27/05/10

La gestion des pâturages doit tenir compte des besoins des communautés locales

Des chercheurs de l'Université du KwaZulu-Natal travaillent avec des membres de la communauté depuis deux ans Crédit image: Monique Salomon

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Pour Monique Salomon, chercheuse en agriculture, l’Afrique du Sud doit élaborer des politiques d’élevage communautaire des bovins qui soient centrées sur les communautés.

‘Rien pour nous, sans nous’. Slogan fréquemment retrouvé dans le travail de développement, les décideurs en matière de politique agricole feraient bien de se l’approprier afin d’assurer que leurs initiatives répondent aux besoins des communautés rurales. L’expérience récente avec l’élevage communautaire de bovins en Afrique du Sud fournit une fois de plus de précieux enseignements sur la nécessité et le moyen d’élaborer des politiques fondées sur les besoins, avec la participation active des communautés.

En Afrique du Sud, de nombreux fonctionnaires et scientifiques considèrent l’élevage bovin comme une activité exclusivement économique, dont le développement serait ainsi le domaine de décisions purement techniques de gestion. Ces mêmes acteurs considèrent souvent que les zones à régime foncier communautaire connaîtront une forte érosion des sols, causée par le surpâturage et la surcharge de bétail.

En conséquence, la plupart des politiques de gestion des pâturages préconisent le pâturage tournant faisant recours à des enclos pour l’élevage communautaire. L’objectif étant d’améliorer ou de restaurer la diversité végétale des pâturages par la jachère, et de contrôler la répartition des animaux et la pression exercée sur les pâturages.

Des idées reçues, à rejeter

Or les éleveurs bovins d’Okhombe, village rural situé dans les montagnes d’uKhahlamba-Drakensberg en Afrique du Sud, ont rejeté cette stratégie à peine six mois après son lancement. Pourquoi ?

Je fais partie d’une équipe interdisciplinaire, composée de chercheurs de l’Université du KwaZulu-Natal et de sept membres de la communauté des éleveurs. Notre objectif est de comprendre les raisons de cet échec.

Ensemble, nous avons, deux années durant, pris des décisions conjointes concernant les questions de recherche, effectué du travail de terrain, analysé des données, et débattu par la suite nos conclusions avec la communauté au sens large et d’autres parties prenantes.

A ce jour, nos conclusions n’ont pas confirmé la perception de l’élevage communautaire de bovins qui prédomine chez les pouvoirs publics. Au contraire, ils suggèrent des niveaux d’érosion sensiblement pareils au cours des 65 dernières années. Au lieu du surpâturage et de la surcharge du bétail, ce sont la pluviométrie variable et la sécheresse, la typologie et la topographie des sols, et les politiques coloniales et l’apartheid qui ont été les facteurs de modification du paysage.

L’arrivée des colons européens au 19è siècle, la création de réserves naturelles au début du 20è siècle, un programme d’installation dans les villages dans les années 1960, et la construction d’un grand barrage dans les années 1970 : autant de facteurs contribuant à la concentration d’un plus grand nombre de personnes sur des terres de superficie plus réduites et à la limitation de la mobilité du bétail dans la région d’Okhombe.

Une vue d’ensemble

Nos résultats sont conformes aux travaux d’autres spécialistes des pâturages. Ainsi, David Briske et ses collègues de l’Université du Texas A&M aux Etats-Unis, ont passé en revue 60 années d’expérimentation en recherche et conclu qu’un grand nombre de variables conditionnent la gestion des pâturages. Aucune stratégie de parcours, de pâturage tournant ou en continu, ne s’est distinguée par ses performances écologiques. [1]

L’élevage et le pastoralisme mobile sont à coup sûr importants pour la subsistance en milieu rural. Le bétail génère de nombreux biens et services, de la viande aux produits laitiers en passant par la fibre, les engrais, la main-d’œuvre et le capital. Elevé de façon traditionnelle, le bétail peut favoriser la gestion durable des terres arides ; le piétinement et le broutage pouvant stimuler la croissance végétale et la diversité des espèces, et améliorer la structure du sol.

Par ailleurs, les nombreuses fonctions pratiques, culturelles et spirituelles de l’élevage, et notamment du bétail, renforcent les liens entre les êtres humains et structurent la cohésion sociale. Le bétail peut labourer les terres de votre voisin, constituer la dot d’une mariée, ou être donné en offrande pour apaiser les ancêtres.

Un changement d’orientation

Certains signes tendent à montrer que les décideurs politiques sud-africains commencent à nous écouter. Ainsi, ils ont révisé l’ébauche de la politique en matière de pâturages et de fourrage de l’Afrique du Sud, plaçant la priorité sur "une culture de gestion durable" plutôt que sur le "suivi et du contrôle".

Pourtant, les décideurs n’ont toujours pas intégré les opinions des éleveurs dans leur prise de décisions. C’est la raison pour laquelle leurs politiques restent aveugles au fait bien établi et bien documenté que l’élevage communautaire de bovins est essentiellement une pratique sociale qui varie d’un ménage à l’autre, en fonction des ressources et des opportunités qui s’offrent aux gens, ainsi que leurs rêves et objectifs.

Les ménages élèvant du bétail varient en fonction du berger du troupeau, la taille du troupeau, l’alimentation du bétail, la gestion de la santé et des maladies animales, et des critères de sélection des zones de pâturage. A Okhombe, le vol du bétail est courant. Par crainte du vol, la plupart des ménages gardent donc leur troupeau près de la maison et n’enverront pas leur bétail vers de meilleurs pâturages.

Cela explique en grande partie pourquoi le système de pâturage communautaire tournant a échoué à Okhombe. Mais son échec illustre tout autant la façon dont les aspects sociaux affectent profondément la gestion communautaire des pâturages. Et cela souligne la nécessité de remplacer les solutions purement techniques par des stratégies plus larges et localement pertinentes, stratégies qui soient élaborées par la base, et non le sommet.

Des résultats pratiques

Parmi les résultats de nos travaux, je citerais un DVD produit par des éleveurs sur le vol du bétail dans le village. Il montre les différentes stratégies que les éleveurs utilisent pour protéger leur bétail, par exemple, en ne s’éloignant pas du troupeau et en le surveillant depuis leurs maisons, ou en utilisant des bergers qui gardent le troupeau pendant la nuit. Nous utilisons ce DVD pour encourager la réflexion commune et l’élaboration d’idées et d’actions de solution développée à l’échelle communautaire.

Nous rassemblons à présent des éleveurs, des acteurs du développement, des chercheurs, des fonctionnaires chargés de la vulgarisation et des décideurs politiques afin de débattre et coordonner des questions clés qui émergent de la recherche sur les pâturages communautaires dans toute l’Afrique du Sud, et proposer leur intégration dans le projet de loi sur les pâturages et le fourrage.

Nous espérons ainsi pouvoir enfin inscrire les éleveurs au cœur du projet et assurer que les priorités et politiques nationales tiennent compte de leurs besoins.

Monique Salomon est chercheuse au Centre pour l’Environnement, l’Agriculture et le Développement à l’Université du KwaZulu Natal en Afrique du Sud.

Références

[1] Briske, D. et al. Rotational grazing on rangelands: Reconciliation of perception and experimental evidence. Rangeland Ecology & Management. 61:1 (2008)