08/05/17

Beaucoup de gens vont perdre l’audition à cause des écouteurs

Listening with earphone
Crédit image: Flickr / Musiccard

Lecture rapide

  • L’écoute de la musique à un volume trop élevé endommage les cellules auditives
  • Le risque est croissant selon qu’on utilise un casque, des écouteurs ou des baffles
  • Plus d’un milliard de jeunes risquent la perte d’audition due à des sons trop forts

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"Les smartphones, premier support des jeunes pour écouter de la musique, vont impacter la santé auditive des prochaines générations". Telle est la conclusion interpellative d’une enquête publiée en France le 9 mars 2017 à l’occasion de la journée nationale de l’audition (JNA).
 
Réalisée par l’IFOP (Institut français d’opinion publique) pour le compte de l’association JNA, cette enquête intitulée "Le smartphone : ami ou ennemi de notre santé auditive ?" a travaillé sur un échantillon de 1 202 jeunes gens âgés de 15 ans et plus et a étudié la manière dont ces personnes écoutent la musique à partir de leur téléphone portable avec un casque ou avec des oreillettes (écouteurs).
 
Il en ressort que 43% des personnes enquêtées écoutent la musique avec les oreillettes ; une proportion qui monte à 65% chez les jeunes âgés de 15 à 17 ans. De fait, seulement 19% des moins de 35 ans utilisent les casques classiques.
 

“Lorsqu’on écoute la musique à un volume exagéré, ça peut entraîner une destruction des cellules auditives. Cette destruction est d’ailleurs irréversible”

Doriane Moukoko
Chirurgienne ORL – Cabinet médical Océane, Dakar (Sénégal)

 
Les résultats de cette enquête montrent que 71% des jeunes entre 15 et 17 ans (soit 7 jeunes sur 10) écoutent la musique sur leurs smartphones pendant plus d’une heure par jour et que 25% le font pendant plus de deux heures. En revanche, au-delà de 35 ans, ils sont 72% à écouter la musique moins d’une heure par jour sur leur téléphone portable.
 
L’enquête révèle en outre que 91% des 15 – 17 ans écoutent en général la musique dans les transports publics qui sont souvent bruyants. Ce qui a pour conséquence de les amener à hausser le volume d’écoute. Justement, 26% des 15-17 ans, 29% des 18 – 34 ans et 30% des 25-34 disent écouter la musique avec un volume élevé.
 
Pire encore, 54% des 15 – 17 ans et 45 % des 18 – 24 ans s’endorment en écoutant la musique avec leurs oreillettes ou leur casque.
 
Evidemment, cette situation n’est pas sans conséquences ; puisque l’étude a découvert aussi que 39% des moins de 35 ans, avec jusqu’à 42% chez les 18 – 24 ans, ont déjà ressenti des acouphènes (sifflements ou bourdonnements) après une écoute prolongée sur casque ou oreillettes.
 
Bien qu’elle soit réalisée sur la population française, cette étude représente un intérêt certain pour l’Afrique où l’usage des smartphones et des téléphones portables en général s’élargit rapidement ; et en particulier au sein de la population jeune.
 
A ce propos, SciDev.Net a pris attache avec Doriane Moukoko, Chirurgienne d'ORL et responsable du Cabinet médical Océane à Dakar (Sénégal), spécialisé dans l’oto-rhino-laryngologie (ORL). "Les problèmes auditifs liés aux casques et aux écouteurs représentent environ 10% de nos consultations", confie-t-elle.
 

Plus d’une heure d’écoute, c’est exagéré

 
Au passage, elle approuve l’inquiétude de l’enquête JNA/IFOP sur la santé auditive des prochaines générations. En attirant l’attention néanmoins sur certains aspects qu’elle juge déterminants.
 
"Le problème, dit-elle, n’est pas nécessairement au niveau des casques et des écouteurs. Tout dépend de la manière dont on les utilise : le nombre d’heures d’utilisation, le nombre de jours d’utilisation dans la semaine, le volume auquel on écoute sa musique ou ses autres programmes".
 
"Je considère que plus d’une heure d’écoute par jour, c’est déjà exagéré", indique-elle.
 
Sur ce point, Shelly Chadha du département de Prévention de la cécité et de la surdité à l’OMS complète : "Normalement, nous pouvons écouter à un niveau sonore de 85 décibels pendant 8 heures, mais lorsque le volume augmente, le temps d'écoute diminue et nous ne pouvons écouter à un niveau de 100 décibels que pendant 15 minutes par jour".
 
Sauf que les téléphones, les casques et les écouteurs ne sont pas souvent équipés d’appareils de mesure de l’intensité du son.
 
Doriane Moukoko apporte une réponse à cette réserve : "Nous sommes dotés de l’ouïe et nous savons quand le volume est exagéré, et votre entourage aussi peut vous interpeller. Mais, quelque chose de très simple à savoir, c’est que lorsque vous avez vos écouteurs dans les oreilles et que vos voisins peuvent entendre le son qu'ils émettent, c’est que le volume est trop fort."
 
Elle en profite pour rappeler les risques sanitaires auxquels s’exposent les personnes qui utilisent fréquemment les casques et les oreillettes à un volume élevé.
 
"Les différentes maladies sont en général des otites et des pertes auditives. Les otites sont beaucoup plus fréquentes, surtout avec les écouteurs parce que ceux-ci entrainent une irritation locale", dit-elle.
 

Destruction des cellules auditives

 
Ce médecin ajoute que "de ce fait, mais aussi du fait de séjours en boîtes de nuit avec la musique jouée à un très fort volume, on retrouve souvent chez des jeunes des hyperacousies douloureuses qui sont des sortes d’otites internes qui rendent le patient intolérant au moindre bruit."
 
Par ailleurs, poursuit-elle, "lorsqu’on écoute la musique à un volume exagéré, ça peut entraîner une destruction des cellules auditives. Cette destruction est d’ailleurs irréversible".
 
A l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’on suit avec attention la montée de ce fléau qui présente des chiffres inquiétants. A tel point qu’un programme lui est entièrement consacré : "make listening safe" (rendre l’écoute sûre).
 
L’organisation indique en effet que 43 millions de personnes âgées entre 12 et 35 ans vivent avec une déficience auditive invalidante. Tandis que quelque 50% des personnes de cette même tranche d’âge écoutent la musique à un volume inapproprié avec leurs différents appareils. Et que près de 40% d’entre elles sont exposées à des niveaux de sons dommageables dans les bars, les boîtes de nuit ou à des événements sportifs.
 
Occasion pour Doriane Moukoko d’hiérarchiser la dangerosité du problème en fonction de l’outil utilisé : "En écoutant de la musique pendant plus d’une heure par jour avec les casques ou avec les écouteurs, il faut attendre plusieurs jours, voire plusieurs années, pour qu’apparaissent les problèmes. Alors que si vous écoutez de la musique très fort sur des baffles, comme dans une boîte de nuit par exemple, dès le lendemain, vous pouvez avoir une destruction des cellules auditives. Donc, ça a un effet immédiat et c’est beaucoup plus dangereux".
 

Un milliard de jeunes en danger

 
Au final, résume Shelly Chadha, "On estime qu'au niveau mondial, plus d'un milliard de jeunes risquent de subir une perte d'audition en raison de l'exposition à des sons forts dans des milieux récréatifs. Cela pose un énorme défi de santé publique pour nous, surtout parce que la perte d'audition due à des sons forts est évitable ; mais une fois qu'elle se produit, elle ne peut pas être traitée".
 
Aussi conseille-t-elle : "l'audition peut être protégée par l'écoute à des niveaux sûrs, la diminution du temps d'écoute et le port de bouchons d'oreilles dans des milieux bruyants. Pour cela, il est important que les gens soient conscients des risques que posent de mauvaises habitudes d’écoute et disposent également d'outils pour surveiller leur volume d'écoute".
 
Pour sa part, Doriane Moukoko relève que du fait de la liberté des individus, on ne peut pas prendre de mesures coercitives pour obliger les gens à adopter les bonnes habitudes d’écoute.
 
Cependant, elle pense que ce qu’il y a à faire c’est informer et sensibiliser les populations ; "car, chacun veut et aime être en bonne santé".
 
"Les écouteurs sont plus nocifs que les casques. Il vaut mieux privilégier les casques. Mais, dans tous les cas, il faut toujours écouter de façon modérée et pas à un volume élevé", dit-elle.
 
Et de conclure par-dessus tout, "l’oreille n’a pas besoin d’être fermée ; elle doit être ouverte pour pouvoir être ventilée. Donc, le fait de les fermer régulièrement avec les écouteurs induit la multiplication bactérienne et la survenue d’otites".

Références

La synthèse de l'enquête JNA – IFOP est disponible à l'adresse : http://www.journee-audition.org/pdf/cp-enquete-2017.pdf