04/05/21

Q&R : L’université d’Edimbourg a la volonté de travailler avec l’Afrique

Debora Kayembé
Debora Kayembé Buba. Crédit image: Debora Kayembé

Lecture rapide

  • Un programme spécial va faciliter l’insertion des étudiants africains à l’université d’Edimbourg
  • Cette institution regorge d’immenses richesses dont l’Afrique pourrait tirer profit
  • Les universités africaines ont intérêt à mettre un élan démocratique en leur sein

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Etablie à Edimbourg en Ecosse depuis une décennie après savoir fui l’insécurité en République démocratique du Congo (RDC), son pays natal, l’avocate Debora Kayembé Buba, connaît un destin inattendu.

Régulièrement victime d’actes de racisme qui sont allés jusqu’au sabotage de sa voiture, elle en a ras-le-bol lorsque ces attaques atteignent finalement sa fille de neuf ans à qui il est demandé d’exécuter la danse des esclaves devant tous ses camarades de classe.

N’en pouvant plus, Debora Kayembé dépose une pétition au parlement écossais pour qu’on puisse introduire des normes antiracistes au sein du système éducatif. Une pétition plutôt bien accueillie par les parlementaires.

Elle s’investit alors dans les questions de racisme, organisant même en 2020 un événement pour dénoncer les attaques contre les communautés qui ne sont pas écossaises.

“Mon souhait en tant que recteur c’est d’être exemplaire, pour qu’à la prochaine occasion, ils n’hésitent pas à élire un autre Africain à ce poste”

Debora Kayembé

Les messages diffusés lors de cette campagne ont touché les esprits au point où à sa grande surprise, elle a été proposée et élue recteur de l’université d’Edimbourg où elle a pris fonction en mars 2021, devenant la première Africaine et la troisième femme à occuper ces fonctions.

SciDev.Net l’a rencontrée et elle dévoile ses ambitions.

Comment vous est venue l’idée de postuler pour être recteur de l’université d’Edimbourg ?

Je vis à 20 mn en voiture de l’université et je passe toujours devant elle ; mais, il ne m’était jamais venu à l’idée d’en être le recteur. Je me suis investie dans les questions de racisme ici en Ecosse. Et l’année dernière, nous avons organisé un événement contre les attaques ciblant les communautés qui ne sont pas écossaises. Je crois que c’est cela qui a quelque peu intéressé les étudiants au sein de l’université d’Edimbourg ainsi que les travailleurs. Parce que c’est le syndicat des étudiants et celui des travailleurs de l’université qui m’ont contactée pour me dire qu’ils appréciaient le travail que j’étais en train de faire.Du fait de l’implication de l’université dans la vie de l’Ecosse en général, ils estimaient qu’il était important que je puisse avoir ce poste stratégique pour conduire les plans que j’avais par rapport à la lutte contre le racisme. Donc, ce n’est pas quelque chose que j’ai cherché ; ça m’a été apporté et je suis ravie de l’avoir.

Quels sont les faits majeurs qui ont marqué vos premiers mois à ce poste ?

Ce sont les plaintes du public contre certaines personnes qui ont un lien avec l’université ou contre des professeurs bien établis à l’université et qui seraient en train de promouvoir la supériorité de la race blanche sur les autres races. Les gens maintenant s’ouvrent et viennent auprès de moi pour le dénoncer. Moi, je sais que ce n’est pas cela l’université. En tant qu’institution, nous n’encourageons pas et n’acceptons pas le racisme. Le problème est que vous sentez vraiment que c’est réel. Des individus sont en train d’utiliser la superpuissance de l’université pour parvenir à leurs fins.

L’autre chose est que nous sortons du confinement et vous avez la jeunesse qui réagit très mal au fait qu’on a été confiné pendant une année et on voit beaucoup d’actes de barbarie dans la cité. Ce sont là des choses dont je dois m’occuper rapidement et urgemment.

Au regard de cela, quelles seront les priorités de vos trois ans de mandat ?

J’aimerais faire en sorte que ce que les travailleurs et les étudiants entreprennent au sein de l’université puisse être valorisé et respecté. Je voudrais aussi contribuer à réduire les inégalités qui sont énormes, et même la COVID-19 nous l’a montré. Je souhaiterais aussi voir dans quelle mesure l’université peut travailler avec des penseurs pour atteindre cet objectif. Je voudrais en outre pouvoir donner de la chance aux familles les moins favorisées qui ont des enfants intelligents qui veulent intégrer l’université d’Edimbourg, en créant un programme spécial d’adaptation aux réalités de cette université.

J’entends aussi mettre en place un programme de volontariat pour que les étudiants de l’université apprennent à donner le meilleur d’eux-mêmes pour les autres ; ça peut les aider à quitter Edimbourg pour aller dans d’autres régions du monde découvrir la vie des autres et casser un peu cette ignorance qui est le socle du racisme. Mais, surtout, je voudrais continuer mon combat contre le racisme au sein de l’université.

Le contexte actuel marqué par la COVID-19 ne risque-t-il pas de compromettre ces projets ?

J’ai fixé ces plans en tenant compte de cette pandémie. J’ai regardé là où la pandémie nous amène en tant que société et ces plans vont nous aider à faire face à la pandémie en tant qu’êtres humains. Parce que cette pandémie est en train de nous dissocier de notre mode de vie de tous les jours. Vous n’imaginez pas à quel point les étudiants asiatiques sont en train de souffrir aujourd’hui. On les accuse, sans raison, d’avoir apporté la maladie en Ecosse. Et il faudrait travailler sur un tel problème. Donc, mon plan tient compte de ce contexte de la COVID-19.

Sur le plan scientifique, qu’est-ce que l’Afrique peut tirer comme profit de votre position aujourd’hui ?

Il y a la volonté au sein de l’université d’Edimbourg de travailler avec l’Afrique. Le problème réside au niveau des capacités et des moyens en Afrique. Parce que la COVID-19 est là et ne va pas disparaître de sitôt, il va falloir valoriser le travail sur le numérique. La République démocratique du Congo (RDC) par exemple a un sérieux problème d’éducation de base. La femme congolaise est à 40% illettrée. Et l’éducation actuelle a besoin d’être restructurée parce qu’elle date de plus de 50 ans. Le curriculum n’a jamais été adapté.Certains pays africains ont avancé, mais, il y a aussi cette réalité des infrastructures et de la formation. Voilà des choses qu’il va falloir regarder lentement, mais sûrement. Peut-être que pendant mes trois ans de mandat, je parviendrai à mettre en place les bases d’une collaboration avec l’espoir que celui qui viendra après moi va continuer l’autre phase. Mon souhait en tant que recteur c’est d’être exemplaire, pour qu’à la prochaine occasion, ils n’hésitent pas à élire un autre Africain à ce poste.

Sinon, en l’espace de trois ans, que peut tirer l’Afrique de l’expérience de l’université d’Edimbourg ?

Sur le plan de la recherche et de l’enseignement, il y a une immense richesse dans cette université dont l’Afrique peut s’inspirer. J’ai parlé avec le chargé des étudiants ici à l’université et je l’ai encouragé à instaurer un programme particulier pour les étudiants africains qui veulent rejoindre l’université d’Edimbourg. Ce programme sera mis en place dès le mois de septembre 2021 ; car, croyez-moi, il y a beaucoup de demandes de la part d’étudiants africains voulant venir à l’université d’Edimbourg.

Il y a un vaste terrain inexploré en Afrique en matière de recherche. Nous sommes conscients de cela. Maintenant, il faut trouver le moment et les moyens opportuns ainsi que la plateforme pour mettre en œuvre cette collaboration.

Quelle marge de manœuvre avez-vous pour mettre en œuvre ces initiatives.

Il y a cet aspect démocratique qui est très impressionnant au sein de l’université d’Edimbourg. Je travaille par exemple en collaboration avec le vice-chancelier chargé des étudiants en ce qui concerne ma vision pour les étudiants. Voilà pourquoi je disais que nous allons établir un programme pour que les étudiants africains qui veulent venir à l’université d’Edimbourg puissent être bien reçus. L’organe le plus puissant à l’université c’est le « court » qui se tient quatre fois par an et c’est là où les décisions se prennent. Et cet organe est présidé par le recteur.

Quel intérêt y a-t-il à élire les dirigeants des universités plutôt qu’à les nommer comme on le voit un peu partout en Afrique ?

Ça permet premièrement d’éviter la corruption. Comme vous le savez, il y a beaucoup d’argent qui circule à l’université. Lorsque vous nommez des gens, ils sont à votre écoute et à votre service puisque vous les avez nommés. Dans le cas d’Edimbourg, le recteur n’est pas forcément un académique. C’est quelqu’un qui se distingue sur le plan national ou international par ce qu’il a réalisé. J’encourage les universités africaines à mettre cet élan démocratique dans leurs institutions. C’est un bon exercice. Moi-même, j’apprends beaucoup grâce à ma nouvelle fonction.

Quel message donneriez-vous aux Africains pour lesquels vous êtes un exemple à suivre ?

Que les Africains mesurent la valeur de leur continent qui est le plus riche au monde, sur tous les plans. Les Africains doivent protéger l’Afrique et arrêter de se battre inutilement et œuvrer pour la paix. Les gouvernements doivent œuvrer pour l’éducation parce que sans éducation, on ne peut rien construire.