22/02/18

Déficit de sciences de la santé au Rwanda et en Afrique du Sud

Dental asistant 1
Une assistante dentaire se préparant à traiter un patient - Crédit image: Wikimedia Commons

Lecture rapide

  • Agnes Binagwaho s'exprime sur l'apport de la science lorsqu'elle était ministre de la Santé du Rwanda
  • Melvyn Freeman, du ministère sud-africain de la Santé, s'interroge sur les priorités en matière de dépenses
  • L'insuffisance de la recherche en application des connaissances freine les progrès dans les deux pays

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Selon une ancienne ministre rwandaise de la Santé et un haut responsable politique sud-africain, la science de l'application des connaissances – quelle est la meilleure approche pour appliquer les résultats de la recherche et fournir des services – est le prochain défi de la science pour stimuler les soins de santé en Afrique.
 
Pour en savoir plus, SciDev.Net a rencontré la Rwandaise Agnes Binagwaho et le Sud-Africain Melvyn Freeman, responsable du département des maladies non-transmissibles au ministère sud-africain de la Santé, qui ont tous deux présenté leurs idées lors de programmes de résidences au Rockefeller Foundation Bellagio Center, en Italie.


Agnes Binagwaho : "La science de l'application des connaissances est négligée"

Agnes Binagwaho est pédiatre et ancienne ministre de la Santé du Rwanda, largement créditée pour la transformation du système de santé du pays pendant un mandat de cinq ans, qui s'est terminé à l'été 2016.
 
Elle a mis en place un ensemble de mesures, telles que l'assurance maladie universelle et les réseaux de travailleurs communautaires, qui ont contribué à un système produisant des résultats impressionnants au niveau des indicateurs en matière d'espérance de vie liée au sida et de taux de traitement du paludisme.
 
Agnes Binagwaho s'est entretenue avec SciDev.Net ce mois-ci à Kigali, où elle est maintenant vice-chancelière de l'Université de Global Health Equity, sur le rôle de la science et de la technologie dans la transformation.


Comment la science a-t-elle contribué à transformer le secteur de la santé au Rwanda ?

La santé est un pilier essentiel de la stratégie Vision 2020 du gouvernement rwandais pour le développement économique et la réduction de la pauvreté. La science a aidé de nombreuses façons. La recherche aide à prévenir les maladies. Le Rwanda utilise la technologie pour aider à améliorer la capacité des fournisseurs de services de santé. Nous adoptons la télémédecine.
 
Il y a aussi la science de la prestation de services, qui consiste à savoir comment vous assurer que vous pouvez atteindre une personne plus efficacement, avec plus d'efficacité. C'est ce que nous appelons les sciences de l'implémentation – la façon dont vous fournissez des services pour plus d'équité, pour tirer le meilleur parti de vos actions, pour vous assurer de ne pas faire des laissés-pour-compte, pour vous assurer d'étendre le traitement aux personnes ayant des difficultés financières ou même des gens dont l'éloignement géographique les empêche de vous atteindre.
 
Pour atteindre les plus pauvres du pays, le ministère de la Santé a formé 45.000 agents de santé communautaire, les envoyant chez des personnes qui souvent ne reçoivent pas de soins. Il a donné aux travailleurs communautaires des téléphones cellulaires qui permettent aux patients de contacter des médecins via les médias sociaux.

 

Agnes Binagwaho
Crédit image : Rachel Fortunati/IHME
Agnes Binagwaho, ancienne ministre rwandaise de la Santé, est largement créditée pour les performances du pays en matière de santé publique.

Qu'est-ce qui se cache derrière le succès du Rwanda dans l'utilisation des preuves et de la technologie ?

Le Rwanda a réalisé beaucoup de choses en équipe, et les travailleurs communautaires ont accompli beaucoup de choses – parce que ce sont eux qui sensibilisent les familles.
 
Ce que nous avons mis en œuvre au Rwanda, et que j'ai eu la chance d'accomplir, c'est de tout faire sur la base de preuves – connaître vos objectifs, quelle est la maladie, quelles sont les causes de la maladie -, de sorte que vous ne perdiez pas de l'argent en traitant une affection que vous ne connaissez pas.
 
Vous pouvez également rendre les choses durables en travaillant avec la société civile. C'est quelque chose que nous avons fait avec beaucoup de succès, en commençant par la lutte contre le VIH. Il est très important que nous fassions passer des messages sur la maladie à travers le pays et il y a des ONG partout.
 
Je pense que la meilleure chose que nous avons réalisée est ce type de structure organisationnelle, où le pays utilise les leaders communautaires, la société civile, les groupes de femmes et les organisations de jeunesse comme moyen de fournir des services médicaux aux gens dans tous les coins. Ce programme structurel pour le bien commun a été couronné de succès.

Où la science doit-elle maintenant avoir plus d'influence dans l'élaboration de la politique de santé ?

Là où la science devrait intervenir, c'est dans le secteur de l'éducation – une meilleure éducation, pour préparer les professionnels de la santé à tous les niveaux, à fournir des soins de qualité, mais aussi avec un autre état d'esprit. Les professionnels de la santé sont parfois éloignés de leurs patients, mais les patients veulent être en confiance pour parler de leurs problèmes.
 
La science ne devrait pas seulement prendre soin des bactéries, de la maladie ; elle devrait également être appliquée d'une manière holistique sur les patients. La technologie est maintenant disponible et devrait être utilisée davantage pour que les personnes que vous traitez soient éduquées sur les maladies qui les affectent.
 
Là où la science peut faire mieux, c'est la prévention de la maladie. Un bon exemple est la cuisinière, où la femme et l'enfant respirent la fumée. Nous avons des cuisinières modernes qui peuvent aider à réduire les risques.
 
La science concerne aussi la finance et la science de l'implémentation, qui est négligée. S'il y a une réflexion stratégique, et que le principe de la mise en œuvre de la science et entériné, vous fournissez plus de services en utilisant le même argent et avec plus d'avantages pour les patients.


Melvyn Freeman : "Nous avons besoin de recherches pour faire face à l'information que nous avons"

Lors du même programme de résidence de Bellagio, un responsable de la santé d'une autre nation africaine, aux prises avec un ensemble de défis différents, arrivait en fait à des conclusions similaires.
 
Melvyn Freeman dirige le département des maladies non-transmissibles au ministère sud-africain de la Santé.  Trois décennies d'expérience l'ont aidé à formuler ce qu'il croit être une question cruciale : "Si vous cherchez à améliorer la santé mentale d'une population ou d'un groupe, où investissez-vous votre argent pour avoir les meilleurs résultats ?"
 
SciDev.Net s'est entretenu avec Melvyn Freeman à Pretoria sur le rôle de la recherche dans la résolution de certaines de ces questions difficiles.

Dans quels domaines pensez-vous que la science et la recherche peuvent jouer un rôle dans l'élaboration des politiques de santé mentale ?

Il y a plusieurs sortes de sciences. Permettez-moi de vous donner juste un exemple [qui concerne la question de] l'investissement. [À Bellagio] j'ai répondu, en disant : "à moins que nous fassions face à des déterminants sociaux tellement graves qu'ils sapent ce que nous voulons faire, comme l'apartheid, l'investissement dans la santé mentale est crucial – parce que la recherche montre que les interventions changent le comportement et sont des solutions réalistes."
 
J'ai également trouvé des recherches qui montrent qu'investir dans la santé mentale est réellement bon pour le développement ; que vos résultats rendent justice à votre investissement. Certaines recherches ont montré récemment que lorsque vous traitez de la dépression en particulier, pour chaque dollar investi, votre rendement est de quatre dollars. Donc vous dites, pas de prise de tête – investissez dans vos services de santé mentale.


Quels sont les réussites et les défis dans l'utilisation des données probantes ?

Il y a beaucoup d'exemples où la science informe la politique en santé mentale. Permettez-moi de vous en donner un, du point de vue des systèmes de santé.
 
Beaucoup de personnes ayant des problèmes de santé mentale ont également d'autres problèmes de santé – il existe une forte corrélation entre les maladies chroniques et la santé mentale, le VIH et la santé mentale, la toxicomanie, etc. Maintenant, la santé mentale est [souvent] considérée comme quelque chose de très différent des autres domaines de la santé. Cela a été cause de beaucoup de stigmatisation – parce que les gens doivent aller à cette clinique là-bas, et tout le monde sait qu'ils ont des problèmes de santé mentale parce qu'ils sont dans cette file d'attente. Ensuite, ils doivent venir un jour pour des problèmes de santé mentale et le lendemain pour le diabète, un autre jour encore pour le VIH. Nous avons fait beaucoup de recherches scientifiques pour déterminer dans quelle mesure on peut intégrer la santé mentale dans les soins primaires. Nous utilisons maintenant cette preuve pour changer la façon dont nous le faisons en Afrique du Sud.
 
Dans un autre programme en Afrique du Sud, ils ont formé des laïcs – pas des personnes ayant beaucoup d'expérience en santé mentale – pour dispenser des conseils de base à un coût relativement bon marché. La recherche montre que les résultats sont en réalité très positifs.


Y a-t-il des domaines où la contribution scientifique fait toujours défaut ?

Eh bien, nous avons plus de recherches que nous ne pouvons en consommer. Je pense que nous avons besoin de recherche pour nous aider à faire face au volume d'informations que nous avons. Et c'est très important – c'est un type de recherche différent, ce qu'on pourrait appeler la recherche sur la mise en œuvre ou la recherche translationnelle. Nous en avons probablement besoin de plus parce que les services traînent énormément le pas sur la recherche.
 
Mais cela ne signifie pas que nous n'avons pas besoin de tous les types de recherche. Nous devons commencer à examiner tous les aspects du traitement, des soins, des droits de la personne, des déterminants sociaux – et ensuite nous devons être sages.

Melvyn Freeman
Crédit image : Ministère sud-africain de la Santé
Melvyn Freeman, responsable du département des maladies non-transmissibles au ministère sud-africain de la Santé.

Que pensez-vous qu'il faudrait faire pour renforcer les politiques fondées sur la science pour la santé mentale ?

Lorsque nous avons rédigé notre politique en matière de santé mentale pour l'Afrique du Sud, nous avons identifié huit domaines dans lesquels nous devions nous améliorer. L'un des huit est que nous devons créer des ressources axées sur la recherche. Cela veut dire que nous devons investir des ressources et trouver des gens capables de faire de la recherche pertinente, tangible, implémentable, réalisable pour notre pays.
 
Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas apprendre de l'extérieur, ou que d'autres ne peuvent pas apprendre de nous, mais nous devons avoir un plan pour notre situation. Ensuite les autres peuvent apprendre de notre expérience et nous pouvons apprendre des autres.

D'après votre expérience, à quels défis les autres pays africains sont-ils confrontés ?

Le défi consiste à obtenir plus de ressources pour la santé mentale. Mais aussi, il faut chercher de meilleures façons de faire avec les ressources dont nous disposons. Et aussi utiliser les avantages que les Africains ont en termes d'Ubuntu [humanité envers les autres], en termes de compréhension traditionnelle, en termes de soutien – comment vous utilisez réellement les forces que les gens ont dans un pays.
 
Cet article a été soutenu par The Rockefeller Foundation Bellagio Center. Pendant près de 60 ans, le Centre Bellagio a soutenu des individus travaillant pour améliorer la vie des personnes pauvres et vulnérables à travers ses programmes de conférence et de résidence, et a servi de catalyseur pour des idées, des initiatives et des collaborations transformatrices.
 
Une fois par an, le Centre Bellagio accueille un programme spécial de résidence thématique réunissant des universitaires, des praticiens et des artistes dont le travail se rattache à un thème commun. En 2018, le programme de résidence se déroulera du 5 au 30 novembre et sera centré sur le thème "Science pour le développement." Les candidatures pour les programmes de résidence de praticiens sont maintenant ouvertes et les demandes de participation aux programmes de résidence pour des travaux universitaires seront ouvertes le 1er mars. Pour vous inscrire, veuillez envoyer un courriel à [email protected] en indiquant "Science for development" dans le champ objet.