20/08/15

Morsures de serpents : 30.000 Africains en danger

Africa Mamba
Crédit image: Flickr/Happy Via

Lecture rapide

  • En Afrique, des milliers de personnes sont victimes chaque année des morsures de serpent
  • Or le groupe français Sanofi a annoncé la fin de la fabrication de l’antivenin le plus efficace sur le continent
  • MSF appelle la communauté internationale à réagir pour sauver la vie des victimes potentielles

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Selon l’organisation médicale d'urgence Médecins Sans Frontières (MSF), l’abandon par le groupe français Sanofi, de la fabrication du sérum FAV-Afrique, met en danger la vie de milliers de personnes en Afrique sub-saharienne.
 
Cet antivenin est en effet considéré comme le remède le plus efficace contre les morsures de serpent, dont environ 30.000 personnes sont victimes chaque année dans la région.
 
FAV-Afrique est un sérum antivénimeux polyvalent obtenu par immunisation de chevaux avec les venins de dix espèces de serpent parmi les plus dangereuses d’Afrique, notamment la vipère, le mamba et le cobra.
 
"FAV-Afrique est l’un des antivenins les plus efficaces dont nous disposons pour cette région du monde, où des centaines de personnes meurent chaque année de morsures de serpents", a déclaré à SciDev.Net Manica Balasegaram, le directeur exécutif de la Campagne MSF pour l'Accès aux Médicaments Essentiels.
 
Malheureusement, explique-t-il, "l’Afrique Sub-saharienne n’est probablement pas perçue comme un marché particulièrement lucratif et c’est sûrement l’une des raisons pour lesquelles l’une des compagnies les plus importantes dans l’industrie, en l’occurrence, Sanofi, qui fabrique FAVAfrique, a décidé d’arrêter sa production."
 
La firme française a annoncé l’abandon de la fabrication de FAV-Afrique en 2010 et les dernières ampoules ont été commercialisées l’an dernier.
 
Mais elle explique qu’elle a stoppé la production de ses immunoglobulines antivenin dans un contexte où d’autres producteurs avaient fait leur apparition, avec des capacités de production susceptibles de répondre aux besoins mondiaux.
 
 
Nouveaux acteurs

 
"Depuis 2006, les produits concurrents à FAV-Afrique se sont multipliés, en provenance de producteurs asiatiques, latino-américains et africains, avec des conditions de prix sur lesquelles Sanofi Pasteur ne pouvait s’aligner", explique Alain Bernal, le directeur de la communication du groupe, dans une interview à SciDev.Net.
 
"Le choix des acheteurs se focalisant sur le coût, ils se sont approvisionnés auprès de ces nouveaux producteurs, ce qui a eu pour conséquence directe une importante chute de la demande de doses d’immunoglobulines FAV-Afrique de Sanofi Pasteur, de plus de 30.000 doses à moins de 5 000 doses annuelles."

“L’Afrique Sub-saharienne n’est probablement pas perçue comme un marché particulièrement lucratif et c’est sûrement l’une des raisons pour lesquelles Sanofi, qui fabrique FAVAfrique, a décidé d’arrêter sa production.”

Manica Balasegaram 
Directeur exécutif de la Campagne MSF pour l'Accès aux Médicaments Essentiels

Confrontée à cette chute des volumes d’immunoglobulines antivenin, ainsi qu’à un manque de visibilité incompatible avec les temps de production et de contrôle qualité, Sanofi Pasteur explique qu’elle a décidé de concentrer ses capacités de production sur les immunoglobulines antirabiques, qui sont des produits vitaux, pour lesquels la demande est croissante et susceptible d’être planifiée et dont la production est insuffisante pour répondre aux besoins mondiaux.
 

L’organisation assure sensibiliser depuis plusieurs années les autorités internationales de santé sur les conditions de marché qui ne permettent pas d’assurer la pérennité de sa production des immunoglobulines antivenin FAV-Afrique.
Elle déclare notamment avoir largement contribué à faire éditer par l’OMS en 2010 des lignes directrices pour la production et le contrôle des immunoglobulines antivénimeuses contre les morsures de serpents, afin d’assurer une harmonisation des normes de qualité et d’efficacité des produits, quelle que soit leur origine.
 
Cependant, estime-t-elle, il n’y a pas encore de contrôle via un processus de pré-qualification des produits disponibles sur les marchés.
 
"A ce jour, nous sommes le dernier producteur issu des pays industrialisés à produire des antivenins", explique encore Alain Bernal.
 
 
Transfert de technologie

 
Pour sa part, MSF regrette qu’aucun transfert de technologie n’ait été opéré avec un autre laboratoire, afin de garantir un approvisionnement continu en FAV-Afrique et estime que même si un tel transfert devait s’opérer en 2016, les premières doses ne seraient pas disponibles, au mieux, avant fin 2018, ce qui expose des milliers de patients africains à de possibles morts consécutives aux morsures de serpent.
 
Mais l’organisation reconnaît que l’identification de partenaires et autres laboratoires susceptibles de fabriquer le sérum FAV-Afrique est une tâche potentiellement ardue.
 
Toutefois, explique Manica Balasegaram, "ce qui est ennuyeux, c’est que la décision d’abandonner la fabrication a été prise en 2010 et Sanofi aurait dû prendre des précautions plus tôt."
 
"La décision de Sanofi a été prise en 2010 et nous n’avons appris la nouvelle qu’en 2014 et ceci est susceptible de conduire assez rapidement à une rupture de stocks d’antivenin", estime le responsable de MSF.
 
Pour sa part, Sanofi fait valoir que la production des immunoglobulines équines utilisées comme antivenin est un procédé complexe exigeant un cycle particulièrement long, de l’ordre de deux ans.
 
"Nous continuons de rechercher un partenaire à qui transférer la technologie", explique Alain Bernal.
 
"Mais il existe peu de laboratoires intéressés, compte tenu des conditions de marché, marquées par l’existence d’autres fabricants auprès desquels nos anciens clients sont allés s’approvisionner, ce qui a conduit à la chute de la demande pour notre produit et à notre décision de réorienter nos capacités vers la production de sérums anti-rabique, un autre médicament essentiel."
Pour Manica Balasegaram, la responsabilité de cette situation incombe également aux organismes de santé publique, "qui doivent maintenant s’occuper de ce problème, en intégrant le fait que ces maladies négligées doivent recevoir une certaine attention de la part de la communauté internationale et que nous devons nous assurer, au minimum, que l’approvisionnement, la production, la recherche et le développement de nouveaux outils, qu’il s’agisse de médicaments, de vaccins ou d’antivenins, pour ces maladies négligées, trouvent un financement et fassent l’objet d’un soutien."
 
 
Maladies négligées

 
"Il va de soi que les firmes pharmaceutiques, elles aussi, ont une certaine responsabilité. Elles doivent s’assurer de conserver un portfolio de produits", estime-t-il.
 
Le chercheur souligne par ailleurs le besoin d'entretenir la motivation pour la recherche, la production et le développement de produits, pour ce type de maladies négligées. 
 
"Le système actuel n’est pas très performant et il est temps de penser à le remplacer, pour assurer un approvisionnement à long terme de tels produits", soutient Manica Balasegaram.
 
Sur ce point, Sanofi semble être du même avis: la firme française recommande un suivi des directives de l’OMS sur "la production et le contrôle des immunoglobulines contre les morsures de serpent, afin d’arriver à une harmonisation des normes en matière de qualité et d’efficacité des produits antivenin, quelle que soit leur origine" et de faciliter la mise en place de capacité de production dans les pays confrontés à ce problème de santé publique.
 
Par ailleurs, Manica Balasegaram insiste sur le financement de la recherche-développement, avec un soutien accru des pouvoirs publics.
 
"Il est important de mettre en place des mécanismes de financement en amont, qui se différencient des systèmes actuels de financement où les firmes pharmaceutiques financeraient la recherche et la production et vendraient par la suite les produits à un prix très élevé", explique-t-il.
 
Manica Balasegaram estime en outre qu’il est tout aussi important d’avoir des accords de livraison à long terme avec les firmes, sur le modèle de ceux proposés par le Fonds Mondial, afin qu’elles soient conscientes d’un besoin d’approvisionnement prévisible à long terme.
 
A l’échelle mondiale, on estime qu’il y a environ 100.000 morsures de serpents chaque année, dont 30.000 en Afrique sub-saharienne et un grand nombre de patients préfèrent se rendre chez des guérisseurs traditionnels, pour se faire soigner.
 
Le problème, explique Manica Balasegaram, est que "si les problèmes d’approvisionnement en antivenin se confirment, le public perdra totalement confiance dans les systèmes de santé et aura tendance à se fier davantage aux guérisseurs traditionnels qu’à la médecine conventionnelle, avec tous les risques à la clé."