11/06/10

La modernisation de la médecine traditionnelle doit tenir compte des besoins des populations

Les ‘maisons d'attente’ au Pérou permettent des pratiques traditionnelles comme l’accouchement en position verticale Crédit image: Salud Sin Límites Perú

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Pour Oswaldo Salaverry, les besoins sanitaires locaux doivent être primordiaux dans tout effort visant à fusionner médecines traditionnelle et moderne.

L'Amérique latine abrite une grande quantité de médicaments traditionnels. Entre 45 et 50 millions de personnes, des populations indigènes habitant principalement dans les zones rurales, en dépendent pour leurs soins de santé quotidiens et leur protection contre les maladies infectieuses. Dans les zones urbaines aussi, de nombreux concepts et remèdes traditionnels sont utilisés en parallèle à des médicaments modernes.

Dans un tel contexte, des politiques sachant rapprocher médecines traditionnelle et moderne sont vitales pour assurer la santé publique. Pourtant, associer ces deux écoles n'est pas une tâche facile – il faudra d’abord instaurer un changement dans la façon dont la médecine est enseignée, étudiée et pratiquée.

La médecine traditionnelle est souvent perçue par les chercheurs occidentaux comme une simple source de médicaments. Les plantes ont effectivement apporté d'importantes contributions à la médecine moderne – la quinine, par exemple, cet antipaludique efficace, provient de l'écorce de l’arbre appelé cinchone et sert de remède traditionnel latino-américain depuis longtemps.

La quête de nouveaux principes actifs s’intensifiant, les regards se tournent vers l'Amérique latine, berceau de plus de 400 cultures traditionnelles et l'un des plus grands réservoirs de la biodiversité du monde. Les espoirs de voir le continent offrir un filon de nouveaux médicaments sont grands.

Un triste ménage

Les bailleurs de fonds occidentaux, qui financent la recherche et, de ce fait, imposent souvent leurs politiques, ont tendance à mettre l’accent sur les maladies présentant un intérêt pour le monde développé. Cela ne contribue guère à améliorer la santé publique dans les zones d’où viennent les principes actifs. De même, le fait que la médecine traditionnelle traite principalement les maladies infectieuses, plutôt que les maladies complexes ou chroniques des sociétés occidentales, est négligé.

Les règles de la propriété intellectuelle encadrant les résultats de recherche représentent un autre défi. De nombreuses communautés indigènes d’Amérique latine soutiennent que les connaissances traditionnelles collectives — sur les plantes médicinales, par exemple — devraient être officiellement reconnues et les avantages qui en découlent partagés entre chercheurs et communautés. Mais cette vision s’accommode mal avec les systèmes occidentaux fondés sur les brevets.

La question est complexe et la législation y répond de façon inadéquate. La plupart des pays ont élaboré des règles de protection des brevets plutôt appropriées aux besoins d’un laboratoire de recherche, mais peu de pays reconnaissent juridiquement les connaissances ancestrales.

Praticiens

Par ailleurs, des conflits opposent praticiens traditionnels et modernes. De nombreuses pratiques médicales traditionnelles, comme l’accouchement en position verticale – où la mère se met à genoux ou s’accroupit pendant le travail – sont jugées désuètes ou primitives par les médecins modernes.

Pourtant, les preuves montrent que l’accouchement en position verticale peut améliorer de manière considérable les taux de survie des nouveau-nés dans les communautés indigènes. Ainsi, au Pérou, la formation du personnel en accouchement vertical et en d'autres actions de santé publique a réduit presque de moitié la mortalité infantile entre 2004 et 2009.

Cet exemple n'est que l'un des résultats d'un plan innovateur régional visant à rapprocher médecines traditionnelle et moderne, dans le but d'améliorer la santé des populations indigènes.

Le Plan andin interculturel de Santé en Amérique latine est le fruit d'un traité regroupant six ministères nationaux de la santé (Bolivie, Chili, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela), connu sous le nom de Convention Hipólito Unanue de l’Organisation andine de la Santé.

L’un des objectifs ambitieux de ce plan est d'inclure l'ethnicité dans les registres officiels de santé de la région, de sorte que des indicateurs de santé spécifiques aux populations autochtones puissent être développés. Ce système serait utilisé pour quantifier le nombre d'Indiens souffrant de la tuberculose ou du VIH/SIDA, par exemple, mais aussi pour permettre d’émerger une reconnaissance des maladies culturelles comme le susto, un syndrome de détresse dans lequel l'âme d'une personne – qu’on croit perdue après un épisode de frayeur – peut être retrouvée en suivant certains rituels. Un autre objectif visé est de doter les personnels de santé des talents interculturels.

Ce plan progresse sur plusieurs fronts. Au Pérou, des innovations comme les ‘maisons d'attente’, qui fournissent hébergement et soins de santé aux mères avant la naissance, ont réalisé des améliorations spectaculaires en matière d’indicateurs de santé maternelle.

Si elles font partie intégrante d'un système de santé moderne, ces installations permettent néanmoins des pratiques traditionnelles comme l’accouchement en position verticale, la consommation d'infusions pendant le travail, la présence du père de l'enfant et l'utilisation de couvertures au lieu de chemises d'hôpital. Ces maisons d'attente ont fait passer la moyenne nationale de naissances assistées par un personnel formé de 71 à 83 pour cent entre 2004 et 2009.

Pourtant, malgré les preuves attestant des avantages tangibles en matière de santé publique réalisés grâce à la fusion des médecines traditionnelle et moderne, et en dépit de la signature d’un traité signé pour en assurer la promotion, les ministères de la santé n’ont à ce jour pas investi suffisamment d'argent dans les efforts allant dans ce sens. Les services de santé qui intègrent des pratiques indigènes sont plutôt rares, et les ministères continuent à mettre l’accent sur un modèle axé uniquement sur la médecine moderne.

Si les décideurs souhaitent améliorer la santé publique dans les villages les plus reculés et oubliés d'Amérique latine, ils doivent passer de la parole à l’acte, en témoignant d’un appui politique plus solide à l'intégration des médecines traditionnelle et occidentale, doté de budgets plus consistants et de politiques dont la continuité est assurée.

Oswaldo Salaverry est le directeur du Centre national de la Santé interculturelle à l'Institut national de la Santé, au Pérou.