12/12/19

Q&R: L’Afrique n’a pas de politiques sur les maladies chroniques

TEDROS WHO - MAIN
Le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, s'exprimant lors du « Reaching the Last Mile Forum » à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis, en novembre 2019. Crédit image: Photo courtesy of Reaching the Last Mile Forum.

Lecture rapide

  • Les maladies non transmissibles (MNT) représentent un «défi majeur» pour l'Afrique subsaharienne
  • Cette situation aura un impact sur le développement socio-économique de la région
  • Une couverture sanitaire universelle est nécessaire pour empêcher le développement des MNT

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Selon le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, le manque de stratégies pour lutter contre les maladies chroniques telles que le cancer et les maladies cardiaques en Afrique représente un défi majeur pour ceux qui travaillent pour l'amélioration des soins de santé sur le continent.
 
A en croire l'OMS, les pays à revenu faible ou intermédiaire représentent 85% des 15 millions de personnes qui meurent prématurément chaque année de maladies non transmissibles (MNT) telles que le diabète, le cancer et les maladies cardiaques. 

“Les ressources limitées et le manque de politiques et stratégies pour contrôler les MNT sont des défis majeurs dans la région africaine.”

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS

Cela signifie qu'il existe un besoin urgent d'une couverture sanitaire universelle pour aider les pays à prévenir ces maladies, à les détecter et à les traiter lorsqu'elles surviennent, a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus à SciDev.Net dans une interview en marge du Reaching the Last Mile Forum qui s’est tenu à Abu Dhabi, aux Émirats Arabes Unis, le mois dernier.
 

Vous êtes le premier directeur général africain de l’OMS. Comment cette perspective a-t-elle influencé vos politiques?

Mon background apporte une perspective uniquement africaine et des pays en développement à ce rôle, ainsi qu'une compréhension approfondie des opportunités et des défis liés à la santé dans les pays à faibles ressources. En tant que ministre de la Santé de l'Éthiopie, j'ai vu de première main les victimes d'un faible système de santé et j'ai lancé un certain nombre de réformes précisément pour remédier à ces faiblesses en investissant dans les infrastructures et en recherchant de nouveaux modèles de financement.

Plus important encore, nous avons investi dans le personnel de santé, qui est la cheville ouvrière de tout système de santé. Les résultats sont bien documentés, mais ce que je veux souligner, c'est que je comprends les défis auxquels sont confrontées les autorités quand il y a peu de ressources à exploiter et de multiples menaces pour la santé.

Je sais également par expérience que si nous voulons améliorer la santé de nos populations, le choix est politique et doit être soutenu par une action déterminée. C'est pourquoi je passe beaucoup de temps à visiter des pays et à parler à des décideurs.
 

L'Afrique subsaharienne est confrontée à une forte flambée des maladies chroniques telles que le cancer et les maladies cardiaques. Comment arrêter cette épidémie émergente?

Les maladies non transmissibles posent un défi majeur, en particulier en Afrique subsaharienne. Dans certains pays africains, comme Maurice, la Namibie et les Seychelles, les MNT sont à l'origine de plus de 50% de tous les décès d'adultes signalés. Cela montre que les MNT seront bientôt une des principales causes de mauvaise santé, d'invalidité et de décès prématuré dans la région, et auront un impact négatif sur le développement socio-économique.

Les progrès dans la mise en œuvre de stratégies et de politiques globales sur les MNT ont été entravés par… le manque de ressources. Les ressources limitées et le manque de politiques et stratégies pour contrôler les MNT sont des défis majeurs dans la région africaine.

Le défi des MNT doit être relevé par la promotion d'une couverture sanitaire universelle pour garantir que les systèmes de santé sont orientés vers la prévention, la détection et le traitement de ces maladies, la protection des personnes contre les facteurs de risque et les produits nocifs, comme le tabac, les aliments et les boissons gazeuses riches en sel et en sucre, ainsi que la promotion de l'activité physique dans les écoles et les communautés pour les garçons et les filles, sans oublier d’empêcher la commercialisation de produits malsains.

[Le mois dernier] L'OMS et l'Union africaine ont signé un protocole d'accord pour officialiser notre coopération sur l'amélioration de l'accès à des médicaments de qualité, sûrs et efficaces par le biais d'une Agence africaine des médicaments, sur la lutte contre des épidémies comme Ebola avec le Centre africain de lutte contre les maladies en renforçant les capacités de base pour la sécurité sanitaire et en investissant dans la préparation, en travaillant ensemble pour mettre en œuvre l'appel à l'action d'Addis-Abeba sur la couverture sanitaire universelle et en investissant dans les soins de santé primaires.

Les trois piliers de notre nouveau protocole d'accord nous aideront à réaliser notre vision commune d'une Afrique plus saine, plus sûre et plus juste.
 

Comment l'OMS peut-elle aider à combler l'écart d'espérance de vie entre pays développés et pays en développement?

Nous pouvons commencer à combler l'écart d'espérance de vie entre les pays développés et les pays en développement grâce à la couverture sanitaire universelle, à commencer par les soins de santé primaires. Les soins de santé primaires devraient être le premier niveau de contact avec le système de santé, où les individus et les familles reçoivent la plupart de leurs soins de santé – de la promotion, de la prévention et du traitement à la réadaptation et aux soins palliatifs – le plus près possible de leur lieu de résidence et de travail.

Par exemple, nous devons nous assurer que les femmes enceintes accèdent aux soins pour accoucher en toute sécurité de bébés en bonne santé, que les enfants soient vaccinés afin qu'ils ne tombent pas malades et ne meurent pas de maladies évitables, et que les personnes de tous âges puissent accéder aux services de santé dont elles ont besoin tout au long de leur vie.

Mais nous devons également nous attaquer aux raisons pour lesquelles les gens tombent malades en dehors du secteur de la santé, telles que la qualité de l'air qu'ils respirent, l'eau qu'ils boivent, la nourriture qu'ils mangent et les conditions dans lesquelles ils vivent, travaillent et jouent. Vous avez donc besoin d'une réponse multisectorielle qui s'attaque aux causes profondes des maladies et pas seulement aux maladies elles-mêmes.
 

Comment voyez-vous l’évolution du rôle de l'OMS à mesure que la crise climatique s'intensifie ?

L'OMS défend depuis longtemps les problèmes environnementaux et leurs impacts sur la santé, et c'est une préoccupation croissante à l'échelle mondiale. Malgré les preuves, l'action politique et les investissements restent largement insuffisants – seulement environ 3% des ressources de santé sont investies dans la prévention, avec environ 97% consacrés au traitement, augmentant les coûts des soins de santé.

L'OMS plaide pour une action énergique afin de réduire les émissions; ce  qui peut rapidement améliorer la qualité de l'air, sauver des vies et contribuer à la sécurité alimentaire, ainsi que ralentir le taux de changement climatique à court terme de 0,6 degrés Celsius d'ici le milieu du siècle.

Cela comprend les investissements pour la technologie dans les secteurs de l'agriculture, de l'énergie, de la foresterie et de l'industrie, la promotion des énergies renouvelables pour décarboniser nos réseaux énergétiques, l'adoption de programmes d'efficacité énergétique; et des solutions intégrées de gestion des déchets, ainsi que la conception et la planification de villes qui soutiennent des systèmes de transport plus durables, des systèmes énergétiques de quartier et des bâtiments écoénergétiques. 
 
Cette interview a été éditée pour plus de clarté.
Cet article a été initialement publié par l'édition mondiale de SciDev.Net.