19/10/11

Un espace ‘sûr’ pour promouvoir des politiques fondées sur des preuves

Les chercheurs qui collaborent avec une organisation-frontière bénéficient d'une politique de protection sociale éclairée en Afrique du Sud Crédit image: Flickr/HelpAge

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Pour Scott Drimie, les 'organisations frontières' offrent un espace loin de la politique permettant aux scientifiques d'associer les responsables publics à leurs travaux de recherche.

L'élaboration de politiques fondées sur des preuves est un processus complexe ; il est rare que les décideurs politiques suivent spontanément les recommandations des chercheurs.

De nombreuses décisions sont prises sans bénéficier de l'appui des données probantes, les décideurs ayant tendance à se laisser influencer par leurs propres valeurs, expériences et jugement, ou par des lobbyistes et des groupes de pression, ou par pragmatisme.

Ainsi, comment la communauté scientifique peut-elle assurer que la recherche s'impose dans l'élaboration des politiques et des pratiques ? Les 'organisations-frontières', des organisations à cheval entre le monde de recherche et le monde politique, peuvent faire partie de la solution.

Elles peuvent aider les praticiens à réfléchir à la stratégie d'effacement des frontières entre la science et la politique. Au lieu de maintenir la séparation comme certains le préconisent et y œuvrent souvent, une telle approche peut permettre une prise de décisions plus productive.

Les leçons tirées du Réseau régional sur le VIH/sida, les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire (en anglais, Regional Network on AIDS, Livelihoods and Food Security ou RENEWAL) en Afrique du Sud laissent penser qu'il est possible pour les scientifiques de contribuer à la promotion de politiques fondées sur des preuves en impliquant les décideurs dans leurs activités en tant 'qu'entrepreneurs politiques', au sein du cadre 'flou' qu'offre une organisation-frontière.

L'exemple du VIH/sida

Fondé par l'Institut de recherches sur les politiques alimentaires (IFPRI) et la Division de la recherche sur l'économie de la santé et le sida (HEARD) de l'Université du KwaZulu–Natal, RENEWAL a une mission spécifique : promouvoir des politiques et des programmes fondés sur des preuves et socialement bénéfiques en matière de VIH/sida et de sécurité alimentaire.

Le projet a su remplir cette mission en renforçant la confiance et les capacités des chercheurs et du secteur public grâce à une formation ciblée et un réseautage ayant permis aux bénéficiaires d'apporter des changements à leurs activités.

Et il ne s'agit pas de réseautage au sens habituel du terme : le projet a délibérément adopté une stratégie d'identification des acteurs et de construction d'une relation de confiance mutuelle pour, en fin de compte, influer sur l'élaboration des politiques.

RENEWAL a impliqué les responsables publics dans des études visant à orienter les politiques sur la vulnérabilité de la population à l'insécurité alimentaire et au VIH/sida, en créant un Groupe consultatif national (National advisory panel, ou NAP) composé de responsables publics, d'organisations non gouvernementales (ONG) et d'universitaires intéressés par ce type de recherche.

Le NAP a servi de canal par lequel les données scientifiques sont passées en revue et transmises par les chercheurs aux autorités compétentes et aux instances décisionnelles.

Il a été conçu comme une structure 'légère', composé de seulement quelques membres regroupés dans une association informelle de différentes agences à même de s'impliquer dans ces questions à la recherche d'un consensus. La structure a été élaboré de la sorte afin de ne pas trop surcharger les responsables publics et de tenir compte des questions politiquement sensibles associées au VIH/sida, à la pauvreté et à la nutrition.

Un 'espace sûr'

A partir du début des années 2000, le négationnisme du VIH/sida atteignait lesommet même du gouvernement sud-africain, notamment l'ancien président Thabo Mbeki. RENEWAL a plutôt mis l'accent sur l'appui aux responsables publics qui cherchaient des éléments probants pour orienter les programmes de lutte contre le VIH/sida.

Ces responsables étaient souvent handicapés par l'étrange dimension politique du VIH/sida qui empêchait un dialogue franc au sein du gouvernement. Les dédales de la politique ministérielle ont contribué à rendre impossible la tenue de réunions prévues entre les responsables et le réseau de chercheurs RENEWAL.

Parmi les principales leçons à retenir : RENEWAL, en tant qu'organisation-frontière, a servi d'espace sûr pour les fonctionnaires de rang intermédiaire, les chercheurs et les universitaires qui se sont s'engagés dans ces questions, afin de contribuer au renforcement des capacités susceptible de permettre une modification des politiques, en temps opportun.

Le NAP a tenu des réunions deux fois par an pour évaluer la recherche sur le VIH/sida, et de plus petites réunions plus fréquentes pour solidifier les liens. De plus grands ateliers et sessions de formation de renforcement des capacités ont soutenu ce processus et attiré de l'expertise de toute la sous-région.

Autre enseignement : il est désormais reconnu que la position du chercheur est généralement celle d'une personne incapable de faire effectuer un changement. Les preuves, à elles seules, sont insuffisantes pour faire la différence.

Ce sont d'autres institutions, comme les groupes d'intérêt ou les organisations de la société civile, qui possèdent ces capacités. Ironiquement, la valeur de la recherche et la crédibilité du chercheur résident dans son impuissance, son objectivité et sa neutralité perçues.

Promouvoir des points de vue nuancés

Quelle autre leçon peut-on tirer de cette expérience ? RENEWAL ne prétend pas avoir directement changé les politiques. Au contraire, le groupe a joué un rôle discret et d'arrière plan, en contribuant aux processus plus larges de changement des politiques.

L'un des exemples de cette activité, c'est l'orientation donnée au cadre de protection sociale proposé par le Conseil national sud-africain du VIH/sida. On peut également citer la création d'un comité spécial de promotion des questions de VIH à intégrer dans la stratégie de réforme foncière.

Pour cela, il a fallu rassembler les différentes preuves et connaissances, et les porter à l'attention des décideurs ; renforcer les capacités de certains individus et groupes à pouvoir utiliser ces preuves, et consolider les relations capables de faire avancer un programme politique ; et soutenir les décideurs politiques à divers niveaux.

Pour jouer le rôle d'une organisation-frontière il faut d'abord être un 'entrepreneur politique' – une entité influente avec une vision à long terme de la promotion de la recherche. Il existe le risque d'être perçu comme une pression indue et une entrave à la bonne gouvernance locale, surtout à travers des individus.

Pourtant, les discussions organisées par RENEWAL sont la preuve que des perspectives variées ont été évoquées et qu'un équilibre judicieux a été préservé. Les organisations-frontière peuvent permettre d'évaluer les résultats de la recherche, renforcer les relations intrasectorielles et intersectorielles, et, on l'espère, contribuer au renforcement à long terme des institutions.

Les groupes qui espèrent influer sur l'élaboration des politiques devraient se servir des organisations-frontière capables d'aider les scientifiques à comprendre comment s'impliquer dans les processus complexes en établissant des réseaux et des alliances, et ainsi promouvoir la prise de décisions fondées sur les preuves.

Scott Drimie est professeur agrégé au département des sciences interdisciplinaires de la santé à l'Université de Stellenbosch en Afrique du Sud. Il a été coordonnateur régional de RENEWAL.

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