12/06/09

Questions-Réponses : Tadakata Yamada et les idées scientifiques folles

Yamada : La recherche incrémentale de qualité, le type de propositions que vous pourriez rencontrer dans une demande adressée au NIH ou au MRC, je les jette à la poubelle Crédit image: The Bill and Melinda Gates Foundation

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Tadataka Yamada, le Directeur exécutif de la Fondation Bill et Melinda Gates, anciennement responsable de la recherche et développement chez GlaxoSmithkine, le géant pharmaceutique, a été gastroentérologue pendant de nombreuses années.

Yamada est chargé des subventions faites par la Fondation en santé mondiale. Il s’est entretenu, au cours d’un point de presse, avec Katherine Nightingale, sur l’éthique qui sous-tend le projet Grand Challenges Explorations de la Fondation (voir US$ 100 millions destinés à l’innovation dans le domaine de la recherche médicale). Ce programme lancé en 2008 avec une dotation de US$ 100 millions, offre des subventions de US$ 100 000 chacune aux chercheurs aux idées parfois peu orthodoxes, pour leur permettre d’atteindre le stade de la preuve du concept, avec la possibilité de financements supplémentaires.

En quoi consiste le projet Grand Challenges ?

Les solutions aux problèmes de santé dans le monde en développement sont difficiles à trouver, c’est pourquoi nous pensons qu’il faut une véritable innovation. Dans certains domaines, il faut une révolution de la pensée, et non simplement une évolution de la pensée. Si l’on prend l’exemple des vaccins contre le VIH, tout ce qui a été testé jusqu’à présent n’a pas été concluant et cet échec tient en partie à ce que nous sommes enfermés dans une orthodoxie de la pensée sur la question, qui nous empêche de réfléchir selon de nouveaux modes créatifs.

Nous avons plusieurs mécanismes de financement de l’innovation, mais celui que nous avons lancé l’an dernier s’articule autour de la création d’une véritable innovation, de stratégies pour imaginer des solutions aux problèmes qui se posent depuis un temps et qui sont un véritable défi lancé à l’orthodoxie.

Est-il difficile de solliciter des subventions ?

Tout ce qu’il faut au départ, c’est une demande de deux pages, sans fournir de données. Si vous avez une demande longue de 20 pages qui met les points sur tous les i, vous ne pourrez pas avoir les nouvelles idées que nous recherchons.

Avez-vous été inondés de demandes ?

Nous avons reçu 7 000 demandes. Au premier tour, nous avons financé environ 105 demandes et au second tour, nous avons accordé environ 75 à 80 nouvelles subventions. Après cinq ans, je crois que nous aurons accordé 1000 subventions.  

C’est là le cœur du problème, nous voulons prendre des risques. J’imagine qu’on aura, disons, un ou deux vrais charlatans, mais ce sont des choses qui arrivent.

Les gens peuvent-ils soumettre toutes les idées qui leur passent par la tête ?

C’est nous qui choisissons les sujets. Nous disons : voici les écueils, voici les obstacles. Il y a donc un nombre de sujets qui nous intéressent particulièrement : de nouvelles méthodes de protection contre le VIH ; de nouvelles manières de réfléchir sur la latence de la tuberculose ; de nouvelles méthodes de protection contre l’infection en général.

Et les sujets sont-ils toujours une réponse directe au travail fait ‘sur le terrain’ ?

Oui. Je vais vous donner un exemple. Il s’agit d’un projet que nous n’avons pas encore rendu public. La santé reproductive est l’un des problèmes majeurs [auxquels nous faisons face]. Le taux élevé de fécondité est un grand problème mais l’un des plus écueils majeurs concerne l’âge précoce de la première grossesse, les risques de mortalité maternelle et de mortalité infantile s’aggravant énormément si la mère est jeune.

L’une des principales préoccupations, difficile à démontrer, certes, tient au fait que les contraceptifs à base d’hormones referment précocement l’épiphyse de l’os [ce qui empêche les os d’atteindre leur taille maximale]. Cela n’a pas encore été démontré, c’est l’une de nos craintes, et des preuves ont été fournies que c’est tout à fait possible. Par conséquent, vous ne pouvez pas utiliser ces pilules à base d’hormones pour des filles préadolescentes et l’une des grandes questions est de savoir combien de contraceptifs non hormonaux existent aujourd’hui ? Zéro. Et pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas de marché pour ces contraceptifs, parce que dans le monde développé, les filles de 13 ans n’ont dans l’ensemble, pas d’enfants.

Alors j’ai dit et si nous créons une catégorie au sein de Grand Challenges Explorations pour de nouvelles méthodes de prévention des grossesses qui ne soient pas basées sur des hormones. J’espère que nous allons recueillir un millier d’idées sur ce projet, parmi lesquelles nous pourrons en retenir 20 ou 30, les financer et voir jusqu’où elles vont aller.

Mais comment la Fondation fait-elle le tri parmi les différents candidats ?

L”étape de l’évaluation est la plus importante. Les NIH [National Institutes of Health des Etats-Unis] ont institué un prix ‘pionnier’ aux Etats-Unis, mais les évaluateurs étaient des pairs. L’évaluation par les pairs tue l’innovation parce que, par définition, les innovateurs n’ont pas de pairs. C’est très important, parce que je pense que les gens qui sont des experts dans leur domaine sont enfermés dans une orthodoxie de pensée qui fait qu’il est difficile pour eux d’accepter la plupart des idées novatrices. Si vous avez des gens brillants pour examiner les demandes, s’ils ne sont pas des experts dans le domaine en question, ils reconnaîtront facilement les idées novatrices. Nous avions plusieurs scientifiques et entrepreneurs de haut vol qui siégeaient à la commission d’évaluation.

Les évaluateurs à chaque cycle peuvent choisir de valider une idée [parmi les candidatures], c’est leur "médaillé d’or". Ensuite, ils choisissent deux ‘médaillés d’argent’ qui seront évaluées de plus près par le reste de la commission. La plupart des évaluateurs n’avaient jamais eu une opportunité de ce type auparavant ; ils sont souvent membres de comités d’évaluation au sein desquels leur rôle se limite à l’expression d’une opinion, sans véritablement possibilité de choisir entre les projets. Et certaines personnes très brillantes, des lauréats du Prix Nobel, ont trouvé cela difficile, cela les rendait très nerveux.

Et quelle est votre propre approche ?

La recherche incrémentale de qualité, le type de propositions que vous pourriez rencontrer dans une demande adressée aux NIH ou au MRC [Medical Research Council], je les jette à la poubelle. C’est au MRC de financer ce genre de choses, c’est aux NIH de les financer. C’est justement le genre d’idées que les NIH ne financeraient jamais que je classe parmi les bonnes idées. J’aime ces idées. Et aucune de ces idées n’est totalement nouvelle, elles existent déjà mais personne ne les finance.

Bill et Melinda Gates s’impliquent-ils beaucoup dans le processus d’évaluation des idées ?

Absolument. Nous soumettons toujours nos nouvelles idées à Bill pour nous assurer qu’il en est informé. Bill faisait partie des évaluateurs. C’est quelqu’un de brillant, un innovateur, pourquoi ne serait-il pas en mesure de faire la différence entre une bonne et une mauvaise idée ?

Pourriez-vous nous citer quelques idées qui seront financées ?

Au premier tour, nous avons financé une proposition qui consistait à incuber les nanoparticules d’acrylamide avec des virions [particules de virus] du VIH ; et à mesure qu’elles se solidifient, les virions seraient délavés. Cela donnerait des particules avec des poches qui correspondraient exactement à la taille des virions du VIH, un peu comme un anticorps synthétique. L’idée consiste à injecter ces particules afin qu’elles absorbent les virions comme le ferait un anticorps.

Ce projet a bénéficié d’un financement au premier tour, et environ six mois plus tard je n’ai plus eu de nouvelles du scientifique concerné qui est basé à Singapour.

Une autre idée consistait à introduire les antigènes du paludisme dans les glandes salivaires du moustique de manière à ce que chaque fois qu’un moustique vous pique qu’il vous vaccine par la même occasion. Ça pourrait ne pas marcher, mais ce sont de nouvelles idées.

Une autre idée consiste en une approche magnéto-optique du diagnostic du paludisme. Les parasites du paludisme fabriquent, à partir de l’hémoglobine humain, un pigment appelé hémozoïne [pigment noir ou pigment malarique] qui contient du fer. Grâce à une sorte de champ magnétique, vous pouvez orienter ces particules de fer dans une direction autre que celle dans laquelle, disons, le sang humain s’oriente. Et ensuite, à l’aide d’un mécanisme optique vous pouvez procéder au diagnostic. Voilà une idée qui vient d’être proposée. C’est excitant. J’adore lire ces propositions.

Et pour les gagnants, que remportent-ils ?

Ils bénéficient d’un financement de US$ 100.000 dans les trois mois qui suivent la proposition. Mais nous sommes prêts à financer les idées qui marchent jusqu’à hauteur de US$ 1 million au second tour voire davantage au fur et à mesure que l’idée avance. On peut y investir jusqu’à US$ 200 millions.

Le projet Grand Challenges attire-t-il des scientifiques du monde en développement ?

Environ 10 à 11 pour cent des demandes provenaient du monde en développement, et environ 10 à 11 des demandes qui ont été financées venait du monde en développement – les performances des scientifiques du Sud ont égalé celles de leurs confrères du monde développé.

Au dernier tour, nous avons eu un chercheur Kenyan qui travaille dans son pays avec un groupe venu du Canada pour essayer de comprendre pourquoi certains travailleurs du sexe ne contractent pas le VIH malgré leur forte exposition. Et pourquoi ils se retrouvent exposés quand ils cessent d’avoir régulièrement des rapports sexuels. Les causes de la résistance sont peu claires. Il n’a pas trouvé des financements au Kenya et il est parti au Canada pour une formation. Il est reparti au Kenya où il a étudié les données et établi un lien entre le diabète potentiel, ou une propension au diabète et la résistance au VIH. Et il poursuit ces travaux.

Vous est-il déjà arrivé de subventionner des idées très simples  ?

Au premier tour, nous avons reçu d’un Africain une idée qui consistait à utiliser la maison pour attirer et piéger les moustiques. Une idée très basique. Ils ont, cependant, bénéficié d’une financement.

Comptez-vous financer le développement des idées jusqu’à leur application sur le terrain ?

Nous recueillons ces idées, nous les subventionnons, nous en supprimons les risques, c’est ça l’idée. Une fois qu’elles parviennent au stade de la preuve du concept, d’autres organisations s’y intéressent déjà. L’une des choses auxquelles nous réfléchissons c’est comment aider d’autres pays et d’autres organismes à investir dans nos activités.

Allez-vous breveter ces idées ?

Non. Nous ne somme pas titulaires des brevets. Le chercheur peut breveter son idée ou la vendre à quelqu’un d’autre. Notre exigeons seulement qu’il soit conclu un accord facilitant l’accès dans le monde et stipulant essentiellement que si l’idée devient un produit viable, que ce produit soit mis à la disposition des pauvres à un prix abordable .

Vous propose-t-on des idées vraiment folles ?

Oui, certaines de ces idées sont absolument folles.

Ne craignez-vous pas que toutes ces idées farfelues échouent ?

C’est l’une des questions que j’ai posées à Bill. Je lui ai dit: "Le risque est qu’il ne se passe rien au terme de cette opération". Je pense que nous sommes parvenus à la conclusion suivante : des millions ont déjà été dépensés [pour la recherche en santé] par le Wellcome Trust, les NIH et le MRC, sans suite ; preuve que les approches classiques ont échoué.