07/03/16

Q&R : Le secteur minier peut financer les soins de santé en Afrique

Bonnie Campbell
Crédit image: SciDev.Net / Bonnie Campbell

Lecture rapide

  • Le coût des services essentiels n’est qu’une fraction des recettes qui s’évadent
  • Au Niger, le secteur minier vaut 70% des exportations, mais rien que 5% du PIB
  • Dès lors, la santé gratuite est possible s'il y a une meilleure gouvernance

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En 2015, une étude effectuée par des chercheurs du Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS) de l’Université du Québec à Montréal (Canada) a conclu que l’exemption du paiement de l’accès aux soins de santé dans les pays d’Afrique de l’Ouest est possible si elle est soutenue par une meilleure gouvernance du secteur minier.
 
L’étude, publiée en août 2015, est intitulée “Minning revenue and access to health care in Africa: could the revenue drawn from well-managed mining sectors finance exemption from payment for health?"
 
Les auteurs de l’étude, Valéry Ridde, Bonnie Campbell et Andréanne Martel, constatent que les réformes imposées aux pays africains dans plusieurs secteurs dans les années 80 par les bailleurs de fonds internationaux ont drastiquement restreint les capacités des États à réglementer leurs systèmes de santé. 

“Le prétexte de la rareté des ressourcesne nous semble donc pas pouvoir être encore une fois convoqué pour justifier l’absence d’investissement dans ces politiques d’exemption qui peuvent être bien souvent comprises comme un premier pas sur le chemin de la couverture universelle en santé.”

Bonnie Campbell
Chercheur, Université du Québec à Montréal

Ils estiment à travers cette recherche que le financement des soins médicaux est bien possible dans les pays d’Afrique de l’Ouest, riches en ressources minières; si les exigences en matière de gouvernance du secteur sont respectées de la même façon par l’ensemble des acteurs concernés, qu’ils soient étatiques, privés ou internationaux.
 
Dans cette interview accordée à SciDev.Net, la chercheuse Bonnie Campbell qui a participé à la recherche en explique la démarche et les conclusions.
 

Pourquoi vous-êtes-vous intéressés dans votre étude à l'exemption du paiement dans le secteur de la santé ?

 
Nous parlons d’exemption de paiement dans le secteur de la santé mais il s’agit juste d’un exemple car on pourra plus largement parler du financement de la santé et du social ou de l’action sociale. Ce qui est en jeu c’est la situation paradoxale qui ressort lorsque nous croisons les regards de recherche sur l’accès à la santé dans des pays riches en ressources minières en Afrique.
 

De quels paradoxes parlez-vous concrètement ?

 
D’un côté, le continent africain regorge de ressources naturelles notamment de ressources minières, dont une partie très importante des recettes quitte les pays du fait de pratiques parfois illicites. De l’autre côté, la communauté se mobilise pour trouver les financements afin de couvrir les frais d’accès à des services essentiels (santé, éducation) dont les coûts ne représentent qu’une fraction des recettes qui échappent aux pays. Certes il ne faut pas simplifier et minimiser les complicités internes et l’importance cruciale d’une bonne gestion des politiques de santé comme celles dans le secteur extractif.
Pour mémoire : au Niger, 70 % des exportations du pays dépendent du secteur extractif, mais celui-ci représentait 5,8 % de l’économie nationale en 2010. En Guinée, les produits miniers comptaient pour plus de 50 % des exportations et représentaient 17% du PIB en 2010.
Les chiffres sur la richesse minière du continent africain donnent le vertige des possibilités. En les comparant aux coûts des politiques d’exemption du paiement des soins en Afrique de l’Ouest, on comprendra comment une meilleure maitrise des ressources minières permettrait de sauver des vies si les politiques étaient bien mises en œuvre. 
 

Qu'est-ce qui vous fait dire que ce ne sont pas des possibilités qui font défaut…

 
Au Burkina Faso par exemple, l’exemption du paiement des accouchements coûte 2 milliards de CFA par an, celle prévue pour les enfants de moins de 5 ans, 8 milliards de F CFA, environ le même montant qu’au Niger. À titre de comparaison sur la base des données reportées par l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) pour le Burkina, après conciliation, les revenus générés par le secteur minier totaliseraient un montant de 190,757 milliards de FCFA pour l’année 2012. En Côte d’Ivoire, l’exemption du paiement pour les enfants de moins de cinq ans est budgétisée à 5 milliards. Au Sénégal, la gratuité des soins pour les personnes âgées de plus de 60 ans coûte 1 milliards par an. Au Bénin, la gratuité des césariennes est estimée à 2 milliards par an.
Ces quelques exemples sont certes très imparfaits, car ils ne considèrent que les coûts du remboursement des actes réalisés gratuitement par les formations sanitaires sans prendre en compte l’ensemble des mesures d’accompagnement indispensables, mais ils montrent combien le financement de ces politiques d’exemption, au regard de la maîtrise des ressources minières, n’est pas insurmontable. Le prétexte de la rareté des ressourcesne nous semble donc pas pouvoir être encore une fois convoqué pour justifier l’absence d’investissement dans ces politiques d’exemption qui peuvent être bien souvent comprises comme un premier pas sur le chemin de la couverture universelle en santé.
 

Votre étude indique clairement qu’un secteur minier bien géré peut représenter un levier pour le développement du secteur de la santé et l’accès des populations aux soins médicaux de base. Mais quelles sont les conditions qui doivent favoriser cela?

 
La condition évidemment est que les systèmes de santé et notamment les politiques d’exemption de paiement des soins soient bien gérés. Lorsqu’elles ont été bien préparées et mises en œuvre correctement, les politiques d’exemption ont été très efficaces et souvent équitables. En revanche, lorsqu’elles étaient démagogiques, insuffisamment préparées ou financées, et sans mesure d’accompagnements pour que le système de santé puisse faire face à la hausse de la demande qu’elles engendrent, elles ont parfois renforcé les dysfonctionnements préexistants. Nous pensons que les transformations nécessaires pour assainir la gestion du secteur minier ne seront réalisables que si les acteurs privés concernés et la communauté des bailleurs de fonds respectent les mêmes règles et exigences de transparence et d’imputabilité que l’on demande aux pays concernés.
 

Les défaillances que vous évoquez se situent à quels niveaux précisément ?

 
Par exemple, au Niger, seulement 50% du budget requis pour financer la politique publique d’exemption du paiement des soins pour les enfants de moins de 5 ans a été voté par les Parlementaires. Au Sénégal, moins de 30% des fonds requis pour la politique d’exemption du paiement des soins des personnes de plus de 60 ans ont été débloqués.En Côte d’Ivoire, seuls 23% des fonds d’urgence de 2011 pour les mesures de gratuité des soins ont été décaissés. Mais ce manque de financement pour organiser une politique décidée n’est cependant pas la norme. Au Burkina Faso par exemple, le Parlement a voté la totalité des fonds nécessaires pour organiser sa politique de subvention des accouchements de 2006 à 2015.
Mais il y a des avancées très importantes au niveau des pays, des sous-régions et du continent dans son ensemble qui font école et qui montrent que des réformes importantes sont tout à fait possibles en Afrique.  À ce sujet la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies a joué et joue un rôle de leadership des plus importants comme l’illustre le document African Mining Vision de 2009 dont elle est l’initiatrice.
 

Ce qui veut dire que le financement de l’exemption de paiement pour les soins médicaux n’est vraiment pas une équation insoluble…

 
Notre recherche, entreprise dans une perspective holistique croise les résultats de chercheurs très pointus qui travaillent sur l’accès aux soins et les politiques publiques en santé en Afrique. Elle nous amène au constat que le problème n’est peut-être pas avant tout un manque de financement et conduit à nous demander si la focalisation actuelle sur les flux externes publics et privés pour pallier l’insuffisance des fonds n’est pas symptomatique d’un problème plus profond qui semble trop souvent évacué, à savoir la pertinence des choix actuels de stratégies et de pratiques mises en avant par les bailleurs, ainsi que les moyens pour les financer.
 

Est-ce que ce n’est pas aussi trop demander à ce secteur qui a tout de même fait l’objet de multiples réformes qui ne l’aident pas à dégager des surplus ou qui n’ont pas forcément produit les résultats escomptés?

 
Nous faisons aussi constater, tout comme pour la santé, que les réformes du secteur minier ont fragilisé les capacités institutionnelles et notamment les capacités de suivi du secteur (pour certains pays), et de vérification des calculs de recettes et des redevances. De telles situations réduisent en conséquence l’imputabilité des gouvernements envers leur population. Ce qui est souvent présenté comme manque de transparence et corruption de la part de certains décideurs africains représente certes des enjeux bien réels, mais recouvre des réalités complexes car il s’agit de jeux qui se jouent à deux et même à plusieurs.
Rappelons que le rétrécissement de la marge de manœuvre des États riches en minerais et de leur espace de prise de décision politique, depuis les années 80 et 90 et la période des politiques d’ajustement structurel, du fait d’avoir à répondre à un processus de réformes dirigé de l’extérieur, a, dans certaines circonstances, été accompagné par l’institutionnalisation de modes particuliers de reproduction des relations de pouvoir. Ceci est particulièrement le cas dans des pays très riches en ressources minières. Par exemple, au Mali et en RDC entre 2002 et 2006, les pratiques de prix de transfert erroné qui se caractérisent par une manipulation des prix prenant notamment la forme d’une surfacturation délibérée des importations ou la sous-facturation des exportations (dans le but d’évasion fiscale) leur ont coûté annuellement 25% des revenus publics hors dons. Cette perte représente pour le Mali 200 millions de dollars par année et pour la RDC 375 millions de dollars.
 

Quelle appréciation générale faites-vous de la gestion du secteur minier en Afrique?

 
Le continent africain est immensément riche en ressources minières. Et il ne se passe pas un mois sans que de nouveaux développements du secteur minier, notamment en Afrique de l’Ouest, ne soient annoncés. Il ne faudrait pas que l’histoire se reproduise et que ces ressources potentielles ne soient pas mobilisées en faveur des populations. Oui, il y a, certes, d’importantes questions de gestion internes de ces riches secteurs. Cependant, un secteur minier bien maîtrisé par les pays du Sahel est encore tout à fait possible. La mobilisation des ressources internes pourrait ainsi profiter aux politiques de santé, notamment à l’exemption du paiement des soins. 

Références

L'étude complète (en anglais) est accessible par l'adresse: http://www.ieim.uqam.ca/spip.php?page=article-cirdis&id_article=9862