05/04/17

La science crée du tissu cardiovasculaire avec de l’épinard

Spinach leaf 3
Crédit image: WPI

Lecture rapide

  • Les chercheurs ont "décellularisé" la feuille pour éliminer ses cellules végétales
  • Des cellules du cœur ont alors été ajoutées à la structure restante et se sont adaptées
  • A terme, un tissu endommagé après une crise cardiaque pourra être ainsi remplacé

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La revue scientifique américaine Biomaterials a publié à la fin du mois de mars dernier les résultats d’une étude au terme de laquelle des chercheurs sont parvenus à recréer un tissu cardiovasculaire à partir d’une feuille d’épinard.
 
Lesdits chercheurs, coiffés par Glenn R. Gaudette, sont en service dans trois universités américaines, en l’occurrence le Worcester Polytechnic Instittue (WPI), le University of Wisconsin et l’Arkansas State University.
 
"En tirant parti des similitudes dans la structure vasculaire des tissus végétaux et animaux, nous avons développé un tissu végétal "décellularisé" comme échafaud prévasculaire pour les applications d'ingénierie tissulaire", écrivent les chercheurs dans le résumé de leurs travaux.
 
D’après l’étude, le tissu végétal a ensuite été "recellularisé" avec des cellules endothéliales humaines et celle-ci "ont colonisé les surfaces internes du système vasculaire végétal".
 
Enfin, ont remarqué les auteurs de cette étude, ces cellules musculaires du cœur "ont démontré une fonction contractile et des capacités de traitement du calcium pendant 21 jours".
 
Ces travaux, qui ont encore besoin de beaucoup de recherches pour se perfectionner constituent une grande avancée dans la médecine régénérative qui pourrait à terme apporter une certaine réponse au problème de dons d’organes ou de tissus.
 
En attendant, SciDev.Net, a interrogé Joshua Gershlak du WPI, l’un des auteurs des travaux, et il en dévoile ici le contexte, le principe et les perspectives.
 

Comment vous est venue l'idée utiliser une feuille d'épinard pour recréer un tissu cardiovasculaire ?

 

Joshua Gershlak
Joshua Gershlak

Le chercheur principal, le professeur Glenn Gaudette et moi-même avons commencé par parler de la possibilité de "décellulariser" le tissu végétal dans le cadre d'une nouvelle collaboration entre notre établissement, l’Institut polytechnique de Worcester (WPI), l’université du Wisconsin et l’université d’Etat de l’Arkansas. Nous voulions avoir un tissu végétal qui rappelle les réseaux vasculaires observés dans notre propre système cardiovasculaire. Au cours d'une séance de remue-méninges pendant un déjeuner, nous avons été frappés par la vascularité des feuilles d'épinard qui se trouvaient dans la salade que nous avions ; et nous avons pensé que c'était peut-être la solution. Ce qui était aussi frappant était la tige de l’épinard. Glenn et moi avons l'expérience de la "décellularisation" sur le cœur. Lorsque nous "décellularisons" le cœur, nous plaçons une aiguille à travers l'aorte avant d'écouler les solutions pour le processus. La tige et le grand trou dans la tige m'ont rappelé une aorte et nous avons rapproché la tige de la feuille de la même manière et cela a fonctionné.
 

Pourquoi une feuille d'épinard et pas n'importe quelle autre feuille de la nature ?

 
L'épinard a été la première feuille que nous avons essayée, mais au fur et à mesure que nous avons développé le processus, nous avons constaté que la feuille d'épinard répondait à une grande partie des exigences nécessaires pour effectuer la recherche. L'épinard a une tige longue qui s’attache facilement à notre système de perfusion, elle a une bonne taille qui nous permet de la manipuler facilement en laboratoire et elle est relativement plate, ce qui est important lorsque nous cultivons les cellules humaines à sa surface. Nous avons effectué une "décellularisation" sur une grande variété de types de tissus végétaux, y compris les tiges de persil, de l'absinthe douce et des racines.

“En créant un morceau de tissu cardiaque hors de notre feuille "décellularisée", nous pourrions vasculariser un morceau de tissu cardiaque qui pourrait être utilisé pour remplacer la paroi du cœur endommagée”

Joshua Gershlak
Chercheur, WPI (Etats-Unis)

 

Comment avez-vous procédé concrètement pour que cette feuille d'épinard s'adapte aux tissus naturels du corps ?

 
Les cellules des épinards ont été éliminées en utilisant une technique appelée "décellularisation". Pour cela, nous avons injecté différents détergents à travers la tige de l’épinard. Ces détergents, qui sont les mêmes que dans le lavage de votre corps, mais à une concentration beaucoup plus élevée, éliminent la membrane des phospholipides des cellules avant de les évacuer à travers le système vasculaire de la feuille. Les cellules végétales sont retirées des feuilles en laissant derrière elles uniquement le squelette extracellulaire des cellules qui est principalement constitué de cellulose, un biomatériau couramment utilisé dans la médecine régénérative et les dispositifs médicaux. Après cette opération, la vascularisation des feuilles reste intacte dans ce squelette extracellulaire ; ce qui nous permet de perfuser des cellules sur la feuille.
 

Quelles sont les prochaines étapes de la recherche dans ce travail ?

 
Ce travail a été incroyablement prometteur, mais il reste encore beaucoup de travail que nous devons accomplir pour qu’il soit mis en œuvre en tant que solution réelle. L'une des premières questions que nous devons aborder est la biocompatibilité de la feuille après cette opération. La cellulose purifiée est connue pour être biocompatible, mais puisque nous utilisons de la cellulose venant directement du sol, nous devons comprendre ce qui se passerait si nous devions l'implanter dans le corps d’un patient avant d’agir. Cela implique que l’on réplique l'environnement du corps dans le laboratoire et que l’on place la feuille à proximité. L'une des autres questions majeures sur lesquelles nous devons nous pencher est la sortie de la feuille si elle vient à être utilisée dans le corps. Notre corps a à la fois un circuit d’approvisionnement en sang, les artères, et un système d’évacuation du sang, les veines ; alors que les feuilles n’en ont qu’un seul. Nous envisageons l'utilisation de plusieurs feuilles pour agir dans les deux modes; mais des recherches plus approfondies à ce sujet sont nécessaires.
 

Si ces recherches venaient à être enfin concluantes, quels problèmes viendraient-elles résoudre ?

 
Afin de porter un tissu artificiel du laboratoire à l'hôpital, un système vasculaire est nécessaire pour fournir au tissu l'oxygène et les nutriments appropriés. La création d'un système vasculaire approprié par des techniques de fabrication telles que l'impression 3D ne peut pas être correctement réalisée actuellement. En utilisant le système vasculaire naturel dans la feuille, nous serions en théorie capable d'accomplir cela. Notre laboratoire, en particulier, se concentre sur la régénération du tissu cardiaque. Lorsqu'un patient a une crise cardiaque, il existe une grande cicatrice non fonctionnelle laissée dans la paroi du cœur. Les techniques chirurgicales actuelles, telles que le pontage, réintroduisent le flux sanguin dans la région mais ne réparent pas cette cicatrice. En créant potentiellement un morceau de tissu cardiaque hors de notre feuille "décellularisée", nous pourrions vasculariser un morceau de tissu cardiaque qui pourrait être utilisé pour remplacer la paroi du cœur endommagée.
 

Quelles difficultés rencontrez-vous dans ces recherches ?

 
Étonnamment, les aspects de cette étude qui auraient dû être difficiles, comme la "décellularisation", ont rapidement très bien fonctionné. Les éléments qui devraient être faciles, ont plutôt été assez difficiles. Nous, en tant qu'ingénieurs biomédicaux, avons une grande boîte à outils d'expérience couramment utilisés pour évaluer notre travail. Ces expériences sont orientées vers des tissus de mammifères, malheureusement, et beaucoup ne se traduisent pas sur des tissus végétaux. Même si cela a été un peu frustrant, ça reste encore très excitant car ça nous a forcés à proposer des solutions plus soignées, en particulier avec la collaboration des biologistes impliqués dans ce projet.

Références

L'étude publiée dans la revue Biomaterials est disponible en anglais ici