11/05/11

Analyse africaine : Que l’innovation réponde aux besoins du marché

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Pour Linda Nordling, l'essor de l'innovation africaine n'est possible que si l'on accorde plus d'attention à la création et au soutien d'un marché pour commercialiser les produits développés.

Il y a un peu plus de deux ans, j'ai écrit un article sur les stratégies susceptibles de permettre aux pays africains de commercialiser les produits issus de l'innovation, article dans lequel je soutenais que les Etats ne devraient pas attendre la lente mise en place de grandes initiatives continentales avant d'exploiter leur base de connaissances croissante.

L'innovation, et le rôle qu'elle joue dans le développement économique, ont refait surface ce mois-ci lors de la deuxième réunion du Comité de l'information, la science et de la technologie pour le développement (CODIST-II), organisée du 2 au 5 mai à Addis Abeba en Ethiopie.

La réunion de quatre jours a rassemblé scientifiques et décideurs politiques pour discuter des stratégies susceptibles de permettre la transformation de grandes idées africaines en succès commerciaux. Pour atteindre un tel objectif, la politique africaine de l'innovation doit avant tout s'intéresser au potentiel marché pour ces idées innovantes.

Développer une culture de l'innovation

Une étude exhaustive publiée en décembre dernier dans le magazine Science montrait comment la commercialisation de 25 innovations africaines dans le domaine de la santé était bloquée.

Parmi ces innovations, l'article recensait un test à bandelette pour diagnostiquer la schistosomiase, une maladie parasitaire, et plusieurs médicaments à base de plantes africaines. Parmi les obstacles entravant la mise sur le marché de ces produits, le magazine identifiait le manque d'appui, et notamment de capital-risque. Mais un autre obstacle de taille réside dans l'absence d'une culture de l'innovation chez les décideurs africains.

Le débat autour de l'innovation tend à se focaliser sur les producteurs de savoir, et sur les interventions susceptibles de soutenir la progression sans heurts d'une découverte jusqu'au lit d'hôpital, à l'usine ou à la ligne de production.

Une telle approche implique généralement de consacrer des financements à des start-up dans le domaine de l'innovation, de renforcer et de faire appliquer les droits de propriété intellectuelle, d'encourager les scientifiques à percevoir les potentialités de leurs travaux de recherche et enfin de réduire les complexités bureaucratiques pour les petites entreprises.

Ces mesures sont incontournables si l'on veut que les innovations soient adoptées – élément vital s'il en est dans la totalité de la chaîne de l'innovation – que ce soit par les individus, les entreprises ou les organismes publics.

Pourtant, si on ne s'interroge pas aussi dans un premier temps à la demande potentielle pour tout produit de l'innovation, ces initiatives risquent d'être infructueuses, un gaspillage de temps et d'argent.

Le commerce ou l'aide

Hélas, en Afrique une telle réflexion orientée vers le marché est longtemps dissociée de la politique scientifique. C'est une situation en partie due à l'histoire politique tumultueuse du continent.

A l'époque coloniale, le travail scientifique était lié aux besoins et impératifs économiques des colonisateurs, qui focalisaient ainsi sur le développement de meilleures variétés de coton ou l'acquisition d'une compréhension des maladies qui décimaient leur main-d'œuvre.

Bien qu'orientée vers ces priorités étrangères, les systèmes scientifiques dont les jeunes démocraties africaines ont héritées étaient bâties autour des entreprises, principalement des entreprises d'exportation.

Mais avec la montée de l'aide au développement dans la deuxième moitié du vingtième siècle, la science et le monde des affaires ont été séparés. A la fin du siècle, les priorités scientifiques étaient orientées vers l'éradication de la pauvreté et des objectifs de développement durable.

Au lieu d'être le moteur de l'innovation au service du développement, le commerce a ainsi été dissocié de l'innovation, coupant le lien entre science et monde des affaires.

De nombreux projets de développement apportent bien sûr beaucoup d'avantages à l'Afrique, mais avec l'aide vient souvent une négligence des impératifs à long terme. A contrario, la logique de marché implique une réflexion à long terme, sachant assurer la demande et un environnement porteur pour les produits de l'innovation.

Il existe de trop nombreuses anecdotes racontant l'histoire de projets d'aide au développement ayant produit des effets contraires faute d'une réflexion à long terme : des ordinateurs envoyés à des écoles dépourvues d'accès à l'électricité ; des stations satellites construites dans des pays sans techniciens qualifiés pour leur maintenance ; et de nombreux Africains formés à l'étranger ne peuvant trouver du travail dans leurs pays parce qu'aucun emploi n'existe dans leur domaine de compétence.

Vers une réflexion commune

Cette situation doit changer si l'on veut libérer le 'potentiel innovation' africain. Les agences d'aide au développement peuvent assumer leur part de responsabilités en évaluant la viabilité à long terme de leurs programmes en Afrique, et il faut identifier des stratégies pour que les initiatives dans le domaine de l'aide et celles dans le secteur des échanges commerciaux œuvrent ensemble, par exemple, au moyen de partenariats public-privé.

La stratégie adoptée par la Chine, consistant à investir dans la formation et les infrastructures scientifiques en Afrique dans des domaines qui présentent un intérêt pour le pays, comme l'exploitation de minerais rares, est certes indiscutablement orientée vers la défense de ses propres intérêts. Mais elle peut au moins empêcher la déliquescence de certaines compétences et équipements.

Enfin, s'il est vrai que les étrangers peuvent contribuer, la responsabilité principale de la stimulation de l'innovation en Afrique incombe à ses dirigeants.

Cela nécessitera des interventions à de nombreux niveaux, dont la gouvernance. Les pays africains peuvent commencer par harmoniser leurs politiques dans les domaines de la science, de la technologie et du développement afin d'œuvrer pour les mêmes objectifs, tout en réfléchissant sur les opportunités offertes par le marché.

C'est exactement le sujet des discussions entre les dirigeants lors de la récente réunion du CODIST-II. La Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) a mis en place un réseau d'innovation africaine, et certains pays, notamment le Burkina Faso, le Mali et le Togo, ont commencé à l'adapter à leurs propres besoins.

L'impact de tels efforts n'est pas instantané. De bons systèmes d'innovation ne naissent pas spontanément pas du jour au lendemain. Mais la Chine, le Brésil et la Corée du Sud sont autant de preuves qu'une politique d'innovation peut se construire patiemment.

Les pays africains disposent d'une population jeune, des richesses naturelles et de l'ingéniosité nécessaires pour suivre la voie tracée par ces pays vers le développement. Ce dont ils ont besoin c'est une forme de réflexion commune.

 

La journaliste Linda Nordling, spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement travaille au Cap, en Afrique du Sud. Rédactrice en chef de Research Africa, elle collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net) et collabore à des journaux comme The Guardian, Nature, etc.

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