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Pour Athar Osama, les révolutionnaires du ‘Printemps arabe,’ devenus dirigeants, doivent faire du savoir et de l’innovation les baromètres du progrès.

Les révolutions qui ont balayé les pays et secoué les gouvernements de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) cette année, offrent des opportunités pour une meilleure implication du grand public dans la gouvernance. La Tunisie, par exemple, a récemment organisé une élection, et le peuple égyptien est en voie d’élire un Parlement dont la mission est de doter le pays d’une nouvelle Constitution.

Les révolutionnaires qui se tournent vers un modèle de bonne gouvernance doivent relever les défis socioéconomiques et culturels auxquels des dizaines de millions de personnes font face : la pauvreté sans aucun espoir de prospérité, une population jeune et croissante, la rareté des opportunités d’emploi, une culture du « tout m’est dû », et un radicalisme croissant. Tel est le vrai défi que doivent relever les dirigeants.

La science et l’innovation doivent être les priorités de leurs programmes. A cet égard, on note néanmoins quelques signes prometteurs, comme le coup de pouce de $1,5 million donné par la Tunisie à la science et à la technologie , et les promesses faites par le gouvernement de transition égyptien d’ouvrir la Cité des sciences et technologies Zewail, une nouvelle cité des sciences qui porte le nom du Prix Nobel égyptien Ahmed Zewail.

Mais on peut douter des véritables capacités des révolutionnaires et de leurs pays dans un domaine aussi crucial. Sont-ils en mesure de promouvoir la science nécessaire à la création des opportunités d’entrepreneuriat  et d’emplois ?

Le développement de la science et de l’innovation qui permettra de créer de la prospérité nécessitera des changements profonds et durables dans la manière dont la société perçoit la science et conduit les affaires au quotidien.

Un coup d’œil sur l’histoire

Les pays du MENA vivent une période trouble et incertaine, et un coup d’œil sur l’histoire d’autres pays peut donner quelques indications sur l’avenir. L’expérience récente de l’Irak d’après-guerre en est une bonne illustration. Dans ce pays, une révolution impulsée de l’étranger a eu un impact négatif sur les ressources nécessaires à l’investissement dans la science et l’innovation.

On peut également citer le cas moins récent de son voisin, l’Iran, où une révolution politique s’est soldée par la naissance d’une République islamique qui favorise l’essor de la science comme l’atteste un rapport de 2011 produit par la Royal Society de Grande Bretagne et qui révèle que l’Iran détient le taux de croissance le plus rapide du nombre d’articles publiés dans les revues internationales.

L’histoire du Pakistan est un autre exemple, bien que modeste. Entre 1989 et 1999, la plus longue période durant laquelle ce pays a eu un régime civil, le financement de la recherche et développement dans le pourcentage du PIB a baissé de 0,27 à 0,11 pourcent. Il est ensuite passé de 0,11 pourcent en 1989 à 0,59 pourcent en 2007 sous le régime militaire du général Pervez Musharraf.

Il est vrai que c’est probablement le résultat d’un ensemble complexe de facteurs, mais il en ressort clairement que la science et la culture ont connu un meilleur essor sous des régimes militaire stable que sous des régimes civils populistes instables.

Les révolutionnaires de la région MENA doivent en tirer des leçons. Au lieu de dépendre de la bonne volonté d’un dictateur pour le financement de la science, ils doivent créer des mécanismes pour s’assurer le soutien du grand public et garantir l’adhésion politique à ces stratégies, à ses institutions et au nouveau mode de gouvernance qui vont permettre , grâce a des solutions issues des travaux scientifiques, d’apporter des réponses aux problèmes sociaux.

La nécessité d’une révolution scientifique

En définitive, il faudrait une sorte de révolution scientifique pour que la promesse d’une prospérité basée sur la science et le savoir soit tenue. Cette révolution peut coexister avec la religion, mais elle doit comporter certaines caractéristiques essentielles d’une société qui attache de l’importance aux connaissances scientifiques et à la formation.

Dans un article paru dans la revue Science, le rédacteur en chef Bruce Alberts, qui est aussi l’un des envoyés spéciaux de Barack Obama pour la science dans le monde islamique, a défini une solide culture de la méritocratie comme étant l’une de ces caractéristiques.

Comme le souligne Alberts, l’absence d’une culture de la transparence est la cause principale des problèmes du monde musulman, ou encore le respect indu des aînés ou des classes sociales, et l’utilisation des relations personnelles comme critère de compétence professionnelle.

Pour assurer le réveil de la science, le monde musulman doit tout d’abord se doter d’une culture qui permette, ou promeuve l’investigation critique, la libre pensée et la remise en cause de l’autorité. Il doit créer les conditions pour un débat ouvert fondé sur des preuves, et non la soumission aveugle à l’orthodoxie religieuse, politique ou scientifique.

Les sociétés nouvellement ‘libérées’ du MENA ne peuvent espérer tirer profit des connaissances, de la science et de l’innovation tant que l’origine sociale et les relations resteront les baromètres du progrès, en lieu et place de la connaissance et du sens de l’innovation.

Les graines du changement

Certains pays commencent à prendre des mesures appropriées. Au Pakistan, par exemple, la vieille pratique consistant à fixer les salaires dans les facultés sur la base de l’ancienneté est progressivement en train de céder la place à un processus de pré-titularisation basé sur le mérite et les performances.

Toutefois, il existe des moyens potentiels de détourner ces principes, comme les incitations pécuniaires, pour la publication d’articles par exemple. Une politique minutieusement élaborée doit également équilibrer ce type d’incitations en vantant la récompense intrinsèque que procure la production d’une science de qualité.   

Une autre mesure qu’il conviendrait de prendre consisterait à mettre davantage l’accent sur la création des institutions. Pendant trop longtemps, une préférence pour le culte de la personnalité au détriment de la construction d’institutions solides a étouffé la méritocratie et la liberté d’expression dans les sociétés musulmanes. Les révolutionnaires de la MENA peuvent mieux faire en tentant délibérément de créer des institutions avec des garanties appropriées qui promeuvent ces qualités.

La construction d’une telle société scientifique va nécessiter une révolution socio-culturelle et politique bien plus profonde que celle à laquelle nous avons assisté jusqu’à présent, peut-être un autre type de printemps arabe qui conduira à l’essor du savoir et de l’innovation. Toutefois, c’est une œuvre que nous devons entamer dès aujourd’hui en faisant de petits pas dans la bonne direction.

Athar Osama est consultant en politique scientifique et d’innovation basé à Londres. Il est co-fondateur et Directeur général de Technomics International Ltd, cabinet de consultation en politique technologique internationale, dont le siège est en Grande Bretagne, et fondateur de Muslim-Science.com.