21/04/10

Les pays africains doivent s’associer pour le développement des médicaments

Plusieurs pays africains tentent d'activer la production pharmaceutique locale Crédit image: WHO/P.Virot

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Ibrahim Assane Mayaki et Carel IJsselmuiden recommandent aux pays africains de mettre en commun leurs ressources pour promouvoir l’innovation locale dans le domaine de la pharmacie.

Si le quart du fardeau mondial des maladies incombe à l’Afrique, le continent recense moins de un pour cent des dépenses mondiales consacrées à la santé.

Près de la moitié de la population du continent n’a pas accès aux médicaments essentiels et les quelques médicaments disponibles viennent souvent de l’extérieur – l’Afrique sub-saharienne importe près de 90 pour cent de ses médicaments.

L’absence d’innovation dans le domaine pharmaceutique et de l’accès aux médicaments essentiels entrave sérieusement la capacité du continent à découvrir et à développer des médicaments qui répondent aux besoins locaux en matière de santé publique, ainsi qu’à livrer les médicaments en temps opportun, à un coût abordable.

Pour investir dans l’innovation locale dans le domaine pharmaceutique, les pays peuvent mettre l’accent sur les avantages économiques à long terme tirés du renforcement des secteurs scientifique et technologique et des secteurs adjacents, comme les infrastructures de distribution des médicaments. Stratégie alternative, les gouvernements peuvent se concentrer sur l’amélioration de l’accès universel aux médicaments essentiels.

Les deux approches sont viables et lors de la réflexion sur les stratégies d’innovation les pays adoptent souvent un mélange des deux objectifs. En fin de compte, les décideurs doivent définir précisément l’équilibre auquel ils souhaitent parvenir et élaborer une stratégie qui réponde à leurs objectifs – le développement économique, l’amélioration de l’accès, ou les deux.

Dans les deux cas, l’investissement dans l’innovation pharmaceutique permettrait au continent de cibler le développement de médicaments pour des maladies touchant spécifiquement les populations, tout en explorant et profitant du grand potentiel de médecine traditionnelle en Afrique.

Des signes prometteurs

Certains signes suggèrent que les dirigeants africains prennent conscience de la nécessité de l’innovation et de la production pharmaceutiques locales.

A l’heure actuelle, trente-sept pays du continent se sont engagés dans une certaine forme de production de médicaments. L’Egypte et la Tunisie, notamment, connaissent des succès, en satisfaisant 60-95 pour cent de leurs propres besoins en médicaments.

Mais ailleurs en Afrique, la capacité de production locale est généralement faible et l’essentiel de la ‘production’ qui existe ne se résume qu’à l’emballage, et à la reformulation des principes actifs existants. L’Afrique du Sud est le seul pays qui produit de nouveaux ingrédients pharmaceutiques actifs.
 
Le rôle joué par la communauté sanitaire mondiale – y compris les programmes multilatéraux de santé, les bailleurs de fonds et les agences des Nations Unies – s’est avéré décisif dans l’approvisionnement de médicaments abordables pour lutter contre les maladies négligées par les laboratoires pharmaceutiques, guidés par la recherche des profits.

Ainsi, le Programme de Lutte contre l’Onchocercose (PLO) a considérablement fait reculer la cécité des rivières au cours des 40 dernières années, et diverses initiatives visant à développer des antirétroviraux pour combattre le VIH/SIDA ont considérablement augmenté le nombre de personnes traitées au cours des cinq dernières années.

Mais depuis trop longtemps, ce sont les acteurs internationaux qui ont établi l’agenda pour la recherche en santé et développement de médicaments en Afrique.

Il est impératif que les pays soient autorisés à fixer leurs propres priorités et à formuler leurs propres stratégies pour répondre aux besoins de leurs populations.

Comment prendre les rênes

Plusieurs pays africains œuvrent à l’heure actuelle pour faire de cette vision une réalité. Le Kenya, le Nigeria, l’Afrique du Sud et la Tanzanie, entre autres, ont adopté des politiques visant à orienter les investissements dans le développement, la production et l’approvisionnement de médicaments pour leurs populations. On peut également citer l’autorité nationale de réglementation des médicaments en Tanzanie et les politiques nigériane et sud-africaine dans le domaine des médicaments traditionnels.

L’innovation locale dans le domaine pharmaceutique est un principe accepté partout sur le continent. Tous les 55 membres de l’Union africaine (UA) ont signé les Déclarations de Gaborone et d’Abuja soutenant le développement d’un plan de l’innovation pharmaceutique en Afrique.

Par ailleurs, une récente initiative mené par le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), baptisé Renforcement de l’Innovation pharmaceutique en Afrique, signale le coup d’envoi de la tentative de mise en pratique de l’innovation pharmaceutique en Afrique.

Lors d’une réunion convoquée en février par l’UA et le Conseil de la recherche médicale au service du développement à Pretoria, en Afrique du Sud, des responsables scientifiques, politiques et industriels africains ont approuvé un plan d’action visant à renforcer l’expertise des pays du continent dans le domaine de l’innovation pharmaceutique (voir l’Afrique veut se lancer dans la R&D sur les médicaments).

Lors d’une réunion en mars, la Conférence ministérielle africaine de la science et technologie (AMCOST) a reconnu le rôle joué par cette initiative comme un ingrédient clé dans la mise en œuvre du Plan de l’UA pour la Fabrication des Produits pharmaceutiques pour l’Afrique.

Elle s’avérera également indispensable dans la mise en œuvre de la Stratégie mondiale et du Plan d’action de l’OMS en matière de santé publique, d’innovation et de propriété intellectuelle, qui seront examinés le mois prochain par les représentants de 193 pays lors de l’Assemblée mondiale de la santé.

Néanmoins, des infrastructures et des compétences limitées font de la perspective des systèmes d’innovation du laboratoire au malade un rêve lointain pour de nombreux pays africains.

Efforts collectifs

Des progrès bien plus rapides pourraient être réalisés par la mise en commun de ressources entre les régions. Par l’intermédiaire des ‘Comités économiques régionaux’, chaque pays pourrait décider des compétences à développer et des stratégies à adopter pour attirer les investissements dans la région, en faisant appel à l’expertise internationale si nécessaire.

Au nombre des opportunités de coopération régionale figurent le partage de l’enregistrement des médicaments, le contrôle de la qualité, les essais cliniques, l’éducation et la formation professionnelle des pharmaciens. Cela permettrait de réduire les coûts des investissements et de créer des économies d’échelle dans le domaine de l’innovation et de la production.

L’approbation le mois dernier de l’Initiative de renforcement de l’innovation pharmaceutique en Afrique par l’AMCOST ouvre la voie à une action commune — associant décideurs politiques, fabricants de produits pharmaceutiques et les partenaires de développement – pour faire des stratégies pharmaceutiques pilotées par les pays une réalité en l’Afrique

Elle marque le début d’un véritable mouvement visant à créer un nouveau cadre permettant aux gestionnaires de la recherche et de l’innovation en Afrique de relever le défi du développement de l’innovation pharmaceutique sur le continent.

Ibrahim Assane Mayaki est le Secrétaire exécutif du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD).

Carel IJsselmuiden est le directeur du Conseil de la recherche médicale au service du développement (COHRED).