14/12/18

Q&R : F. Ouattara, meilleur physicien africain de l’espace

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Le professeur Frédéric Ouattara félicité ce 12 décembre par Pat Robin Elisabeth Bell, présidente du comité électoral de l'Union américaine de Géophysique - Crédit image: Simon Bamouni

Lecture rapide

  • Le physicien burkinabé fait partie des lauréats 2018 de l'Union américaine de géophysique
  • Ses travaux montrent que les variations des couches ionisées permettent de déceler l’évolution du climat
  • Il rêve d'installer un planétarium dans son pays et de le doter d'une agence spatiale

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Chaque année, l'Union américaine de géophysique [American geophysical union (AGU)] rend hommage à des personnalités pour leurs réalisations, leurs contributions et leurs services exceptionnels à la communauté des sciences de la Terre et de l'espace.

Les médailles de l'AGU sont les plus hautes distinctions décernées par l'Union.

Elles reconnaissent les individus pour leurs travaux scientifiques et leur impact durable au sein de la communauté des sciences de la Terre et de l'espace.

Au nombre des lauréats de l'année 2018 se trouve le professeur Frédéric Ouattara, lauréat du Prix Afrique pour l'excellence de la recherche en sciences spatiales. Il a reçu sa médaille, à l'occasion de la conférence d'automne de l'AGU, qui prend fin aujourd'hui à Washington, aux Etats-Unis.

Le professeur Frédéric Ouattara est enseignant de physique à l’unité de formation et de recherche (UFR) en sciences et technologies de l’Université Norbert Zongo de Koudougou, au Burkina Faso.

Directeur de laboratoire de recherche en énergétique et météorologie de l’espace, ce scientifique dans l’âme totalise plus d’une dizaine d’années d’expérience dans la recherche spatiale, alors qu’il se destinait à une carrière en médecine.

En montrant que les modèles de mesures du Nord ne sont pas, tout le temps, efficaces au Sud, les travaux de Frédéric Ouattara permettront de remettre en cause ces mesures et de les améliorer.

Son plus grand rêve à court terme est de mettre en place un planétarium et de voir son pays se doter d’une agence spatiale à long terme.
SciDev.Net l’a rencontré pour vous.
 

Comment êtes-vous entré dans l'univers de la recherche ?

Après un Baccalauréat série C obtenu au lycée Ouezzin Coulibaly de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du Burkina, j’ai voulu étudier la médecine. Mais à l’époque, tous ceux qui avaient mené des études de série C avaient été orientés à l’Institut de mathématiques et de physique (IMP). Ainsi, je me suis retrouvé en train d'étudier les mathématiques, la physique et la chimie. Et chemin faisant, j’ai choisi la physique et me voilà physicien aujourd’hui. Dans l’ancien système, j’ai fait une thèse en énergétique et une thèse d’État dans les sciences de l’espace en 2006-2009, pour passer maître de conférences en 2010 et professeur titulaire en 2014.

À quoi sert un physicien de l'espace, en Afrique et surtout dans un pays comme le Burkina ?

Quand on parle d’espace, les gens voient avant tout les fusées, les avions, mais l’espace est aussi proche de nous et tout Burkinabè en a besoin. L’espace a l’air d’être loin, mais il est quand même tout proche de nous, du fait de ses influences sur notre vie. Nous communiquons entre nous par téléphone parce qu’il y a l’espace. Dans cet espace, il y a l’ionosphère, qui permet les communications radio et la fluidité des télécommunications. La navigation aérienne et maritime, le GPS, l’étude des sols, l’étude des forêts, font partie des sciences de l’espace. Aujourd’hui, les sciences de l'espace contribuent dans une mesure importante, à la lutte contre le changement climatique et la désertification.

Comment avez-vous accueilli l’annonce de ce prix faisant de vous, le meilleur physicien africain de l'espace ?

Gloire à Dieu ! Ce sont des choses qui arrivent rarement dans la vie d’un scientifique. Je n’y pensais pas, je travaillais pour la science et pour mon pays. Ce prix est un couronnement de tous les efforts accomplis, non seulement dans la formation, dans les productions scientifiques et la participation à la relève.

La sélection est faite par le comité d’organisation de l'Union américaine de géophysique qui fête son centenaire cette année. L'AGU s’est rendu compte qu’il y a des productions scientifiques de qualité sur notre continent. Les Africains contribuent à l'essor de cette science qui a l’air d’être réservée aux élites et à ceux qui ont des moyens. Ainsi, l'AGU a décidé d’encourager les scientifiques africains de l’espace. Le prix a été instauré en 2016. La première édition a été remportée par un Ougandais et la 2è édition par un Ethiopien. Et c’est la 1ere fois que le prix part dans un pays francophone. Cela n’est pas évident parce que les meilleurs articles s’écrivent en anglais. La publication dans les revues scientifiques de qualité coûte cher. Non seulement, il faut trouver des sujets intéressants et dans un bon anglais, mais aussi il faut trouver de bonnes revues pour les publier. Mon dossier a été défendu par des scientifiques américains, européens, africains et asiatiques. Tous ces scientifiques ont montré que j’ai contribué à l’avancée de la science de l’espace. C’est un honneur pour moi, mon équipe et pour le Burkina Faso.

Que représente cette distinction pour vous ?

Je disais à mes étudiants qu’il faut travailler pour réussir. Un travail bien fait sera tôt ou tard reconnu. Ce prix est l’expression de la reconnaissance du travail bien fait. Pour moi, ceci est un challenge qui nous est donné d’aller plus loin. Quand tu es distingué, tu ne peux plus dormir. Il faut aller plus loin et montrer que ceux qui t’ont décerné le prix ne se sont pas trompés. Nous souhaitons que cela soit le début de reconnaissance scientifique et non la dernière distinction.

Quels travaux vous ont valu ce prix ?

A la différence des autres, ce prix encourage un ensemble de travaux de qualité contributifs au développement de la science. Dans le domaine de la science de l’espace, il y a plusieurs compartiments dans lesquels les uns et les autres ont produit d’excellents résultats. Mon équipe et moi travaillons sur une couche de l'espace située entre 85 et 1000 km. Certains chercheurs travaillent sur les océans et sur la surface du sol. Nous avons montré qu’en étudiant les variations des couches ionisées entre 85 et 1000 km environ au-dessus de la terre, on peut déceler l’évolution du changement climatique à l’intérieur. Il y a des modèles conçus par des Américains et des Européens appelés modèles mondiaux qui ont pour objectif de modéliser des variations globales de l’atmosphère mondiale permettant de prédire et d’éviter les catastrophes. Avec ces modèles mondiaux, certains scientifiques pensaient qu’en coupant de façon symétrique le globe en Nord et Sud, les mesures s’appliquaient automatiquement au Sud. C’est ainsi qu’on se retrouve avec des modèles qui ne marchent pas au Sud. Il est une nécessité d’avoir des mesures aussi au Sud, différentes de celles qui se passent en Amérique du Sud et en Asie du Sud par exemple. C’est tellement différent que l’Afrique est devenue une nécessité pour les scientifiques de pouvoir améliorer les modèles mondiaux. Nous avons montré que ces modèles mondiaux ne sont pas très excellents au Sud, notamment au Burkina Faso. Nous travaillons à démontrer à partir de quel niveau ce n’est pas bon, afin de leur permettre de les améliorer. C’est la contribution de l’équipe du Burkina Faso. Aussi nous sommes dans un pays sahélien, on est sensible au changement climatique, donc prévoir l’avancée du désert et le changement climatique va permettre de comprendre l’évolution des cultures agricoles. Si on peut prévoir l’évolution de la pluviométrie d’ici 20 ans et plus, ce serait intéressant pour le peuple burkinabé à 80% agriculteur.

Concrètement, qu’est-ce que vous avez trouvé ?

Nous, nous travaillons dans l’espace situé entre 85 et 1000 Km, la zone ionisée qui permet des échanges de télécommunications. L’étude de la couche ionisée permet de savoir à quel moment elle sera perturbée et quand elle est perturbée, l'ampleur de l'impact de cette perturbation sur la communication. Elle permet à long terme d’évaluer le changement climatique.

Vos résultats font-ils l’objet d'une application au Burkina ?

Pas encore. Sinon nos études peuvent servir à tout le monde, aux systèmes de téléphonie, à l’agriculture, à l’hydrologie, à l’hydrographie, à la pluviométrie, etc. Le problème est qu’au Burkina nos résultats ne sont pas vulgarisés. Il faut travailler à faire connaître nos résultats et ensuite, faire en sorte qu’il y ait des retombées sociales. Aujourd’hui, nous avons un déficit d’enseignants de science, de mathématiques et de chimie au Burkina. Si on ne montre pas qu’on cherche et qu’on trouve, les gens ne vont pas s’intéresser à la science.

De quels moyens disposez-vous pour entreprendre vos recherches ?

Mon laboratoire a été comparé à un magasin par un de vos confrères. Pour faire de la recherche, il faut des moyens et nous n’en avons pas assez mais avec le peu que nous avons, nous obtenons d'excellents résultats. Si on avait plus de financement de l’État, nous ferions encore mieux. Les appareils coûtent très cher. Un appareil qui mesure la vitesse de vent neutre entre 450 et 500 km tourne autour de 200.000 dollars, soit plus de 115 millions de CFA.

Comment préparez-vous la relève ?

Je suis depuis 2014 professeur titulaire. J’ai formé six étudiants qui sont devenus des enseignants-chercheurs dans les universités du Burkina et du Tchad. Les doctorants que j’ai sous la main sont autour de 21 parmi lesquels, des Tchadiens et des Centrafricains. Dans deux mois, nous sortirons sept docteurs dont cinq à Koudougou, la première promotion des doctorants made in Koudougou. Normalement dans deux ans, j’aurai des professeurs titulaires. La relève est assurée à mon niveau.

Aujourd’hui, on constate qu’il y a moins d’engouement pour les séries scientifiques. À votre avis, qu’est-ce qu’il faut faire pour inverser la tendance ?

Nous organisons, depuis l’année passée, des olympiades de mathématiques et de physique à l’Université Norbert Zongo, à Koudougou. A cette occasion, nous primons les meilleurs. Au total, durant ces deux années, nous avons primé 15 étudiants dont 3 femmes qui ont osé participer. L’objectif est d’inciter les étudiants à la compétition et donner une envie de faire la science. Il faut cesser de faire croire que les sciences sont difficiles. J’aime dire à mes étudiants que personne n’est né avec quoi que ce soit, tout le monde a appris. Il faut que les lycées et collèges soient équipés en salles de travaux pratiques. La bonne nouvelle au Burkina est que l’État a décidé de créer des lycées scientifiques dans les régions. C’est une bonne dynamique de promotion de la science. Actuellement, tout admis au Bac C bénéficie automatiquement d'une bourse ; c’est un encouragement à prendre à cœur les séries scientifiques.

Quel est votre plus grand rêve de physicien ?

Mon rêve est de construire un planétarium et doter le Burkina d’une agence spatiale. Le planétarium permettra aux enfants, aux élèves des lycées et collèges et aux étudiants de prendre connaissance de la naissance de l’univers. J’espère que cela va susciter en eux l’amour pour la science. Sans les sciences, le monde paraîtra toujours mystérieux et ça posera toujours des problèmes. Aussi mon souhait est que l’État finance la recherche. Que l’État nous aide financièrement dans la publication scientifique. Mon souhait à long terme est que le Burkina puisse créer une agence spatiale. Il y en a en Égypte, au Nigeria et en Afrique du Sud. L’agence nous permettra de contribuer à l'avancement de nos sociétés, aussi bien dans le civil que dans le militaire. Sur ce dernier point, en contribuant, par exemple, à la lutte contre le terrorisme. Je souhaiterais voir toutes ces réalisations avant de prendre ma retraite dans une dizaine d’années.