21/02/18

La recherche, otage d’un manque de stratégie de vulgarisation

African scientist
Un chercheur africain au téléphone, dans son laboratoire - Crédit image: Viacheslav Iakobchuk

Lecture rapide

  • Les chercheurs camerounais exposent leur savoir-faire lors d’une manifestation à Yaoundé
  • Les travaux des chercheurs africains sont peu connus et n’impactent pas le développement
  • Les chercheurs d’Afrique gagneraient à être plus indépendants et à communiquer davantage

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Ces 21, 22 et 23 février, le Cameroun va vibrer au rythme de la sixième édition des Journées d’excellence de la recherche scientifique et de l’innovation au Cameroun (Jersic).
 
La manifestation, qui a pour thème "Recherche scientifique et Innovation : outils stratégiques pour l’entreprise et les transformations socio-économiques", prévoit de nombreuses conférences-débats, mais aussi des expositions qui offrent aux chercheurs l’occasion de présenter au grand public leur savoir et leur savoir-faire.
 
Tout en expliquant comment ceux-ci sont susceptibles de transformer ou de révolutionner la vie dans nos entreprises ou dans les ménages à travers des solutions pratiques à des problèmes du quotidien…

“Lorsqu’une institution ne communique pas, c’est comme si elle n’existait pas. Et lorsqu’on ne sait pas ce que vous faites, c’est comme si vous ne faisiez rien.”

Julien Chongwang

Comme c’est souvent le cas lorsqu’un tel événement est organisé dans n’importe quel pays d’Afrique, le visiteur sera sans conteste émerveillé par les prouesses des chercheurs et des inventeurs locaux qu’il ne découvre et dont il n’entend parler qu’à de telles occasions.
 
Preuve, s’il en est encore besoin, que ce n’est pas la compétence ni la créativité qui manquent à nos chercheurs et inventeurs. Et que ce n’est pas faute d’études et de recherches réalisées à l’échelle locale que nos entreprises et nos Etats sont réduits à être de serviles consommateurs des solutions et innovations venues d’ailleurs.
 
En vérité, l’un des obstacles majeurs à la connaissance et à l’exploitation des efforts des chercheurs dans nos pays est l’absence d’une politique de vulgarisation des résultats de la recherche par les chercheurs eux-mêmes ou par les institutions pour lesquelles ils travaillent.
 
Pour être concrets, restons au Cameroun et prenons l’exemple de la principale structure de recherche en matière agricole du pays.
 
Sur le site de cette institution classée comme la référence en matière de recherche dans le pays, le dernier communiqué de presse remonte à 2013 et l’avant-dernier à… 2011. Soit à peine deux communiqués de presse en sept ans.
 
Communication globale
 
Du côté des résultats de la recherche, il est tout aussi stupéfiant de constater que les plus récents publiés sur cette même plateforme datent de 2012. Ce qui véhicule l’impression que les chercheurs de cette prestigieuse institution n’ont rien produit depuis six ans.
 
Quoique fausse, cette impression n’est pas loin de la réalité, rapportée au contexte de notre époque. En effet, à l’ère de la communication globale, lorsqu’une institution ne communique pas, c’est comme si elle n’existait pas. Et lorsqu’on ne sait pas ce que vous faites, c’est comme si vous ne faisiez rien.
 
Ces tares que l’on peut reprocher aux institutions se sont, hélas, répandues aussi chez les individus, c’est-à-dire chez les chercheurs eux-mêmes.
 
Sur la base de l’expérience de SciDev.Net, l’on peut aisément dire que le chercheur africain, et en particulier celui de l’Afrique francophone, est celui chez qui l’on enregistre le silence le plus lourd, lorsqu’il est sollicité pour commenter ou analyser une étude relevant de sa spécialité, y compris parfois pour une étude à laquelle il a lui-même participé en tant que co-auteur.
 
Indépendance intellectuelle
 
En fait, piégés dans les méandres de lourdes procédures qui imposent souvent, avant toute sortie dans la presse, une autorisation d’une hiérarchie davantage préoccupée par des considérations politiques plutôt qu’académiques, bon nombre de chercheurs d’Afrique francophone manquent de cette indépendance intellectuelle qui, ailleurs, fait la différence.
 
Inutile de souligner que cet état de choses au XXIème  siècle est une attitude d’autodestruction qui plonge le chercheur et l’établissement dans l’anonymat, privant au passage les entreprises et les décideurs de précieux indicateurs nécessaires à la prise de bonnes décisions.
 
D’ailleurs, en 2014, le gouvernement camerounais a commandé une étude sur l’économie de la recherche et celle-ci a révélé que "les relations entre la recherche et les entreprises restent difficiles à cerner. Les deux composantes ont du mal à se comprendre…"
 
Si l’un des objectifs de cette 6ème édition des Jersic est de "créer un cadre de concertation entre la recherche et le monde des entreprises", il serait avant tout capital que les chercheurs et les établissements de recherche repartent de Yaoundé avec pour recommandation de communiquer. Encore et encore…