12/09/13

Analyse: l’industrie doit contribuer au financement de la R&D

Young researchers visit an agriculture research station in Kenya
Crédit image: W. Ojanji/CIMMYT

Lecture rapide

  • L’Afrique souffre d’une absence de collaboration entre les mondes universitaire et industriel
  • Une innovation proposée à l’Île Maurice veut obliger le monde industriel à financer les projets de R&D
  • Si d’autres pays pourraient en bénéficier, ce projet n’est qu’une solution partielle à la question de la R&D

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Les maigres budgets de recherche-développement (R&D) sont une sempiternelle récrimination pour les chercheurs et les responsables des politiques scientifiques dans la plupart des pays en développement.
 
En Afrique, dans le secteur privé, cette insuffisance est criarde. Une situation partiellement attribuable à l’absence de concordance entre l’université et le secteur privé.

Les universités se sont détournées des besoins réels de l’industrie. Les ingénieurs et d’autres compétences recherchées y sont rares.

Si beaucoup s’accordent sur la solution, à savoir réformer les programmes pour répondre aux besoins de l’industrie et encourager les entreprises à consacrer davantage de moyens à la recherche – parvenir à faire augmenter la contribution de l’industrie à la recherche africaine s’avère une gageure.
 
En Afrique du Sud, les débuts d’un programme lancé en 2008 permettant aux entreprises de se faire rembourser les taxes payées au titre des dépenses de R&D se sont révélés décevants.

Les règles ont été révisées l’an dernier afin de faciliter les réclamations de l’allègement fiscal au titre de la R&D par les entreprises, mais il est difficile d’affirmer si la mesure a été couronnée de succès ou non.
 
L’insuffisance des infrastructures comme les réseaux routiers et les capacités de production d’énergie freine par ailleurs le développement industriel, ce qui à son tour restreint le rôle que les entreprises peuvent jouer dans la recherche et l’innovation.
 
L’autre défi que le continent doit relever, réside dans le caractère obscur de nombreuses opérations du secteur privé.

Beaucoup d’argent – issu de l’exploitation pétrolière, par exemple, ou de l’extraction du diamant – finit dans des comptes à l’étranger au lieu d’être réinvesti dans le pays. Ce phénomène freine le développement, sur tous les plans.

 

Innovation mauricienne

Mais à l’Île Maurice, un projet révolutionnaire est en cours d’élaboration et pourrait permettre de sortir de l’impasse et combler le vide dans ce pays entre mondes industriel et celui de la recherche. Le projet pourrait même servir de modèle sous d’autres cieux.

Dans le cadre de ce projet, une partie de la contribution obligatoire des entreprises mauriciennes à la réduction de la pauvreté et la protection de l’environnement sera affectée à des projets dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation.
 
L’Île Maurice est le seul pays au monde à obliger les entreprises à consacrer deux pour cent de leurs bénéfices à leur responsabilité sociale.

“De bons niveaux d’investissements dans la R&D sont une indication que les entreprises considèrent un pays comme un cadre propice à leur croissance et regorgent des compétences recherchées.”

Linda Nordling

Les entreprises peuvent investir cet argent dans un projet caritatif de leur choix.
 
Toutefois, Dhanjay Jhurry, responsable du Centre d’excellence pour la recherche biomédicale et des biomatériaux de l’Université de Maurice, fait pression sur le gouvernement afin qu’il exhorte les entreprises à consacrer une partie de ces fonds à ce qu’il appelle la responsabilité scientifique des entreprises.
 
Ces projets de R&D pourraient se pencher sur des questions comme l’éducation, les énergies renouvelables, la recherche en santé ou les études océaniques – des domaines identifiés par le gouvernement comme essentiels pour la durabilité du pays.
 
‘C’est un concept nouveau qui n’a jamais été utilisé nulle part ailleurs dans le monde.

Maurice pourrait le promouvoir et faire preuve de créativité intellectuelle’, suggère Jhurry.
 
Le projet est encore à l’étape de proposition.
 
Le prochain budget national qui sera présenté au parlement au mois de novembre permettra de savoir si le concept bénéficie d’un écho favorable.

 

Pas une panacée

 

On pourrait reproduire cette brillante idée de Maurice dans d’autres pays africains, avec de légères modifications.
 
Ailleurs sur le continent, il n’existe pas de seuils de financement de la responsabilité sociale des entreprises fixés par l’Etat. Mais les contributions volontaires constituent un moyen répandu pour les entreprises – surtout celles évoluant dans les secteurs polluants comme le transport aérien – de polir leur image.
 
Ces gestes de bonne volonté doivent être étendus au soutien à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Ainsi, comme première étape, des bourses financées par les entreprises pourraient être accordées aux étudiants brillants.
 
Même si le concept de responsabilité scientifique des entreprises peut être une bonne chose dans le contexte africain, ce n’est pas là une solution miracle au problème de sous-financement de la R&D industrielle sur le continent.
 
La raison d’être de la R&D industrielle et le rôle essentiel qu’elle joue dans le développement économique d’un pays, tient au fait qu’elle suppose un certain niveau de compétitivité.

De bons niveaux d’investissements dans la R&D sont une indication que les entreprises considèrent un pays comme un cadre propice à leur croissance et regorgent des compétences recherchées.

Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir le nombre de multinationales qui créent des centres de R&D sur les marchés émergents d’Asie et d’Amérique du Sud.

Le Kenya est l’un des pays africains dont les résultats dans l’attraction des entreprises dans la R&D sont excellents. Le pays y est parvenu parce les entreprises le considèrent comme un marché porteur.
 
L’an dernier IBM, le géant des télécommunications, y a ouvert son premier laboratoire de recherche sur le continent africain qui d’ores et déjà mène ses activités à Nairobi.

Et le mois dernier, Safaricom, une entreprise kényane de téléphonie mobile, a annoncé vouloir financer la construction d’un laboratoire de télécommunications à l’Université Jomo Kenyatta d’agriculture et de technologie.
 
Au Kenya, un zeste de responsabilité scientifique des entreprises pourrait venir compléter la collaboration croissante entre le monde industriel et les universités.
 
Or, dans de nombreux pays africains comme le Sénégal, la Tanzanie ou l’Ouganda, la mauvaise qualité des infrastructures, le mauvais climat des affaires et le timide soutien du public à l’enseignement supérieur continuent à décourager les investissements de l’industrie dans la R&D.
 
Dans ces pays, la responsabilité scientifique des entreprises pourrait constituer une partie de la solution pour doper la R&D financée par l’industrie – mais elle ne sera pas la panacée.

Linda Nording
La journaliste Linda Nordling, qui travaille au Cap, en Afrique du Sud, est spécialiste de la politique africaine en matière de science, d'éducation et de développement. Elle a été rédactrice en chef de Research Africa et collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net), à Nature, etc.

Cet article est une production de la rédaction anglaise d'Afrique sub-saharienne de SciDev.Net