18/06/10

L’intégration des médicaments traditionnels

Le succès de l'artémisinine a suscité l'espoir d'une nouvelle ère de médicaments conventionnels à base de remèdes traditionnels Crédit image: Flickr/oceanaris

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Pour Yojana Sharma, siles obstacles à l’approbation médicale classique sont nombreux, certains remèdes traditionnels suivent de nouveaux chemins vers la commercialisation.

La transformation après des années de recherche et d’essais de l’artémisinine, issue de la plante armoise, en un antipaludique majeur a été considérée par certains comme le début d’une ère où les traitements traditionnels prometteurs pourraient aboutir au développement de nouveaux médicaments conventionnels.

Pourtant, malgré l’utilisation répandue des médicaments autochtones dans de nombreux pays, peu de ces traitements sont parvenus à l’instar de l’artémisinine, à franchir les obstacles se dressant sur la route de leur approbation et utilisation à l’échelle internationale.

Ces obstacles sont nombreux et de taille : la recherche peut nécessiter 10 ou 15 ans ; le coût des essais cliniques sont prohibitifs (et certains affirment mêmes qu’ils sont incompatibles avec les méthodes de la médecine traditionnelle) et l’approche des grands laboratoires pharmaceutiques internationaux et leur compréhension d’un médicament – au stade moléculaire – n’est pas facile à imiter.

Ainsi, même si des populations locales ont utilisé un médicament pendant de nombreuses années, ce traitement aura normalement à commencer au bas de l’échelle de la recherche, si l’objectif visé est une approbation internationale.

Pas de raccourcis

Le kanglaite, un extrait de plantes médicinales chinoises produit à partir des graines mâtures de la plante appelée Larme de Job – est censé posséder des propriétés anticancéreuses. L’Administration des Médicaments de l’Etat chinois a approuvé sa commercialisation, après trois années d’essais en Chine, où il est largement utilisé pour le traitement des cancers du poumon et du sein.

Mais quand les promoteurs du médicament se sont engagés dans le long processus de solliciter l’approbation de l’agence américaine pour produits alimentaires et pharmaceutiques (US FDA), ils ont dû repartir pratiquement de zéro, et entreprendre des essais cliniques coûteux de phase I pour démontrer l’innocuité du traitement.

Un autre obstacle notamment pour les petites opérations de recherche est le degré d’approfondissement de l’étude auquel sont soumis les médicaments au stade expérimental.

Bhushan Patwardhan, Directeur de l’École interdisciplinaire des sciences de la santé, à l’Université de Pune, en Inde, a beaucoup travaillé sur l’Ashwagandha (Withania somnifera), un remède traditionnel utilisé pour lutter contre la perte de mémoire et comme diurétique, et sur le Shatavari (Asparagus racemosus) du système ayurvédique traditionnel de médecine de l’Inde.

"Les recherches n’abordent pas jusqu’ici la compréhension des molécules du point de vue du médicament. C’était quelque chose de fondamental dans le développement du Tamiflu," fait-il observer.

Le Tamiflu, comme l’artémisinine, connait un succès international. C’est un antiviral à base d’acide shikimique, isolé de l’anis étoilé de Chine – une épice à saveur de réglisse largement utilisée dans la cuisine, ainsi que dans la médecine traditionnelle chinoise pour les maux d’estomac.

Le Tamiflu est un antiviral à base d’acide shikimique, isolé de l’anis étoilé de Chine

Flickr/Whirling Phoenix

Le Tamiflu est passé par toutes les étapes d’essais et de développement avant de se retrouver sur les rayons des pharmacies — et de connaître un succès international. Il a été développé à l’issue d’une analyse moléculaire de ses principes actifs — la voie normale de développement des produits pharmaceutiques à une échelle industrielle.

Un soutien ferme est nécessaire

De telles exigences de recherches, longues et approfondies, signifient qu’un médicament a besoin du soutien d’une organisation de poids, fût-ce un gouvernement déterminé ou un laboratoire international.  

"Toute plante médicinale est tenue d’avoir une certaine activité dans le cadre de la recherche scientifique. Mais si vous voulez développer un médicament à grand succès en termes de pharmacie, il vous faut un projet systématique," dit Patwardhan. "Le gouvernement chinois a fourni un appui politique considérable pour le développement de l’artémisinine."

Or susciterl’intérêt des firmes pharmaceutiques mondiales, parmi les seules organisations disposant des ressources nécessaires pour transformer les médicaments en produits commercialisables, est difficile.

Patwardhan cite l’exemple de la curcumine pour montrer ce qui peut arriver si l’appui n’est pas coordonné. Dérivée de la racine du curcuma, une épice clé dans la cuisine indienne, la curcumine a fait l’objet d’une bataille très médiatisée menée par le gouvernement indien, pour faire annuler un brevet accordé à une université des États-Unis pour son utilisation dans la guérison des plaies.

L’Inde a fait valoir que la curcumine ne pourrait faire l’objet d’un monopole, puisqu’elle est utilisée depuis des siècles dans la médecine traditionnelle. Le pays a eu gain de cause.

Aujourd’hui, si les laboratoires indiens continuent à faire des recherches sur la curcumine, elle reste peu développée comme médicament.

"Nous pourrions en produire plusieurs dérivés", dit Patwardhan, "mais la décision de la développer n’a pas été prise par l’industrie. A moins qu’une stratégie soit trouvée pour la porter à un niveau supérieur, elle ne sera pas développée".

Impossible à évaluer

Les contraintes auxquelles sont confrontés les médicaments traditionnels ne sont pas seulement d’ordre financier : les scientifiques affirment que certains médicaments sont impossibles à évaluer avec les méthodes occidentales. Certains médicaments peuvent ainsi être un mélange d’ingrédients, sans qu’aucun lot ne contiennent exactement les mêmes proportions qu’un autre.

Justin Wu fait partie d’une équipe dirigée par Joseph Sun à l’Université chinoise de Hong Kong. Ils procèdent à des essais sur un remède traditionnel à base de plantes pour le syndrome du côlon irritable, mal pour lequel la médecine occidentale n’a pas de remède.

Le remède utilise une association de près de 20 herbes différentes.
"En raison des diverses compositions des différentes plantes, il est difficile d’imaginer que ce remède puisse être réglementé comme médicament", dit Wu.

"Si nous voulons lui donner la commercialiser sous une marque, nous devons trouver une formule standard et prouver son efficacité sur le plan scientifique".

Sans donner le nom de la formulation, Wu ajoute : "L’objectif à long terme est que ce type de marque puisse être commercialisé dans le monde entier. Mais si nous continuons avec la pratique actuelle qui consiste à utiliser une formule composée, la probabilité de son approbation réglementaire [aux États-Unis] est faible. "

La différence dans la relation entre le patient et le médicament est une autre raison pour laquelle la médecine traditionnelle se prête mal au système de développement des médicaments occidental.

Pour Zhang Xiaorui, coordonnateur de l’OMS pour les médicaments traditionnels, "vous ne pouvez pas utiliser la même approche qu’avec le développement des médicaments. Les médicaments traditionnels dépendent non seulement du produit, mais également du praticien."

De nouvelles approches

Certains pays cherchent à contourner l’approbation internationale et se concentrent plutôt sur la commercialisation nationale des médicaments traditionnels, avec des outils régulatoires conçus au niveau national.

Ne viser que le marché chinois – à lui seul un marché gigantesque et lucratif — peut également réduire les obstacles, compte tenu de l’approbation des médicaments traditionnels par la Chine.

La curcumine reste peu développée en tant que médicament

Flickr/sophiea

Par ailleurs, le programme intitulé Initiative de Leadership technologique indien pour le nouveau Millénaire (en anglais, New Millennium Indian Technology Leadership Initiative) de l’Inde vise à rassembler les entreprises privées, les laboratoires nationaux, et les universités pour développer de nouveaux produits pour l’Inde.

Le Conseil indien de Recherche scientifique et industrielle (CSIR) a déjà financé une poignée de projets de recherche sur les médicaments ayurvédiques.

Pour Patwardhan, "il ne s’agit pas de rumeurs. Il existe une bonne logique derrière ces activités et l’obtention des médicaments avec une sûreté et une qualité modernes à partir des remèdes traditionnels ne prend pas beaucoup de temps".

Une stratégie nationale permet aussi de réduire les coûts.

L’Afrique du Sud rationalise la recherche sur les remèdes traditionnels, en se concentrant sur les maladies clés dans le but de réduire les doubles emplois et limiter les coûts.

"Nous sélectionnons ceux qui passeront par le processus de validation en fonction de leur potentiel", explique Yonah Seleti, du Ministère sud-africain de la science et de la technologie.

Certains gouvernements ont désormais décidé que les médicaments traditionnels largement utilisés et provenant de leurs propres pays devraient bénéficier d’enquêtes réduites avant leur approbation au niveau national.

Dans une certaine mesure, l’Union européenne a reconnu cette pratique. La nouvelle directive de l’Union européenne sur ‘l’utilisation traditionnelle’, qui viendra remplacer la directive actuelle l’année prochaine, autorisera la vente de médicaments traditionnels en Europe si ces derniers se sont montrés surs et efficaces pendant 15 ans.

Pourtant, peu de médicaments traditionnels sont capables de franchir un tel obstacle, aussi bas soit-il.

"L’Afrique a une tradition orale. Si vous voulez établir si un médicament est utilisé depuis 15 ans, vous ne trouverez pas les éléments de justification", dit Nceba Gqaleni, professeur de médecine traditionnelle à l’Université du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud.

"Comment pourrez-vous convaincre les guérisseurs traditionnels de faire leur propre documentation, sans les amener à penser que vous voulez voler leurs connaissances ?"

OneWorld Health cherche le moyen d’augmenter la production d’artémisinine synthétique

Flickr/oceandesetoiles

Des chemins alternatifs

On assiste pourtant à l’émergence de partenariats prometteurs pour le développement de nouveaux médicaments, bénéficiant d’un financement à la fois public et privé. Ces partenariats pourraient devenir des voies pour l’approbation officielle des médicaments traditionnels en Europe et aux États-Unis.

Il s’agit notamment des collaborations entre des universités, des organisations philanthropiques (comme la Fondation Gates) et des organisations à but non lucratif de gestion des médicaments.

OneWorld Health, le premier laboratoire pharmaceutique à but non lucratif aux États-Unis, cherche un moyen d’augmenter la production d’artémisinine synthétique. Le succès de ce médicament a en effet provoqué une pénurie de matières premières, et OneWorld Health pilotera la production d’une nouvelle artémisinine synthétisée, et son approbation par la FDA.

Pour Tue Nguyan, chef de la recherche et du développement clinique à OneWorld Health, "on assiste en Chine à une grande plantation et une grande exploitation intégrées de l’artémisinine. Mais la qualité du rendement varie énormément, et les impuretés qui l’accompagnent dépendent de son origine, de la façon dont elle est récoltée, extraite et purifiée".

"Notre projet consistait à prélever quelques gènes de la plante et à les insérer dans de la levure, cultiver cette levure dans le but de développer l’acide d’artémisinine, et faire un peu de chimie".

Une subvention de la Fondation Gates a permis de porter les expériences de laboratoire à l’échelle industrielle.

"Nous avons pu élargir le processus de sorte que le rendement soit assez élevé pour le rendre économiquement viable", explique Nguyan.

OneWorld Health se penche également sur la synthèse de la prostratine, un composé anti-sida.

La prostratine provient de l’écorce du mamala (Homalanthus nutans), un arbre de Samoa utilisé par les guérisseurs de l’archipel pour traiter la jaunisse (hépatite). OneWorld Health a déjà signé avec le gouvernement du Samoa et les anciens des villages un accord pour leur verser la moitié des bénéfices, si un médicament contre le sida est développé à partir de l’écorce.

Le permis d’exploitation de la prostratine, actuellement aux premiers stades de développement, a été délivré par le National Institute of Health (Institut national de la santé) des États-Unis à l’Alliance pour la Recherche sur le Sida, organisation à but non lucratif qui se chargera des recherches précliniques, en vue d’une future approbation de la FDA.

Pour James Kirby, biologiste moléculaire et membre de l’équipe de OneWorld Health, à l’Université de Californie, Berkeley, "c’est une coalition intéressante de différents groupes qui se forme".

"Une plante utilisée depuis un certain nombre d’années est quelque chose de très prometteur. Elle donne un certain degré de sûreté ou d’assurance qu’elle n’est pas un composé toxique."   

"Nous pouvons considérer l’utilisation qu’en font les autochtones comme un essai informel".

Yojana Sharma est un journaliste scientifique indépendante.

Autres articles sur le thème Propriété intellectuelle