20/11/13

La science peut-elle assurer la durabilité de la production alimentaire ?

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Crédit image: Chris Stowers / Panos

Lecture rapide

  • En 2050, il faudra nourrir dix milliards d’êtres humains, augmenter la production alimentaire est donc une nécessité
  • La science peut proposer des outils et des stratégies, mais les politiques aussi doivent évoluer
  • Il faut surtout trouver les moyens de transmettre les connaissances scientifiques aux agriculteurs

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Les émeutes qui ont secoué l’Afrique en 2007 et 2008 suite à une flambée des prix des denrées de base ont mis en évidence les conséquences des pénuries alimentaires.
 
Les images des manifestations ont fait le tour du monde, et l’instabilité qui a suivi a placé au centre du débat politique une question longtemps ignorée :, comment s’assurer que chacun ait accès à des aliments sains, nutritifs et en quantité suffisante ?
 
La question de la sécurité alimentaire touche tous les aspects du développement, de l’agriculture à la gestion environnementale à l’économie, en passant par la gouvernance et l’égalité sociale. C’est-là un défi particulièrement difficile à relever.
 
Une chose est sûre, tout de même. Pour espérer accroître la production alimentaire de 70 pour cent, afin de pouvoir nourrir une population croissante comme le prévoit l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il faudra faire mieux, avec moins de moyens.
 
Comment parvenir à une telle hausse durable de la production alimentaire constitue ‘l’une des plus grandes questions de notre temps’, d’après Sieg Snapp, enseignant des systèmes de sols et de cultures à l’Université d’Etat du Michigan aux Etats-Unis.
 
Selon certaines estimations, la Terre comptera dix milliards d’habitants d’ici 2050. L’augmentation de la production alimentaire nécessaire pour les nourrir doit donc être assurée, alors même que les ressources pour cultiver ces aliments subissent la pression de l’urbanisation, de la dégradation de l’environnement et de la concurrence des agrocarburants et du bétail pour l’utilisation des terres.
 
La science et la technologie ont eu un effet transformateur sur l’agriculture pendant la Révolution verte du siècle dernier.
 
Sont-elles la clé de la sécurité alimentaire au 21ème siècle ?
 
Ou alors les solutions à l’insécurité alimentaire passent-elles par des changements structurels, politiques et sociaux plus profonds ?
 

A elle-seule, la production céréalière ne suffit pas

 
Selon la FAO, plus de 2,3 milliards de tonnes de céréales sont produites chaque année, fournissant, directement ou indirectement à travers l’alimentation animale, l’essentiel des calories consommées par les êtres humains.
 
La FAO estime que le blé, le maïs et le riz à eux seuls fournissent près de la moitié des calories et 40 pour cent des protéines consommées dans le monde en développement.
 
Snapp reconnaît que les céréales sont considérées comme des produits agricoles essentiels, mais selon elle il est de plus en plus admis qu’on ne saurait se fier uniquement à elles pour nourrir le monde.
 
Les mesures traditionnellement utilisées pour assurer la sécurité alimentaire mettent un accent sur l’accès aux calories, et ne prennent pas en compte la nécessité de consommer une variété de nutriments, souligne-t-elle. Elles accordent plutôt la priorité aux systèmes de monoculture dont l’objectif est de maximiser le rendement des cultures céréalières, entraînant une alimentation pauvre en ce qui concerne certains micronutriments et protéines.
 
‘Si le monde continue sur la trajectoire de la monoculture, cela aura de graves conséquences sur la sécurité environnementale, alimentaire et nutritionnelle’, a-t-elle prévenu dans un entretien accordé à SciDev.Net.
 
La plus importante mesure pour l’amélioration de l’alimentation de la population, surtout celle des agriculteurs démunis, consiste à les encourager à produire plusieurs types d’aliments sur chaque petite exploitation, et plusieurs variétés différentes de chaque type d’aliment, précise-t-elle.
 
D’après ses recherches, les agriculteurs africains qui produisent la même année plusieurs cultures fixatrices d’azote, comme le soja, l’arachide et le pois de cajan, suivie l’année d’après d’une monoculture de maïs uniquement, ont des rendements proches de celle de la monoculture de maïs, mais avec 50 pour cent de teneur en protéines en plus, et ce en utilisant moitié moins d’engrais.
 
Les agriculteurs disposant d’un accès à une variété d’espèces de cultures traditionnelles et modernes sont mieux à même de faire face aux problèmes environnementaux comme la sécheresse ou les inondations, qui devraient s’aggraver à mesure que le climat se réchauffe, avertit Snapp.
 
La science a un rôle à jouer dans l’élaboration et la vulgarisation de ces stratégies. Mais sans appui politique, insiste-t-elle, ces stratégies risquent de ne pas être vulgarisées.
 
‘La diversité des cultures sur de petites exploitations est essentielle pour répondre aux exigences de la nutrition, de la sécurité alimentaire, de la médecine […], et mérite plus d’attention de la part des décideurs et des scientifiques’.
 

La diversification intervient-elle plus tard ?

 
Il est certes important de diversifier les cultures, mais les priorités de la recherche ne devraient pas pour autant se dévier des ‘piliers de la production alimentaire’, soutient Hans-Joachim Braun, Directeur du programme mondial du blé du Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) au Mexique.
 
L’amélioration de l’efficacité de la production céréalière est essentielle pour libérer des terres pour la production d’autres cultures sans réduire le montant total de calories produites, estime-t-il.
 
‘Nous devons augmenter la production [céréalière] à un rythme supérieur à celui de la croissance démographique – c’est seulement ainsi que nous pourrons suffisamment diversifier le système de culture’, explique-t-il à SciDev.Net.  

La science a en outre un rôle crucial à jouer dans l’amélioration de la qualité, et pas seulement de la quantité de céréales, en permettant une hausse des concentrations en micronutriments comme le zinc et le fer, poursuit-il.
 
La faim invisible, causée par la carence en micronutriments, ne peut être combattue uniquement par l’amélioration des cultures, reconnaît Braun, mais vu l’échec des programmes de biofortification dans plusieurs pays en développement, l’amélioration peut donner de bons résultats.
 
Les animaux sont une autre importante source de nutriments, mais avec la hausse dans la consommation de viande dans le monde, trouver des moyens efficaces d’élever le bétail sans faire concurrence à d’autres formes d’agriculture devient une priorité.
 
Le coton transgénique peut être considéré comme une innovation dans ce domaine parce qu’il élimine une toxine qui empêche généralement l’utilisation des déchets de graines de coton, riches en protéines, comme aliment pour l’aquaculture ou l’élevage du porc ou de volaille.
 
Si l’innocuité de cette nouvelle graine pour la consommation humaine venait à être établie, l’équipe internationale menant les recherches sur cette question estime qu’elle pourrait répondre aux besoins en protéines de 500 millions de personnes.
 
Les chercheurs examinent aussi d’autres options, notamment le développement de techniques d’élevage des insectes à partir de déchets alimentaires et humains, et la culture de tissus de protéines en laboratoire.
 

La science joue un rôle clé, les politiques aussi

 
Achim Dobermann, Directeur général adjoint chargé de la recherche à l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) aux Philippines, reconnaît que les programmes de recherche en amélioration des cultures jouent un rôle essentiel pour la sécurité alimentaire du futur.
 
Toutefois, à ce jour, l’amélioration génétique a mis principalement l’accent sur des gènes spécifiques ou des mécanismes de régulation des caractères, comme la résistance aux parasites ou la taille des graines. Or les chercheurs devraient se fixer des objectifs plus ambitieux tenant compte de plusieurs pistes génétiques, suggère-t-il.
 
Il est convaincu que l’amélioration des niveaux de photosynthèse, à savoir le processus par lequel les plantes transforment la lumière du soleil et l’eau en matière organique – un objectif auquel s’attèlent les projets actuellement mis en œuvre par l’IRRI et le CIMMYT – ou le fait de doter les céréales de capacités de fixation de l’azote pourrait déboucher sur des améliorations spectaculaires du rendement et de l’efficacité des cultures.
 
Il faudra pourtant attendre plusieurs décennies avant de voir ces stratégies inédites porter fruit. C’est pourquoi, entre temps, d’autres technologies doivent combler le vide, conclut Dobermann.
 
Dans le monde en développement, les techniques de conservation des aliments après récolte, comme les installations de séchage des graines et d’entreposage des récoltes doivent être améliorés, ajoute-t-il.
 
Selon un rapport conjoint FAO-Banque mondiale, rien qu’en Afrique subsaharienne, les lacunes de la transformation et le stockage des céréales peuvent coûter à la région US$ 4 milliards chaque année, une somme qui représente environ 15 pour cent de la production.
 
D’importantes mesures peuvent pourtant être prises, en ayant recours aux technologies et connaissances actuelles, pour améliorer la sécurité alimentaire, soutient Dobermann.
 
Mais certaines politiques, notamment les subventions accordées aux engrais à long terme ou la faiblesse des droits fonciers découragent souvent les agriculteurs souhaitant adopter de nouvelles stratégies. Ces politiques doivent être réformées si l’on veut stimuler l’innovation, l’accès aux nouvelles technologies et permettre l’avènement d’un secteur privé dynamique, insiste-t-il.
 
‘Cette absence de [volonté politique] est un obstacle – la situation ne s’améliorera pas tant qu’elle ne sera pas levée’.
 
Dans les pays en développement, les systèmes de ‘vulgarisation’, dont la mission est de combler le fossé entre les laboratoires et les exploitations agricoles sont souvent faibles, et constituent un important écueil à la diffusion des connaissances scientifiques, regrette Dobermann.
 
‘Je suis souvent frustré par le faible niveau d’adoption de technologies dont l’efficacité est prouvée, à cause du manque d’un personnel de vulgarisation motivé et disposant de moyens adéquats’, confie-t-il.
 

Vulgariser les connaissances

 
Les activités traditionnelles de vulgarisation menées par l’Etat ont tendance à cibler la promotion de certaines variétés de semences ou techniques, au lieu d’adopter des approches plus globales axées sur l’amélioration des rendements, tout en protégeant l’environnement.
 
Le CIMMYT entend changer cet état de choses en soutenant les pôles de connaissances déjà existants en Afrique subsaharienne et au Mexique. Ces entités fournissent aux agriculteurs des informations sur les semences, les pratiques agronomiques et les machines agricoles.
 
Grâce à des réunions, des ateliers et de plus en plus les téléphones portables, ces pôles donnent aux agriculteurs la possibilité de choisir les solutions qu’ils jugent adaptées à leurs problèmes.
 
La question de la transmission des connaissances scientifiques à ceux qui en ont besoin est au cœur du débat sur la sécurité alimentaire – mais elle est pourtant négligée, estime Shaun Hobbs, directeur de la Banque de savoir (Knowledge Bank) de Plantwise, un projet international de vulgarisation des connaissances sur les parasites des plantes et les maladies.
 
‘L’agriculteur de subsistance a véritablement soif de connaissances, mais en général il lui est difficile d’y accéder’, résume Hobbs.
 
Plantwise associe les connaissances traditionnelles et les approches scientifiques pour créer une base de données des maladies et des traitements, accessible en ligne et hors ligne. Le projet forme par ailleurs des vulgarisateurs locaux dans 31 pays, dont la mission est de diagnostiquer et traiter les maladies des plantes, et vulgariser ensuite ces connaissances auprès des agriculteurs locaux par l’intermédiaire de ‘cliniques’ organisées dans les lieux de rencontre des communautés locales.
 
Evaluer l’impact de ce projet n’est pas facile, mais les premiers résultats sont très prometteurs, selon Hobbs.
 
Ainsi, au Bangladesh les agriculteurs signalent une hausse de leur revenu et du rendement des cultures de l’ordre de 24 et 9 pour cent, respectivement, après leur passage à la ‘clinique’, révèle-Hobbs.
 
L’essor de la technologie numérique offre ‘l’occasion en or d’amplifier ce message’ et d’étendre sa portée, afin que chaque agriculteur puisse disposer de l’information nécessaire pour prendre des décisions éclairées, se félicite-t-il.
 
La sécurité alimentaire étant une question multidimensionnelle, il est peut-être illusoire de penser à une solution miracle. Mais l’élaboration de stratégies novatrices pour vulgariser les connaissances, associée à un appui constant accordé à la recherche, serait susceptible d’assurer que la science restera au cours des années à venir une arme efficace contre l’insécurité alimentaire.
 
Cet article est une composante du dossier de SciDev.Net sur la sécurité alimentaire.