15/10/09

Il faut une commission vérité sur le VIH/Sida en Afrique du Sud

Une commission vérité empêcherait que des politiques négationnistes soient à nouveau mises en oeuvre Crédit image: USAID/R.Zurba

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Pour Salim S. Abdool Karim, expert du sida, une commission vérité serait nécessaire pour rendre compte des politiques négationnistes menées par le passé en Afrique du Sud et restaurer la confiance.

L’épidémie du VIH/sida est l’un des plus gros défis auxquels l’Afrique du Sud post-apartheid fait face. En 2007, ce pays, qui compte moins de un pour cent de la population mondiale, comptabilisait sur son territoire 17 pour cent des personnes infectées par le VIH dans le monde, alors que le virus continue de se propager inexorablement.

La réponse du gouvernement à l’épidémie au cours de la décennie passée est à l’origine de la prévalence disproportionnée de la maladie dans le pays. Un gouvernement qui , outre qu’il a remis en cause la fiabilité des tests du VIH, la sécurité et l’efficacité des antirétroviraux, l’exactitude des statistiques sur la mortalité liées au sida, a nié le principe même selon lequel le VIH est la cause du sida.

Il a par ailleurs mené une politique délibérée de décrédibilisation des preuves scientifiques comme fondement de l’action sanitaire, plaçant l’action politique en porte-à-faux avec la science. Le comité d’experts sur le sida du président Thabo Mbeki, créé en 2000, et l’instruction faite par ce dernier aux scientifiques de débattre avec les « negationnistes » avant toute prise de décision politique, constitue l’un des pires moments des relations entre le gouvernement et les scientifiques.

Des décès que l’on aurait pu éviter

Ces politiques ont eu un impact très négatif. Le gouvernement a retardé l’autorisation de la prescription du nevirapine, un traitement antirétroviral qui empêche la transmission du VIH de la mère à l’enfant, causant l’infection, qui aurait pu etre évitée, de centaines de milliers de nouveaux-nés. Selon les estimations des chercheurs de l’Université de Harvard, entre 2000 et 2005, 330.000 personnes sont mortes du VIH/sida et 35.000 bébés sont nés porteurs du virus en raison de l’inaction du gouvernement et la non fourniture de médicaments qui auraient pu sauver des vies.

Les activistes antisida ont dû maintes fois interpeller les professionnels de la santé, le gouvernement et les sociétés pharmaceutiques. Ils se sont battus, à coups de pétitions, de marches et de mobilisations, pour que les pauvres bénéficient d’un meilleur accès aux soins.

Mais le changement intervenu à la tête de l’Etat l’an dernier a fait naître un nouvel espoir, celui de relever le défi posé par le VIH/sida. Dans son discours sur l’état de la nation en 2009, le président Jacob Zuma a audacieusement déclaré : « Nous devons travailler ensemble pour améliorer la mise en œuvre d’un Plan global de Traitement, de Gestion et de Soins en matière de VIH/sida afin de diviser par deux le nombre des nouvelles infections à l’horizon 2011. Nous devons également  aider 80 pour cent des personnes qui ont besoin des ARV [antirétroviraux] d’ici 2011 ».

Toutefois, malgré l’accueil favorable réservé à ces déclarations, devons-nous tirer un trait sur le passé, se contenter de regretter ces actions et accepter de ne rien pouvoir y faire ? Ignorer les actes qui ont causé des milliers de décès que l’on aurait pu éviter reviendrait à les légitimer et permettre à l’histoire de se répéter un jour dans ce pays.

Il faut créer une commission

L’Afrique du Sud a besoin d’une commission vérité sur le VIH/Sida, qui représenterait une étape cruciale dans la recherche de la vérité et la détermination du nombre de personnes décédées. Il est indispensable que les décideurs soient entendus et que toutes les parties impliquées témoignent sur la façon dont ces politiques néfastes ont pu être appliquées dans une démocratie où le gouvernement est censé rendre compte de ses actions aux citoyens.

Cette commission nous aiderait à empêcher que cette situation ne se reproduise à l’avenir et permettrait aux nombreuses personnes ayant perdu des êtres chers de comprendre pourquoi ils sont morts inutilement.

Elle est également nécessaire à la restauration de la confiance entre les personnes qui travaillent à l’éradication du VIH/sida en Afrique du Sud, notamment les chercheurs, le gouvernement, les communautés locales et la communauté sanitaire.

Connaître la vérité en elle-même est une étape importante. Mais pour que la réconciliation réussisse et que la page puisse etre tournée, il faut que la vérité soit reconnue et soumise à un examen approfondi.

Au moment où l’Afrique du Sud entre dans une ère nouvelle dans sa politique relative à l’épidémie du VIH/sida, nous devons travailler main dans la main, gouvernement, scientifiques, société civile et organisations communautaires. Tout le monde doit y contribuer, sans ressentiment ou blessure du passé, afin de jeter des bases solides qui permettront de lutter contre cet ennemi dévastateur.

Salim S. Abdool Karim, Directeur du Centre du Programme sud-africain de recherche sur le sida en Afrique du Sud de l’Université du KwaZulu Natal. Il a été membre du comité consultatif sur le VIH/sida de Thabo Mbeki.