favorisent la préparation de l’acquisition des données et l’investissement pour l’acquisition des infrastructures de développement de IA, à l’instar des Data Center ».
 
Il rejoint ainsi les auteurs du rapport qui définissent d’ailleurs six axes sur lesquels les pays à revenus faible et intermédiaire devraient mettre l’accent pour le développement de l’IA dans la santé.
 
Ces axes se rapportent au personnel et à la main d’œuvre, aux données et à la technologie, à la gouvernance et à la réglementation, à la conception et aux processus, aux partenariats et enfin aux modèles commerciaux.
 
Au sujet du personnel et de la main d’œuvre, le rapport recommande par exemple que l'IA et la science des données soient intégrées dans les programmes nationaux d'éducation sanitaire aussi bien pour la formation initiale que pour la formation continue et l'éducation formelle.
 
Au sujet de la technologie, les pays devraient investir en priorité dans une architecture technologique robuste, la connectivité, l’accès à des données représentatives et de qualité, ainsi que dans l’interopérabilité, etc. 

“L’Afrique a besoin d’investir plus dans la formation de médecins et de rendre les soins de santé plus accessibles à la population.”

Barnabo Nampoukime Kan-Paatib, Tongji Hospital, Wuhan (Chine)

Mais, l’Afrique peut-elle se permettre de tels priorités alors qu’elle n’abrite que 3% des agents de santé en service dans le monde et qu’elle revendique la plus importante part dans la pénurie des agents de santé que le rapport projette à 18 millions en 2030 ?
 
« L’Afrique a besoin d’investir plus dans la formation de médecins et de rendre les soins de santé plus accessibles à la population. D’autre part, la population a besoin de sortir de la précarité et d’avoir accès à l’eau potable pour prévenir et réduire les maladies », répond le médecin Barnabo Nampoukime Kan-Paatib.
 
« Le problème est qu’on ne va jamais former les médecins et créer l’expertise assez rapidement pour résoudre les challenges que posent les problèmes de santé. Nous croyons que les médecins peuvent être assistés par des solutions d’IA dans leurs engagements avec les patients », réagit Ann Aerts.
 
Celle-ci illustre son propos en disant qu’avec les applications qui permettent de faire des diagnostics, on peut avoir des résultats plus rapides, permettant aux médecins d’accorder plus de temps à leurs patients.
 
« Le plus important est le design de ces données dès le départ ; car, les solutions qui vont réussir seront celles qui prendront en compte les besoins des médecins, des agents de santé et des patients », conclut la directrice de la Fondation Novartis.
 
Comme elle, Bernabé Batchakui  voit plutôt une complémentarité entre la formation des médecins d’une part et le développement de l’IA d’autre part.
 
« L’investissement dans l’IA va contribuer à la formation d’un grand nombre de médecins. L’IA permet par exemple, à travers la simulation des environnements d’apprentissage, de faire profiter aux jeunes médecins des acquis d’expertises stockés sous forme de données. A mon sens, il n’est pas question de privilégier l’un au détriment de l’autre. »
 

Solutions endogènes

Fogue Foguito, renchérit en disant que « l’IA pourra ou devra aider à réduire certains délais dans la prise en charge des usagers des services de santé ».
 
Pour autant, ce dernier pense que les solutions qui peuvent contribuer de manière « efficace » à l'émergence d'un système de santé qui réponde aux besoins des populations africaines sont « avant tout endogènes ».
 
« Notre système de santé ne doit pas toujours être une pâle copie de celui des pays qui nous ont colonisés, tant dans la démarche de soins que dans sa gestion et même son financement. Nous devons être en mesure d'associer et de maîtriser davantage les solutions africaines pour éviter cette surdépendance ».
 
« La gestion stratégique de la COVID-19 peut nous aider. On a vu des solutions africaines et une bonne coordination africaine de la riposte conduite par le centre de contrôle des maladies de l'Union africaine », pointe-t-il.
 
Au final, le rapport, rédigé par la Commission sur le digital et l’IA dans la santé[2], conclut qu’à défaut d’en être les grands gagnants, les pays à revenu faible et intermédiaire pourraient être les plus grands perdants s’ils n’investissent pas pour tirer profit du potentiel de l’AI et transformer leurs systèmes de santé.

Références


[1] « Réinventer la santé mondiale grâce à l'intelligence artificielle : la feuille de route vers la maturité de l'IA ».
[2] Cette commission a été créée en 2010 par l’Unesco et l’Union internationale des télécommunications.