09/03/21

Q&R : L’éradication du paludisme est possible si nous nous en donnons les moyens

David Beckham meets scientist and Malaria Champion Ingrid Itoke while filming Malaria Must Die campaign at London Coliseum. malariamustdie.com
Ingrid Etoke intervenant lors d'une campagne de lutte contre le paludisme. Crédit image: Ingrid Etoke (Cette image a été rognée).

Lecture rapide

  • Des innovations, dont une nouvelle génération de moustiquaires sont déployées en Afrique depuis 2020
  • Vaincre le paludisme devrait être l’objectif de tous, pas seulement de l’OMS ou du ministère de la Santé
  • L’Afrique doit poursuivre son autonomisation pour préserver les acquis de la lutte contre le paludisme

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En 2020, le programme « Decade of health » (Décennie de la santé) a classé Ingrid Etoke au sixième rang des 10 personnalités qui révolutionnent le secteur de la santé au Royaume-Uni.

Ce palmarès indique que la Camerounaise est à la pointe de l’innovation et de la science en Grande-Bretagne et aide à développer de nouveaux outils de lutte antivectorielle pour l’éradication du paludisme.

Titulaire entre autres d’un master en biochimie et d’un diplôme universitaire en chimie pharmaceutique, Ingrid Etoke a travaillé tour à tour dans des firmes pharmaceutiques Novartis, Sanofi et GSK[1] avant d’arriver en 2019 chez IVCC[2] au Royaume-Uni où elle aide à élaborer des stratégies pour permettre aux pays africains d’accéder aux produits de lutte contre le paludisme.

Dans cet entretien avec SciDev.Net, elle revisite les grands enjeux de la lutte contre cette maladie en Afrique.

En vous retenant dans son classement, « Decade of Health » a souligné que vous êtes à l’avant-garde de la science et de l’innovation dans le développement de nouveaux outils de lutte antivectorielle contre le paludisme. Quelles sont celles de ces innovations dont vous êtes le plus fière et quel a été leur niveau d’adoption en Afrique ?

Les moustiques développent des résistances à la principale classe d’insecticides utilisée depuis plus de deux décennies sur le continent. Cela constitue un vrai risque de recrudescence du paludisme dont le nombre de cas a été diminué pratiquement de moitié depuis le début des années 2000.

IVCC a développé en partenariat avec l’industrie, une nouvelle classe de moustiquaires. Ces moustiquaires ont deux insecticides ; ce qui limite le risque de résistance des moustiques. Ces innovations sont été déployées à bas prix dans plusieurs pays d’Afrique depuis 2020 grâce au travail que nous faisons.

Pourquoi concentrez-vous votre contribution dans la lutte antivectorielle contre cette maladie plutôt que dans la recherche d’un vaccin par exemple ?

Je suis actuellement vice-présidente dans le groupe de travail d’accès à l’innovation de « Roll Back Malaria » (RBM). Le partenariat RBM regroupe plus de 500 partenaires comprenant des groupes de professionnels de santé communautaires, des chercheurs mettant au point de nouveaux outils, des pays touchés par le paludisme, des pays donateurs, des entreprises privées et des organisations internationales.

“C’est seulement en 1975 que l’Europe a été déclarée « malaria free » c’est-à-dire qu’elle est sans paludisme. Les 10 dernières années, au moins 10 pays ont eu la même certification. Cela démontre que l’éradication du paludisme est bien possible si nous nous en donnons les moyens”

Ingrid Etoke

Dans ce groupe de travail nous élaborons des recommandations globales sur les problématiques d’accès à l’innovation dans le domaine du paludisme. Dans ce contexte, j’ai l’opportunité de contribuer au niveau international sur toutes les problématiques d’accès à l’innovation relative au paludisme. Aussi bien dans le domaine du médicament que dans celui du vaccin, de la lutte antivectorielle et celui des tests.

Récemment nous avons mené un grand nombre de consultations auprès des pays africains pour avoir leur opinion sur les freins à l’accès à l’innovation relative au paludisme. Ces rapports seront transmis à l’OMS, aux pays et mis à disposition du public dans les prochaines semaines. En résumé, je ne limite pas ma contribution à la lutte antivectorielle. Dans le cadre du partenariat RBM, j’ai l’opportunité de m’impliquer sur tous les aspects de la lutte contre le paludisme.

Est-il vraiment réaliste chercher à éliminer l’anophèle femelle, vecteur du paludisme, plutôt que de chercher à prémunir les populations contre la maladie qu’elle transmet ?

C’est seulement en 1975 que l’Europe a été déclarée « malaria free » c’est-à-dire qu’elle est sans paludisme. Les 10 dernières années, au moins 10 pays ont eu la même certification. Cela démontre que l’éradication du paludisme est bien possible si nous nous en donnons les moyens. En effet, cette bataille sera gagnée par un ensemble de solutions relevant du domaine des soins, de la prévention, mais aussi des infrastructures comme une meilleure urbanisation. La lutte antivectorielle est juste un aspect de la lutte contre le paludisme et nous n’avons pas l’ambition d’éradiquer toute une espèce.

Quelles sont vos recommandations en vue de l’amélioration des résultats de la lutte contre le paludisme en Afrique ?

Le paludisme est la première cause de mortalité des enfants de moins de 5 ans en Afrique. C’est également une cause de perte de revenus du fait du coût des soins de santé, des jours de travail perdus pour les adultes qui, souvent sur notre continent, génèrent leurs revenus dans l’informel au jour le jour.

Vaincre le paludisme devrait donc être l’objectif de tous, pas seulement de l’OMS ou du ministère de la Santé. Le programme « Zero Malaria starts with me »[3] lancé par Roll Back Malaria et visant à impliquer chacun a son niveau illustre cette ambition.Nous vaincrons le paludisme par exemple lorsque les mamans en connaitront mieux les symptômes, lorsqu’elles sauront clairement quel parcours de soins simplifié emprunter et quand elles maitriseront les options de prévention de cette maladie. Nous vaincrons le paludisme lorsque tout le monde aura accès aux médicaments et dernières innovations, lorsque nous pourrons évacuer les eaux stagnantes de nos quartiers et lorsque nous mettrons les nouvelles technologies à disposition comme le digital au cœur des activités

La liste est loin d’être exhaustive, mais en résumé, la lutte contre le paludisme doit être l’affaire de tout un chacun. Comme nous l’avons fait pour la pandémie de la COVID-19 en Afrique, nous devons impliquer tous les acteurs de la société et définir des stratégies adaptées ; car chaque pays est différent.

Quelle est l’incidence de la COVID-19 sur la lutte contre le paludisme en Afrique ?

Aujourd’hui, la lutte contre le paludisme en Afrique repose essentiellement sur les financements internationaux. Avec la crise économique mondiale qui s’annonce et le niveau d’endettement des états occidentaux, ces financements vont s’amoindrir et toute la stratégie doit maintenant être revue.

Pour accéder aux vaccins contre la COVID-19, l’Afrique a su déployer rapidement des mécanismes de financement, notamment avec le soutien de la banque mondiale. C’est ainsi que des Etats achètent directement sur fonds propres, ou via l’Union africaine, des vaccins en dehors de l’initiative mondiale COVAX. Il sera important pour le continent de continuer sur cette dynamique d’autonomisation si elle veut, a minima, maintenir les acquis des deux dernières décennies en matière de lutte contre le paludisme.

Pour quelles raisons avez-vous finalement quitté les firmes pharmaceutiques pour rejoindre IVCC ?

Arrivée chez GSK en 2014, j’ai énormément travaillé avec les Etats, notamment en leur fournissant des vaccins pour les programmes élargis de vaccination et des antirétroviraux dans le cadre des programmes de lutte contre le sida. En 2016, j’ai commencé un master en santé publique à l’Institut de santé globale de l’université de Genève.

En effet, évoluer vers la santé publique me semblait être la prochaine étape logique de mon parcours. Je pense que lorsqu’on évolue dans le domaine de la santé, l’accès aux soins pour tous est finalement ce à quoi l’on aspire. Aujourd’hui j’ai l’opportunité de créer des modelés d’accès aux biens de santé pour le plus grand nombre,  et principalement en Afrique.

Références

[1] GlaxoSmithKline

[2] Innovative Vector Control Consortium. Il s’agit d’une organisation à but non lucratif qui développe, en partenariat avec l’industrie privée, de nouvelles solutions pour lutter contre le moustique vecteur du paludisme.

[3] Zéro paludisme commence avec moi