25/03/08

Résistance aux antibiotiques : Questions fréquemment posées

Crédit image: Kimicontrol

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Priya Shetty répond à certaines questions communes sur la résistance aux antibiotiques et les dangers que ce phénomène représente pour le monde en développement.

Depuis la mise au point des premiers antibiotiques il y a 50 ans (voir Encadré 1), le monde a eu recours à ces médicaments pour venir à bout des nombreuses variétés de bactéries pathogènes. Leur absence aurait certainement eu de graves implications pour la santé de toutes les populations, et celle des pays en développement, en particulier.

Malheureusement, l’efficacité des antibiotiques est menacée. A travers le monde, les bactéries muent pour se défendre contre les médicaments qui les auraient terrassées par le passé. Une transformation qui ne surprend pas – les organismes sont en constante mutation afin de s’adapter aux nouvelles conditions. C’est la vitesse à laquelle certaines souches développent des résistances qui met la santé mondiale en danger.

En raison de l’usage répandu des antibiotiques dans le monde – par exemple, sous formes de pilules pour le traitement des maladies humaines, ou comme anabolisants chez les animaux destinés à l’alimentation – les bactéries s’adaptent aux antibiotiques modernes plus vite que nous ne pouvons en développer de nouveaux.

Comment les bactéries deviennent-elles résistantes aux antibiotiques ?

Les bactéries développent des résistances de diverses manières mais elles passent toutes par un changement du matériel génétique existant (appelée mutation spontanée) ou l’acquisition d’un nouveau matériel génétique. L’ajout d’un nouveau matériel génétique peut se produire lorsque les virus qui n’infectent que les bactéries (appelés bactériophages) transfèrent l’ADN entre deux bactéries étroitement liées. Les bactéries peuvent également absorber l’ADN des bactéries qui se trouvent autour d’elles. La façon la plus commune dont un échange d’ADN peut se produire c’est lorsque de petits morceaux d’ADN appelés plasmides sont échangés entre des bactéries en contact direct.

Voici quelques un des moyens par lesquels les bactéries développent des résistances :

  • Altération des pompes de la membrane. Certains antibiotiques s’infiltrent dans les bactéries pour les tuer. Les bactéries à leur tour ont des pompes sur leur membrane cellulaire qui leur permettent de se débarrasser du médicament. En général, les bactéries ne peuvent pas pomper assez rapidement le médicament. Mais si une mutation venait à permettre à ces bactéries de produire plus de pompes que normalement, elles peuvent refluer les médicaments hors de la cellule avant qu’ils n’entrent en action.
  • Destruction de l’antibiotique avec des enzymes. Une enzyme bactérienne peut détruire un élément clé de l’antibiotique, et la rendre inutile. Par exemple, le lactamase peut cibler le noyau de la pénicilline. Certains chercheurs y ajoutent maintenant des ‘silenceurs d’enzymes’ – tels que l’acide clavulanique pour la pénicilline – pour s’assurer que l’antibiotique continue d’être efficace.
  • Déplacement de la cible. La bactérie peut déplacer les molécules ciblées par le médicament. L’antibiotique se fixe normalement sur cette cible, par conséquent son déplacement empêche l’antibiotique de marcher.

 

 

Figure 1. Mécanismes de résistance aux antibiotiques

Crédit : The Science Creative Quarterly (http://www.scq.ubc.ca/)/Fan Sozzi

Pourquoi les antibiotiques sont-ils aussi importants pour le monde en développement ?

Contrairement aux pays développés où les gens ont facilement accès aux antibiotiques, beaucoup de personnes dans les pays en développement – qui disposent généralement des systèmes de soins de santé inefficaces, d’infrastructures en mauvais état et des ressources insuffisantes – meurent de maladies que l’on peut traiter facilement. Les maladies telles que la tuberculose peuvent être mortelles si elles ne sont pas traitées et, en affaiblissant les systèmes immunitaires, elles peuvent rendre les gens vulnérables à de graves maladies infectieuses telles que le VIH/sida et le paludisme.

La tuberculose à elle seule tue 1,6 millions de personnes chaque année —dont 98% vivent dans les pays en développement (voir figure 2 ). [1–3] Les données sur la résistance aux antituberculeux indiquent que 3,2% de tous les nouveaux cas sont résistants à plusieurs médicaments. [4] Environ 70 millions de personnes seraient infectées par la tuberculose latente (c’est-à-dire inactive) à bacilles multirésistantes. [5]

Les maladies sexuelles bactériennes demeurent un problème majeur de santé dans le monde en développement. Entre 3 et 18% des femmes enceintes qui fréquentent les centres prénatals en Afrique ont la syphilis. Même au sein des populations africaines à faible risque, 40% des personnes ont des infections telles que la gonorrhée et la chlamydie. La résistance du gonocoque –la bactérie responsable de la gonorrhée – à la pénicilline peut s’élever jusqu’à 90% en Asie, et dépasser 35% en Afrique sub-saharienne et dans les Caraïbes.  Les femmes qui ont la gonorrhée résistante aux antibiotiques risquent de contracter des salpingites et d’être victimes de l’infertilité, ce qui peut accroître le risque de transmission du VIH. [5,6]   

Dans plusieurs pays développés, les infections résistantes aux antibiotiques transmis dans les hôpitaux, telles que le SARM, sont à la une. Dans les pays en développement, le manque de ressources, le taux élevé de fréquentation et une offre médicale insuffisante peuvent aggraver le risque d’infection des malades par des bactéries résistantes. Les statistiques sud-africaines laissent croire que les taux d’infection en milieu hospitalier dans les pays en développement se situent autour de 15%, ce qui en fait une cause majeure de mortalité. [5]

Pourquoi la résistance est-elle en hausse ?

Certains facteurs de hausse de la résistance aux antibiotiques – tels que la sur utilisation et le mauvais usage – se retrouvent dans tous les pays, mais certains facteurs sont spécifiques aux pays en développement et sont généralement absents dans les pays développés.

A titre d’illustration, la prescription des antibiotiques indiqués pour une maladie bactérienne exige un diagnostic précis. Dans plusieurs pays pauvres, les moyens d’un tel diagnostic sont tout simplement inexistants. Dépourvus de moyens d’un diagnostic précis et face à un patient qui souffre, les médecins vont très souvent émettre une hypothèse raisonnée sur la cause de la maladie et prescrire un antibiotique qui cible plusieurs bactéries.

Trop souvent, les malades ne sont pas informés sur les raisons pour lesquelles ils doivent aller au bout de leur traitement (bien qu’il ne s’agisse pas d’un défaut particulier aux pays en développement). Une étude mexicaine a conclu que 60% des malades ne respectent pas la posologie prescrite. [7]

Les pays en développement ont souvent un accès limité aux médicaments, et la mauvaise qualité des infrastructures entraîne parfois des approvisionnements erratiques. Quand bien même les médicaments seraient disponibles, les gens peuvent ne pas être en mesure de se les offrir, et être par conséquent obligés de s’approvisionner auprès des vendeurs non formés ou dans la rue. Une étude vietnamienne a conclu que 72% des achats de médicaments se font sans ordonnance. [8]

Les antibiotiques vendus illégalement peuvent être contrefaits et ne contenir aucun principe actif; plus grave, elles peuvent parfois contenir une faible dose du principe actif, insuffisante pour tuer les bactéries mais suffisante pour qu’elles développent une résistance. La contrefaçon des médicaments représentent 6 à 20% des ventes de médicaments, dont la majorité sont des antibiotiques. [9]

Les causes de la résistance aux antibiotiques dans les pays développés – l’usage croissant des détergents antibactériens et les pressions exercées sur les médecins par les malades qui veulent qu’on leur prescrive des antibiotiques sans égard à leurs indications – s’appliquent également aux pays en développement. Avec les voyages à travers le monde, les bactéries résistantes aux antibiotiques ne sont plus confinées à leur pays d’origine.

Pourquoi ne pouvons-nous pas simplement faire plus d’antibiotiques?

La question qui saute à l’esprit est celle de savoir pourquoi les industries pharmaceutiques ne peuvent pas simplement produire plus d’antibiotiques. Premièrement, le développement de nouveaux médicaments coûte excessivement cher. Il faut environ US$ 900 millions pour faire passer un médicament des laboratoires aux officines. L’investissement nécessaire pour la recherche et la production de ces médicaments peut parfois coûter plus cher que les bénéfices que ces entreprises peuvent à jamais tirer de la vente de ces médicaments.

Selon les experts, la recherche et le développement des antibiotiques a connu une baisse d’environ 60% au cours de la dernière décennie. [10] Face à l’obligation de choisir entre mettre l’accent sur les antibiotiques ou sur d’autres médicaments susceptibles de générer de meilleurs profits, les industriels du médicament choisissent souvent logiquement ces derniers.

Même si des mesures d’incitation à la recherche de nouveaux antibiotiques étaient prises pour les industriels du médicament, l’obstacle de la difficulté croissante à découvrir de nouvelles classes subsisterait. Au début du développement des antibiotiques, de nouvelles classes étaient découvertes en l’intervalle de quelques années, mais ce rythme a inévitablement ralenti.  

Figure 2. Prévalence de la tuberculose à bacilles multirésistantes dans les nouveaux cas de tuberculose entre 1994 et 2000
Source: The Lancet Infectious Diseases/OMS

Encadré 1: Historique de la découverte des antibiotiques

1928 Découverte par Alexander Fleming des propriétés antibactériennes de la pénicilline dans les moisissures.
Années 30 Une classe de médicaments appelés sulfamides devient la première génération d’antibiotiques.
1941 Invention du mot ‘antibiotique’ par Selman Walksman.
Années 40 Début de la production industrielle de la pénicilline. Début d’utilisation de faibles doses pour accélérer la croissance des animaux destinés à l’alimentation.
1950sInfection des hôpitaux dans plusieurs pays par une souche du staphylocoque doré résistante à la pénicilline.
Années 50 et Années 60 Début de l’utilisation de masse des médicaments de deuxième génération tels que le chloramphénicol et la terramycine. Développement de nouvelles variantes synthétiques de pénicilline. Première apparition du SARM.
Années 80 et Années 90 Découverte de nouvelles variantes d’anciens médicaments mais pas de découverte de nouvelles classes.


Crédit photo: www.flickr.org/AJC1

Références

[1] TB Alliance. The threat of TB. Available at: http://www.tballiance.org/why/tb-threat.php (25 February 2008)

[2] The World Health Organization. TB — a global emergency, WHO report on the TB epidemic (1994)

[3] The World Health Organization. Global tuberculosis control — surveillance, planning, financing (2004)

[4] Dye C., Espinal M.A. Will tuberculosis become resistant to all antibiotics? Proceedings of the Royal Society B: Biological Science 268: 45–52 (2001)

[5] Okeke I.N., et al. Antimicrobial resistance in developing countries. Part I: recent trends and current status. The Lancet Infectious Diseases 5, 481–93 (2005)

[6] Urdea M. et al. Requirements for high impact diagnostics in the developing world. Nature 444, 73–79 (2006) [7] Reyes H., et al. Antibiotic noncompliance and waste in upper respiratory infections and acute diarrhea. Journal of Clinical Epidemiology 50, 1297–1304 (1997).

[8] Larsson M., et al. Antibiotic medication and bacterial resistance to antibiotics: a survey of children in a Vietnamese community. Tropical Medicine & International Health 5, 711–721 (2000)

[9] Okeke I.N., et al. Antimicrobial resistance in developing countries. Part II: strategies for containment. The Lancet Infectious Diseases 5: 568–76 (2005)

[10] Bailey P. In the pipeline: New agents to combat bacterial infections http://www.wellcome.ac.uk/doc_WTX026129.html (25 February 2005)