13/08/15

Du besoin d’intégrer la RD aux objectifs de développement

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Crédit image: Flickr/ILRI/Paul Karaimu

Lecture rapide

  • L’objectif de consacrer au moins 1% du PIB à la R-D ne tient pas compte des besoins réels de chaque pays
  • Une importance démesurée est accordée à la quantité plutôt qu’à la qualité des investissements
  • Chaque pays doit fixer ses propres objectifs de dépenses en R-D pour stimuler son développement

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Pour John Ouma-Mugabe, les pays africains doivent élaborer un nouvel indice permettant d’évaluer l’adéquation entre les dépenses de R-D et les objectifs de développement.

Au cours des dix dernières années, on a noté un regain d’intérêt pour la science et la technologie sur le continent africain.
 
Au sommet de l’Union africaine (UA) tenu en janvier 2007, les dirigeants du continent s’étaient donné pour ambition d’allouer au moins 1% du PIB (produit intérieur brut) national à la recherche-développement (R-D). [1]
 
Cet accord est peut-être la preuve de la reconnaissance par ces dirigeants du rôle économique de la science et de la technologie en général, et de la R-D en particulier.
 
Toutefois, plusieurs pays africains confondent augmentation des dépenses de R-D et investissement dans l’innovation technologique.
 
Parfois, les dépenses de R-D sont présentées comme un préalable à toute croissance économique, mais il s’agit d’une conception erronée.
 
Une économie peut connaître la croissance sans forcément investir de fortes sommes dans la R-D.
 
Certaines des plus grandes économies africaines qui enregistrent actuellement les taux de croissance les plus élevés comme l’Angola, la République démocratique du Congo et le Mozambique consacrent moins de 0,5% de leur PIB à la R-D, tandis que l’Afrique du Sud qui  y investit 0,8% de son PIB, a un taux de croissance relativement faible.

“Il ne faut pas pour autant sous-estimer les avantages potentiels qu’offre la R-D et qui ne sont pas uniquement d’ordre économique, mais incluent également le progrès scientifique, et contribuent par ailleurs à la masse de connaissances partagées.”

John Ouma-Mugabe, GSTM, Université de Pretoria 

Il ne faut pas pour autant sous-estimer les avantages potentiels qu’offre la R-D et qui ne sont pas uniquement d’ordre économique, mais incluent également le progrès scientifique, et contribuent par ailleurs à la masse de connaissances partagées qui permet aux pays de mieux s’affirmer au plan international.
 
Toutefois, les politiques des pays africains sont élaborées dans l’idée erronée selon laquelle la R-D stimule automatiquement la croissance économique.
 
Et elle s’accompagne d’une importance démesurée accordée à la quantité plutôt qu’à la qualité des dépenses.

 
Manque de logique économique

 
Tout d’abord, l’objectif de consacrer 1% du PIB à la R-D n’est fondée sur aucune logique économique.
 
Les pays africains relativement développés et les pays africains pauvres se sont tous fixé le même objectif, sans tenir compte de leurs besoins réels en R-D et de leur niveau de développement technologique.
 
Par exemple, au Burundi, l’un des pays les plus pauvres du monde, la situation n’a quasiment pas évolué depuis l’adoption en 2012 d’un cadre politique fondé sur l’objectif 1% du PIB : ses dépenses de R-D représentent environ 0,1% du PIB et risquent de diminuer du fait de l’instabilité politique.
 
Ce pays doit cependant investir plus de 1% de son PIB s’il veut se doter d’infrastructures productives de R-D, ainsi que d’institutions éducatives et du secteur privé.
 
Fixer un objectif en matière de dépenses de R-D n’a aucun sens si les gouvernements ne font rien pour l’atteindre.
 
Et chaque pays doit définir ses propres priorités et mettre en place des mécanismes de financement  pratiques.
 
Certains pourraient, par exemple, se fixer dans un premier temps de petits objectifs et les revoir à la hausse à mesure que leurs systèmes d’innovation se développent.

  • Pourquoi les pays africains ont-ils donc fixés un tel objectif?

  • Pression du groupe
  • Espoir d'en tirer rapidement des bénéfices économiques
  • Prestige et désir d'hégémonie scientifique
  • Appartenance à l'UA ou à un bloc régional comme la Communauté de l'Afrique de l'Est ou la Communauté du développement de l'Afrique australe qui ont soutenu cette idée.
 

Inadéquation entre les politiques

 

En réalité, l’objectif 1% du PIB occulte le fait que la plupart des pays africains ne prennent pas en compte, comme il se doit, la science, la technologie et l’innovation (ST&I) dans l’élaboration de leurs politiques, en général.
 
Un manquement déploré même dans les pays industriellement avancés : les programmes de développement de l’Afrique du Sud et du Kenya font peu mention de la R-D et de la STI. [2,3]
 
L’objectif de dépenses  fixé n’est pas explicitement axé sur le développement et peut être atteint sans nécessairement aboutir au développement ou à la réalisation des objectifs de croissance.
 
En outre, les choix en matière de R-D et de technologie sont en général opérés en marge des politiques de développement et de la planification.
 
Ce sont les ministères chargés de la science et de la technologie et les académies de sciences qui réfléchissent sur cette question, tandis que les ministères des finances et de la planification économique semblent généralement peu intéressés, et s’impliquent rarement dans les forums nationaux ou panafricains sur la ST&I, même si ces événements attirent l’attention des hommes politiques.
 
Et parfois, on entend certains dirigeants africains annoncer que leur pays a atteint l’objectif de 1% du PIB sans fournir la moindre preuve que des statistiques sont établies sur les dépenses nationales de R-D. 

 
Mesurer l’"intensité" des dépenses de R-D

 
Dans les cas où l’atteinte de l’objectif de 1% du PIB consacré à la R-D a permis de focaliser l’attention des hommes politiques sur la ST&I, on a assisté à l’élaboration d’un cadre politique plus large dans ce domaine.
 
C’est pourquoi le défi à relever concerne davantage la pertinence, la qualité et "l’intensité" des dépenses nationales de R-D
 
Cette question revêt une importance particulière au moment où le monde s’apprête à adopter le programme de développement pour l’après 2015.
 
Les objectifs de R-D axés sur le développement vont au-delà de simples questions financières : il s’agit de développer les compétences de la société pour lutter contre la pauvreté, réduire le poids des maladies et adopter la gestion écologique et la gouvernance démocratique.

“Le temps est venu pour chaque pays d’examiner de manière critique ses besoins et fixer des objectifs de dépenses de R-D réalisables et stimuler son développement.”

John Ouma-Mugabe, GSTM, Université de Pretoria

Il faut établir un lien entre les dépenses de R-D, les indicateurs connexes et le programme de développement pour l’après-2015 en évaluant par exemple l’intensité de R-D axée sur le développement, c’est-à-dire le nombre d’activités de production du savoir visant explicitement à trouver une solution à un défi particulier de développement humain.
 
Par exemple, l’intensité de la R-D en santé d’un pays, comprendrait le financement total, le nombre de chercheurs et techniciens, la valeur des infrastructures et le nombre de mois consacrés directement à la recherche d’un traitement pour une maladie particulière ou un problème de santé précis.
 
Au moment où les pays africains et leurs partenaires entament l’élaboration de leurs programmes de développement pour l’après-2015, ils doivent mettre l’accent sur l’établissement d’un lien entre ces programmes et les dépenses de R-D en élaborant des stratégies spécifiques permettant à la ST&I de contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD).
 
Certains pays africains commencent à élaborer des politiques de ST&I axées sur les objectifs de développement.
 
Le gouvernement seychellois est déjà à pied-d’œuvre pour l’élaboration de ce type de politique et de stratégie, et la Namibie pourrait bientôt s’engager dans un processus similaire.
 
Se fixer les mêmes objectifs à l’échelle du continent occulte la diversité scientifique et économique des pays africains.
 
Le temps est venu pour chaque pays d’examiner de manière critique ses propres besoins et de fixer des objectifs de dépenses en R-D réalisables et d’œuvrer pour leur atteinte.
 
 
 John Ouma-Mugabe est professeur de politique scientifique et de l’innovation à la Graduate School of Technology Management (GSTM) de l’université de Pretoria en Afrique du Sud. Vous pouvez lui écrire à l’adresse [email protected]. Les opinions exprimées dans cet article sont la responsabilité de l’auteur et ne représentent pas nécessairement celles du GSTDM et de l’université de Pretoria.
 

Références

[1] Assembly of the African Union Eighth Ordinary Session: Decisions and declarations (African Union, January 2007)
[2] National development plan 2030: Our future — make it work (South African government, February 2013)
[3] Kenya Vision 2030 (Kenyan government, 2007)