28/09/09

Analyse bioméd. : une communauté de brevets pour les traitements anti-VIH

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Priya Shetty estime que la communauté de brevets proposée par UNITAID pourrait révolutionner le traitement et la recherche sur le VIH dans les pays en développement, si les différents acteurs s'entendent sur un mécanisme de paiement.

Lorsqu'en début de cette année GlaxoSmithKline a annoncé la mise en place d'une communauté de brevets (en anglais, patent pool) pour stimuler la recherche sur les maladies négligées, sans surprise, les très lucratifs traitements anti-VIH du laboratoire pharmaceutique en furent exclus.

Il existe pourtant d'excellentes raisons humanitaires, aujourd'hui défendues par l'organisme de santé UNITAID, de créer une communauté de brevets sur les traitements anti-VIH. Selon un groupe de parlementaires britanniques travaillant sur le Sida, d'ici 2030, 50 millions de personnes auront besoin de médicaments anti-VIH. Aujourd'hui déjà, plus de six millions de personnes vivant avec le VIH/sida souffrent d'un manque d'accès aux médicaments.   

La communauté de brevets proposée par UNITAID pourrait révolutionner les choses. Le mécanisme consiste à regrouper  des brevets détenus par des entreprises, des universités ou des institutions de recherche, afin de les mettre à la disposition du monde en développement en vue de la fabrication ou de la recherche sur les médicaments, en échange du paiement d'une redevance ou de royalties abordables.

C'est une évolution considérable par rapport au fonctionnement habituel des brevets sur les médicaments. Lorsqu'une entreprise développe un nouveau traitement, sa protection par brevet dure environ vingt ans. Ce brevet empêche les autres entreprises de fabriquer ou de vendre le médicament ou de l'utiliser dans la recherche. Il arrive parfois que le propriétaire du brevet autorise l'accès d'autres organisations à son savoir ainsi protégé, mais généralement cet accès se fait de façon très restreinte et à un coût élevé, ce qui met les pays à revenu faible ou intermédiaire hors course.

Les brevets garantit aux entreprises le bénéfice maximal et leur permet de récupérer les millions de dollars qu'elles investissent dans la mise du médicament sur le marché. Or, les brevets ont aussi pour effet d'exclure pour des décennies les personnes dont le pouvoir d'achat ne donne accès qu'à des copies dites "génériques" de médicaments. Par ailleurs, ils interdisent aux chercheurs de développer de nouveaux traitements de combinaison, pourtant recommandés par l'OMS comme le meilleur moyen de réduire le risque de résistance aux médicaments, si l'un des médicaments est encore sous brevet.

Avec la communauté de brevets VIH proposée par UNITAID, les génériques pourraient être fabriqués dès la mise sur le marché du produit, et la recherche sur les nouvelles combinaisons de médicaments et des formulations adaptées aux enfants entamée immédiatement.

La bonne idée au bon moment ?

Les communautés de brevets ne sont pas l'unique stratégie pour faire de l'accès du monde en développement aux médicaments une réalité. Certains pays comme le Brésil, l'Inde ou la Thaïlande, ont émis des licences obligatoires permettant aux fabricants de produire des versions génériques de médicaments brevetés. Ces pays se montrent tout aussi agressifs dans la défense de leur droit à la production de médicaments abordables que les laboratoires dans la protection des cours de leurs actions.

Les licences obligatoires constituent, cependant, une stratégie difficile et complexe, en raison notamment des procédures judiciaires initiées par les compagnies pharmaceutiques. Et bien qu'elles permettent l'accès aux médicaments existants, elles ne stimulent en rien la recherche. La communauté de brevets proposée par UNITAID serait susceptible, au contraire, de stimuler l'innovation et de sauver des vies dans le monde en développement.

Il existe de bonnes raisons de croire que l'organisation peut réussir dans la tâche qu'elle s'est fixée. UNITAID a déjà fait ses preuves dans la réduction des coûts des traitements du VIH/sida, en groupant les commandes d'approvisionnement de médicaments. Elle bénéficie par ailleurs de l'expertise d'Ellen 't Hoen, ancienne chef de file de la Campagne d'Accès aux Médicaments essentiels lancée par Médecins Sans Frontières pour accroître l'accès des pauvres aux antirétroviraux.

Certaines compagnies pharmaceutiques se rallient peu à peu, du moins dans le principe, à cette idée. Johnson and Johnson, Gilead, et Cipla, le fabricant indien de génériques, ont ouvertement apporté leur soutien cette idée, tandis que Novartis et Merck seraient en pourparlers avec UNITAID. Même GlaxoSmithKline a annoncé la semaine dernière dans une lettre adressée au quotidien britannique The Guardian, qu'elle n'a pas exclu la possibilité d'adhérer à cette communauté de brevets.

La question de la récompense

Mais UNITAID doit encore trouver le moyen d'inciter les laboratoires à adhérer à son projet ; compter sur la bonne volonté de ces compagnies serait insuffisant.

Les propositions actuelles mettent l'accent sur le paiement de royalties, en échange d'une contribution volontaire des brevets. 'tHoen explique au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net) que le montant de ces royalties 'ne serait pas négligeable'. Mais au vu des énormes bénéfices que générent les traitements anti-VIH – le Tenofovir coûtant, par exemple, £3.500 (US$5.500) par patient et par an dans les pays développés – les entreprises pourraient ne pas se satisfaire de ces royalties.

Une stratégie alternative proposée, entre autres, par le groupe de pression Knowledge Ecology International, consisterait à instituer fonds de dotation (en anglais, prize fund) pour décerner des prix valant plusieurs millions de dollars, en vue d'inciter les laboratoires à adhérer à la communauté de brevets. Celles qui adhèrent à la communauté deviendraient éligibles à ces récompenses qui pourraient, par exemple, être remis aux compagnies développant les traitements qui ont l'impact le plus bénéfique pour la santé publique.

Des universitaires de haut volet des bailleurs comme l'Initiative de la Fondation Clinton contre le VIH/sida, commencent à se rallier à cette idée.

Certains pays en développement sont également favorables à cette idée. Le Bangladesh, la Barbade, la Bolivie, et le Surinam ont écrit à l'OMS (organisation hôte de UNITAID) pour lui demander d'étudier le modèle alliant fonds de dotation et communauté de brevets. Ils proposent d'y allouer dix pour cent des sommes versées par les bailleurs pour l'acquisition de médicaments, soit des montants qui pouvant atteindre des millions. Si les bailleurs et les organisations non gouvernementales auront certainement du mal à s'entendre sur le pourcentage exact à reverser, et sur le mécanisme de financement de ce fonds, il leur faudra néanmoins absolument s'accorder sur une stratégie efficace avant que l'enthousiasme actuel ne s'estompe.

La proposition d'UNITAID intervient au moment où l'Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle (OMPI) bénéficie d'un souffle nouveau suite à un changement de leadership. Son nouveau directeur, Francis Gurry, s'active pour relancer le programme de développement de l'agence, et 't Hoen révèle que l'OMPI a apporté son appui technique à UNITAID.

UNITAID se doit maintenant de négocier avec succès ce qui pourrait être un accord d'importance fondamentale pour le monde en développement.

 

Priya Shetty est une journaliste spécialisée sur les questions du monde en développement, notamment la santé, les changements climatiques et les droits de l'homme. Elle a été rédactrice en chef au New Scientist, éditorialiste adjoint de la revue The Lancet et éditorialiste au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net).