17/05/21

Burkina Faso : L’Etat impuissant face au casse-tête des taxis à gaz

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Un taxi modifié et fonctionnant au gaz domestique saisi à Bobo Dioulasso. Crédit image: SciDev.Net / Abdel Aziz Nabaloum

Lecture rapide

  • Une modification artisanale permet à un nombre croissant de taxis d’utiliser du gaz à la place de l’essence
  • Les acteurs de cette activité évoquent des raisons économiques et des risques plus imaginaires que réels
  • L’Etat paraît faible face à cette violation de la loi qui interdit le transport des passagers avec des explosifs

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[OUAGADOUGOU] Le vendredi, 30 avril dernier, pas moins de 167 taxis ont été saisis et mis en fourrière par la police municipale de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Parmi les motifs de cette saisie massive figure en bonne place l’utilisation du gaz domestique comme combustible à la place de l’essence.

Le phénomène des taxis à gaz qui avait commencé à Bobo-Dioulasso, la capitale économique du pays, il y a 25 ans s’est peu à peu étendu dans le pays pour devenir aujourd’hui un casse-tête que les autorités ont du mal à résoudre.

Un casse-tête alimenté par des incidents comme celui qui s’est produit le vendredi 27 novembre 2020. Ce jour-là, l’explosion d’un car transportant une vingtaine de passagers et 14 bouteilles de gaz sur le porte-bagages, avait fait 5 morts et 14 blessés, à la sortie ouest de Ouagadougou.

“Quand un taxi a été traficoté pour consommer du gaz, personne ne vous garantit la sécurité de l’installation. Voilà, pourquoi, nous luttons contre le phénomène. C’est une action de sécurité publique contre d’éventuelles atteintes à l’intégrité physique ou à la sécurité”

Adama Pamtaba, police municipale de Ouagadougou

A la suite du drame, une centaine d’autres taxis utilisant du gaz domestique avaient été saisis dans la journée du mardi 1er décembre 2020 à Bobo-Dioulasso et mis en fourrière ; une action loin d’éliminer ce fléau qui demeure d’actualité.

Ainsi, à la gare de taxis « Ougarinter » à Ouagadougou, nombreux sont les taxis qui fonctionnent au gaz butane. Résultat d’une modification qui débouche sur l’installation d’une bouteille de gaz domestique dans le coffre du véhicule.

Dans son garage baptisé « Atelier de soudure à gaz », sis au quartier Sanyiri dans le 5e arrondissement de Ouagadougou, Moumouni Ouédraogo, garagiste et chauffeur de taxi, dit avoir déjà modifié plus de 200 taxis.

Il explique que pour cette opération de modification, il suffit de connecter la bouteille de gaz à un appareil nommé « clapet », via un tuyau. La bouteille est ensuite posée dans le coffre du véhicule et le clapet connecté au système de démarrage et au carburateur.

Il ajoute que le clapet filtre alors le gaz pour le conduire en faible quantité dans le carburateur. Et il conclut en disant que lorsqu’on allume le moteur, le véhicule démarre à l’aide du gaz.

« Avant que le gaz n’arrive dans le carburateur, il perd considérablement son poids initial pour ne laisser passer qu’une infime quantité. Lorsque vous coupez le moteur, le gaz arrête immédiatement d’alimenter le carburateur », indique Moumouni Ouédraogo.

Coût

Les taximen interrogés par SciDev.Net affirment que le coût élevé de l’essence et du gasoil réduit leurs recettes et ne leur permet pas de faire face à leurs charges. Raison pour laquelle ils sont nombreux à modifier ainsi leurs taxis pour faire plus de profits.

Moumouni Ouédraogo le confirme en faisant savoir que rouler avec le gaz butane est économiquement plus rentable que de fonctionner avec du gasoil ou de l’essence.

« J’ai un taxi qui consomme du diesel. Si, je mets de l’essence pour 5 000 F CFA, je fais une recette de 8 000 FCFA. Or, avec la bouteille de 12 kg de gaz qui coûte 5 000 FCFA, je peux faire 100% de bénéfice », confie-t-il.Adama Traoré est lui aussi propriétaire et chauffeur de taxis. Pour les mêmes raisons économiques, il n’a pas hésité à modifier deux de ses véhicules pour les adapter au gaz.

« Vu le coût de l’essence qui est de plus de 600 FCFA/litre, je ne peux même pas m’en sortir économiquement. Avec 5 000 FCFA de gasoil, je ne peux parcourir 100 Km. Or, avec 5 000 FCFA de gaz, je peux aller à plus de 120 Km », témoigne-t-il.

Ainsi, dans les coffres de certains taxis, les bagages côtoient des bouteilles de gaz. Les passagers sont souvent conscients de cette situation, mais, préfèrent s’en accommoder pour les mêmes raisons économiques qu’évoquent les chauffeurs et propriétaires de taxis.

Danger

« J’emprunte le taxi à cause de son faible coût. Je n’ai pas les moyens de me procurer une moto ni assez de temps pour attendre le bus. Si, le taxi peut me permettre d’aller ou je veux, sans être en retard, le danger n’est pas un problème pour moi. Je n’ai pas peur qu’il explose », se défend un habitant de Ouagadougou.

Ce dernier rejoint ainsi le mécanicien Boureima Sinaré que nous trouvons dans son garage sis au secteur 24 de Ouagadougou, en pleine modification d’un taxi. Il explique que les taxis à gaz ne présentent « aucun danger » pour les usagers et les chauffeurs.

Même si des incidents comme les fuites de gaz ou des incendies « mineurs », surviennent « rarement », ils ne peuvent pas mettre en danger la vie des personnes, dit-il.

Dans ce taxi saisi par la police municipale de Bobo-Dioulasso, deux bouteilles de gaz butane font fonctionner le véhicule. Crédit: SDN/AAN

En effet, lorsque les installations s’usent, affirme Boureima Sinaré, il peut y avoir des fuites de gaz, mais c’est sans danger pour les occupants du véhicule.

« Il suffit de resserrer les joints pour arrêter la fuite. J’ai plusieurs fois senti la fuite du gaz. Je suis juste descendu du véhicule pour resserrer les joints de la bouteille de gaz. Les passagers ne s’en sont même pas rendu compte. Tant qu’il n’y a pas une fuite réelle entre le clapet et la bouteille, il n’y a pas de problème », témoigne Adama Traoré.

Risques d’incendies

Cet avis n’est cependant pas partagé par certains acteurs et les autorités communales pour qui les taxis à gaz sont des dangers pour leurs usagers à cause des risques d’incendies, de courts-circuits, d’explosions. C’est pourquoi, ls autorités ont mandaté la police municipale pour traquer les chauffeurs qui roulent à l’aide du gaz domestique.

Pour Léopold Kaboré, le président de la Fédération des associations pour la promotion de la sécurité routière au Burkina Faso, les autorités sont les garants de la sécurité des citoyens. A cet effet, elles ne doivent pas les laisser à la merci des taximen qui ne pensent qu’à faire du profit aux dépens de la vie des passagers.

Ce dernier est convaincu que la seule action qui vaille, c’est d’interdire purement et simplement cet usage du gaz butane et veiller strictement à son application, sans état d’âme.

La police municipale multiplie les contrôles pour arrêter les chauffeurs qui refusent d’abandonner l’utilisation du gaz. Crédit: SDN/AAN

Adama Pamtaba du service de communication et des relations publiques de la police municipale de Ouagadougou, apporte d’abord une clarification en affirmant que l’utilisation du gaz comme combustible dans les véhicules n’est pas interdite, car, des véhicules hybrides sont fabriqués et peuvent consommer l’essence et le gaz butane.

« Sur ce plan, il n’y a aucun problème parce que ce sont des véhicules qui ont été conçus originellement pour cette forme de combustion », dit-il.

Toutefois, il fait savoir que les textes de 1963 et 1974 qui définissent les conditions de circulation sur la voie publique disposent que « aucune modification ne doit être apportée à la structure originelle du véhicule ».

Sécurité

Il poursuit en expliquant que lorsqu’un véhicule est conçu pour consommer exclusivement de l’essence comme combustible, et qu’on passe par des traficotages pour changer son système de consommation en gaz sans que ce travail soit effectué par un spécialiste et sans qu’il soit homologué, cela pose un problème.

« La cupidité est mise en exergue au détriment de la sécurité. Quand un taxi a été traficoté pour consommer du gaz, personne ne vous garantit la sécurité de l’installation. Voilà, pourquoi, nous luttons contre le phénomène. C’est une action de sécurité publique contre d’éventuelles atteintes à l’intégrité physique ou à la sécurité », insiste l’assistant de police.

Lorsqu’on installe le gaz butane dans ces voitures, dit-il, on est obligé de changer toute la tuyauterie. « Et qui garantit la fiabilité de cette nouvelle tuyauterie pour conduire le gaz du coffre du véhicule au système d’allumage, ou la fiabilité et l’expertise de celui qui a fait l’installation ? » S’interroge Adama PamtabaAu regard des « multiples dangers » encourus, il estime que les installateurs doivent avoir la qualité technique et être reconnus par l’Etat. « Si vous trouvez n’importe quel mécanicien au bord de la rue qui vous installe ce système, il n’y a aucune garantie sécuritaire. S’il y a ensuite une fuite de gaz dans le taxi et quelqu’un fume, ou le taxi passe devant une source incandescente, c’est très dangereux », prévient-il.

Dieudonné Ouédraogo, doctorant en sciences exactes et appliquées à l’université Pr Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou et spécialiste en énergies renouvelables, estime pour sa part que l’utilisation du gaz butane pour alimenter les taxis pourrait être une bonne chose, à condition d’en maitriser la technologie.

« L’utilisation du gaz butane nécessite certaines conditions notamment en ce qui concerne son stockage. Parce que le gaz n’aime pas les endroits où il fait chaud », dit-il.

Risques d’explosions

« Ainsi, il peut y avoir des risques d’explosions ou d’incendies. Donc, il faut arriver à maitriser le stockage en trouvant une technologie de telle sorte à éviter ces risques d’incendies », poursuit Dieudonné Ouédraogo.

Pour Roger Barro, inspecteur de l’environnement et directeur de la prévention de la pollution et des risques environnementaux au ministère de l’Environnement, de l’économie verte et du changement climatique, le butane est considéré comme une énergie propre dont l’utilisation ne crée pas beaucoup de pollution et utilisé correctement, le mélange butane et propane (gaz propre) permet de diminuer les émissions de polluants.

« Le gaz de pétrole liquéfié (GPL) émet 20% de CO2[1] de moins que l’essence pour les véhicules et 90% de CO[2] de moins que l’essence. Le butane forme un mélange explosif avec l’air lorsqu’il est libéré à une concentration de 1,8% à 8,5% », fait savoir ce dernier.

Roger Barro, directeur de la prévention de la pollution et des risques environnementaux au ministère de l’Environnement. Crédit: SDN/AAN.

Roger Barro estime que cela s’aggrave lorsqu’on n’a pas pris des mesures pour maitriser cette fuite du gaz butane ; « ce qui est le cas avec l’utilisation du gaz dans les taxis dont le mécanisme d’alimentation est installé de façon artisanale ».

Faute de respecter ces conditions, l’inhalation du butane expose les chauffeurs et passagers à des maladies. Georges Ouédraogo, pneumologue au centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou précise qu’en inhalant le gaz, le butane va remplacer l’oxygène dans les poumons, créer un état de manque d’air et provoquer une sensation d’ébriété avec la tête qui tourne, le cœur qui bat plus vite, l’euphorie…

« Et cela peut déboucher sur une forme sévère d’hypoxie, si le butane remplace l’oxygène dans des proportions importantes », dit le médecin.

Installations pas bonnes

Mais, Adama Traoré trouve que ces risques encourus sont moins importants que ce que les autorités décrivent. Il explique encore qu’en 2013, les installations de l’un de ses véhicules n’étaient pas bonnes. En se touchant, les fils ont fait masse et ont commencé à s’enflammer.

« Le conducteur, sans paniquer, a alors déconnecté le clapet et extirpé la bouteille de gaz et éteint le feu. Par contre, si ça avait été l’essence, il aurait fallu qu’il descende pour fuir et laisser le véhicule se consumer », raconte-t-il.

Pour Georges Ouédraogo, pneumologue au centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou, en inhalant le gaz le butane, l’on s’expose à une forme sévère d’hypoxie. Crédit: SDN/AAN.

Moumouni Ouédraogo partage cet avis, à la lumière de son expérience. Il raconte qu’en 2018, son véhicule qu’il avait garé au grand marché de Ouagadougou pour papoter avec ses collègues taximen avait failli se consumer.

« Lorsque j’ai quitté le véhicule, une masse avait dû se produire en mon absence. Les gens ont maitrisé le feu avec du sable. Quand je suis revenu, je n’ai constaté aucun dégât. J’ai redémarré la voiture sans problème. Si, ça avait été l’essence ou le gasoil, le véhicule se serait consumé avant mon arrivée », dit-il.

« Cercueils roulants »

D’où l’insistance d’Oumarou Kiema, le président de la Fédération nationale des taximen et des travailleurs du secteur des transports du Burkina (FNTT-STB). Celui-ci martèle que les taxis à gaz n’ont jamais été des « cercueils roulants » pour les passagers. Car, dit-il, « depuis des décennies, elles n’ont jamais fait de victimes. Depuis 20 ans, je n’ai jamais vu de morts ni même de blessés dus à l’explosion d’un taxi ».

Aussi, en dépit des efforts des autorités pour éradiquer le phénomène, le nombre de taxis à gaz ne cesse d’augmenter, encouragé par les passagers eux-mêmes : « Je suis bien conscient des dangers auxquels je m’expose, mais, je prends le risque. La mort peut survenir à tout moment, l’essentiel c’est d’arriver à destination sans problème. On ne peut pas vérifier les coffres des véhicules chaque fois avant d’y entrer », témoigne Abdoul Djalil Zongo, un habitant de Ouagadougou, habitué à emprunter les taxis.

Mis en fourrière, la plupart des taxis, objet de modification sont dans un mauvais état. Crédit: SDN/AAN

Ouagadougou compte près 400 taxis et Bobo-Dioulasso près de 250 et il y a toujours des taxis qui fonctionnent à l’aide du gaz butane, reconnait Oumarou Kiema.

Ce dernier confie que la persistance de ce phénomène qui a débuté à Bobo-Dioulasso, il y a 25 ans, est aussi due à un manque de volonté politique, car, l’Etat s’était engagé à aider les taximen financièrement pour changer les moteurs des véhicules à gaz et renouveler le parc des taxis.

« Lorsqu’un véhicule est modifié, ce n’est plus possible qu’il fonctionne avec l’essence ou du gasoil parce que le gaz détruit tout le système », explique Oumarou Kiema. Il ajoute que si ce soutien avait été effectif, plus aucun taxi à gaz ne serait en circulation. Il confirme au passage qu’aucun texte n’interdit l’utilisation du gaz pour alimenter les taxis.

Ultimatum

Vu l’ampleur du phénomène, le ministère de l’Intérieur avait décidé de prévenir tout danger en lançant un ultimatum pour le 31 mars 2016. A cette date, tous les taxis modifiés devaient être revenus au gasoil ou à l’essence, au risque de voir leurs propriétaires sanctionnés.

Les polices municipales de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso avaient alors engagé une chasse contre les taximen utilisant les bouteilles de gaz. A Ouagadougou, plus de 150 taxis avaient été mis en fourrière avec paiement d’une contravention de 25 000 FCFA. Mais, le phénomène n’a toujours pas reculé.

Le jeudi 7 janvier 2021, l’explosion d’un camion-remorque transportant des centaines de bouteilles de gaz butane dans la ville de Banfora est venue rappeler les dangers encourus. Crédit: SDN/AAN

Ces taxis constituent un danger pour la population, selon le directeur de la police municipale de Bobo-Dioulasso, Seydou Coulibaly. « Chaque taxi contenait au moins deux bouteilles de gaz butane. Avec l’utilisation des bouteilles par les taximen, le risque de danger est très élevé. La police ne compte pas attendre qu’un drame survienne avant d’agir », indique-t-il.

Le président de la Faîtière unique des transporteurs routiers du Burkina (FUTRB), Issouf Maïga, martèle qu’il faudrait un « respect strict » de la réglementation en vigueur en matière de sécurité routière qui consacre l’interdiction formelle de transporter des explosifs avec des personnes.

« Le transport de personnes ne doit pas être associé au transport des explosifs, car, c’est totalement interdit », signifie-t-il. Il insiste en précisant que le transport de bouteilles de gaz est conditionné par des équipements adéquats pour permettre de maîtriser la situation en cas d’accident.

« Mais au grand jamais, on ne devrait transporter des personnes avec des bouteilles de gaz », tranche-t-il.

Références

[1] Dioxyde de carbone

[2] Monoxyde de carbone