12/01/16

Traiter les porteurs sains pour mieux combattre les maladies

Tsetse fly
Crédit image: Flickr/Jorge Almeida

Lecture rapide

  • L'organisme humain résiste à certaines maladies parasitaires de la famille des trypanosomatidés
  • L'étude vise à mieux comprendre ce mécanisme pour les besoins de santé publique
  • Des spécialistes soulignent le besoin de développer des outils de diagnostic pour une identification facile des porteurs asymptomatiques

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Une nouvelle étude révèle que l’Homme peut vivre de très longues années avec la maladie du sommeil, avant de tomber malade ou de s’en débarrasser.

Il s'agit d'une synthèse de l’ensemble des travaux de recherche épidémiologique et de dépistage de plusieurs maladies issues de la même famille de pathogènes appelés trypanosomatidés.
 
On y compte notamment les maladies du sommeil, de Chagas et les leishmanioses.

Publiés en décembre 2015 dans Trends in Parasitology, une rubrique de la revue scientifique Cell Press de Elsevier, les résultats de cette étude, menée par des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), mettent en évidence le phénomène de tolérance à ces maladies appelé "trypanotolérance".
 
Selon David Berthier, chercheur au Cirad et auteur principal de l’étude, le travail a pour but majeur "de mieux comprendre ces phénomènes de tolérance et de tirer bénéfice de l'évolution des organismes".
 
D’après les explications des chercheurs, cette tolérance aux parasites est à la fois due aux effets de l'environnement de vie et aux mutations de l’ADN chez les populations exposées.

En ce qui concerne la maladie du sommeil, les chercheurs expliquent que certaines populations qui habitent les zones endémiques de cette maladie en Afrique auraient développé une tolérance au parasite Trypanosoma brucei gambiense.
 
David Berthier a expliqué à SciDev.Net que "les mécanismes de cette tolérance sont complexes, multifactoriels, impliquant à la fois les effets de l'environnement et bien entendu de la génétique".

Se fondant sur les premiers taurins introduits en Afrique il y a plus de 7000 ans, David Berthier déclare que "l'histoire de vie et l'évolution commune entre les parasites, les vecteurs et ces populations taurines sur cette très longue période ont probablement induit des mécanismes adaptatifs favorables qui pourraient être impliqués, pour une partie, dans ce phénomène de tolérance".
 

“Les causes de cette tolérance aux parasites ne sont pas connues et également la tolérance de chaque espèce de parasite est susceptible d'être très différente”

Jeremy Sternberg 
Institut des sciences biologiques et environnementales de l’Université d’Aberdeen, au Royaume-Uni

Cependant, Jeremy Sternberg, de l’Institut des sciences biologiques et environnementales de l’Université d’Aberdeen, au Royaume-Uni, explique à SciDev.Net qu’on ne sait vraiment pas de quoi dépendent la résistance ou la sensibilité à ces infections humaines et cela constitue un grand défi pour la recherche.

"Les causes de cette tolérance aux parasites ne sont pas connues et également la tolérance de chaque espèce de parasite est susceptible d'être très différente", précise l’intéressé.

Participer à l’élimination des maladies

Les porteurs sains ou asymptomatiques sont bien connus chez les animaux et participent depuis très longtemps à la prévention de la maladie dans les élevages en Afrique.

Par contre, selon David Berthier, chez les humains, ils ne sont connus que depuis peu et sont encore très peu étudiés, en raison de la difficulté à déterminer de façon expérimentale le phénotype de tolérance ou de sensibilité à l'infection dans l'espèce humaine.

Selon les chercheurs, ces porteurs sains, en raison de leur potentiel immunitaire, doivent absolument être pris en compte dans les programmes de santé publique afin d’éliminer ces maladies d’ici à 2020, conformément aux objectifs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
 
"Durant des milliers d'années de vie sous pression vectorielle et parasitaire forte et parfois constante, l'homme et les animaux ont développé des mécanismes adaptatifs qui leur ont permis de mieux tolérer ces maladies. Identifier ces mécanismes et mieux les comprendre ouvre clairement une voie prometteuse pour cibler de nouvelles molécules thérapeutiques et pourquoi pas vaccinales", affirme Sophie Thevenon, chercheur au CIRAD et co-auteur de l’étude.

"Le statut de porteur sain est important dans le contrôle car, il peut agir comme réservoir. Au niveau moléculaire, si nous pouvons découvrir comment les individus peuvent coexister avec ces parasites, nous pourrions être en mesure de développer des médicaments et thérapies pour traiter les personnes qui ne peuvent pas les contrôler", ajoute Jeremy Sternberg.

Aubaine et frein à la lutte

Selon l’Oms, la maladie du sommeil transmise par les mouches tsé-tsé, sévit dans 36 pays en Afrique subsaharienne avec 6 314 cas recensés en 2013.
Philippe Solano, chercheur à l’IRD, a expliqué à SciDev.Net que les porteurs sains constituent à la fois une aubaine et un frein à l’élimination de ces maladies pour lesquelles il n’existe pas pour le moment de vaccins.
 
"Ignorer ces porteurs sains alors qu'il semble clairement qu'ils soient largement sous-estimés reviendrait à laisser un réservoir humain (et animal) qui pourrait mettre à mal les stratégies d'intervention pour l'élimination de ces maladies", a indiqué Philippe Solano.
 
"En revanche, mieux comprendre ces phénomènes adaptatifs participerait largement à identifier de nouvelles molécules thérapeutiques plus efficaces, plus adaptées et moins toxiques mais aussi ouvriraient également la voie au développement de vaccins", ajoute-il.
 

Défis des pays endémiques

 
Dans de nombreux pays, beaucoup de personnes contaminées ne le savent pas et échappent aux dispositifs de santé publique, tout en maintenant un réservoir naturel de ces maladies.

Selon Jeremy Sternberg, en général, les services de santé dans les pays endémiques ne disposent pas de la capacité de surveiller efficacement les patients asymptomatiques.
 
Bruno Bucheton, également chercheur à l’IRD, estime que le premier défi de la recherche est "de pouvoir développer de nouveaux outils modernes de diagnostic qui permettront une identification plus facile de ces porteurs asymptomatiques".

Le chercheur estime que le défi le plus important qui s’impose aux pays endémiques et aux programmes de lutte concernés en collaboration avec leurs partenaires internationaux, est de "déployer ces nouveaux outils sur le terrain, afin de progresser vers l’objectif d’élimination de ces maladies".