24/08/09

Des mythes sur les liens entre paludisme et changements climatiques

La pauvreté est l’élément moteur du paludisme en Afrique sub-saharienne Crédit image: Flickr/shortie66

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Pour Paul Reiter, entomologiste médical, il est peu probable que les changements climatiques causent une flambée significative du paludisme, contrairement aux affirmations communément répétées.

Les changements climatiques sont pointés du doigt pour un éventail de catastrophes environnementales et sanitaires. Parmi les accusations les plus répandues figure la responsabilité supposée des changements climatiques dans la création de conditions favorables pour le paludisme et d’autres maladies transmises par les moustiques, entraînant une hausse catastrophique dans l’incidence de ces fléaux au cours des années à venir.

Le grand public juge cette notion persuasive : elle paraît sensée, tant le paludisme est endémique dans les régions dans les régions chaudes. Si la planète se réchauffe, la prévalence du paludisme s’en trouverait logiquement accrue.

Le scientifique se doit de désavouer une telle simplicité. L’épidémiologie de cette maladie est fort complexe, dont les principaux facteurs sont l’écologie et le comportement des êtres humains et des moustiques.

Des mythes communément admis

Le milieux les plus alarmistes ont entretenu trois ‘mythes’, aujourd’hui communément admis, qui n'ont pourtant aucun fondement historique ou scientifique.

Le premier, apparu au début des années 90, veut que les maladies ‘tropicales’, notamment le paludisme, se propagent vers les latitudes septentrionales en raison de la hausse des températures.

C’est une idée fausse : les données historiques montrent que, par le passé, le paludisme était répandu dans les régions tempérées, jusqu’en Scandinavie, et a même su résister aux années les plus froides du petit âge glaciaire.

Par ailleurs, dans la majeure partie d’Europe et d’Amérique du Nord, la prévalence de la maladie a amorcé une chute rapide au milieu du 19è siècle, précisément au moment où la planète commençait à se réchauffer. Ce recul s’explique au vu des changements complexes intervenus dans l’écologie rurale et les conditions de vie suite à l’industrialisation, notamment le dépeuplement des zones rurales, les nouvelles techniques culturales et pastorales, le drainage, l’amélioration de l’habitat, l’offre de meilleurs soins de santé et la baisse substantielle du prix de la quinine.

Un deuxième mythe veut que la maladie se propage vers les hautes altitudes. Al Gore, ancien vice-président des Etats-Unis et redoutable défenseur de l’environnement, répète à l’envi ‘qu'en raison du réchauffement de la planète, [les moustiques] atteignent aujourd’hui des régions qu’ils n’ont jamais fréquentées. Ainsi, en Afrique, la ville de Nairobi… était jadis située au-dessus de la frontière des moustiques (l’altitude au-dessus de laquelle les moustiques ne peuvent survivre)…’

Encore une idée fausse : la ville de Nairobi est certes située à 1680 m au-dessus du niveau de la mer, le paludisme épidémique constituait un problème sérieux à des altitudes atteignant 2450 m, et ce jusqu’au milieu des années 50. Pour preuve, en 1927, le gouvernement colonial avait débloqué 40.000 livres Sterling, l’équivalent d’environ US$ 1,2 million actuels, pour lutter contre le paludisme à Nairobi et dans les hauts plateaux environnants.

Le paludisme des hauts plateaux avait été vaincu dans les années 50 par l’application efficace du DDT, un insecticide. Depuis, les campagnes de lutte ont presque toutes été abandonnées et une résistance généralisée aux antipaludiques a émergé. Pour ces raisons et bien d’autres, la maladie fait son retour, mais cette résurgence n’a rien à voir avec l'évolution du climat.


Le troisième mythe veut que les changements climatiques entraînent déjà une flambée du paludisme en Afrique sub-saharienne ; selon les prévisions les plus alarmistes, des millions, des dizaines voire des centaines de millions de personnes seront nouvellement infectées par la maladie à mesure que les températures vont monter.

C’est une idée naïve. Dans la majeure partie de la région, le climat est déjà plus que propice à la transmission, la maladie est endémique et omniprésente, et dans la plupart des cas, les populations sont déjà exposées à de nombreuses piqûres, potentiellement sources de paludisme, chaque année. On ne peut ajouter de l’eau à une coupe déjà pleine.

Le paludisme est sans aucun doute une maladie coûteuse pour l’Afrique sub-saharienne. Mais une fois de plus, ses ressorts sont d’ordre économique, écologique et social. Il s’agit entre autres, de la croissance démographique, de la mobilité croissante des populations, de la déforestation (créant des conditions idéales pour les moustiques vecteurs du paludisme), l’irrigation, la détérioration des systèmes de santé (accélérée par les ravages du VIH/sida), la résistance aux médicaments, la guerre et les conflits civils. Avant toute chose, la pauvreté en est l’élément moteur.

Des objectifs de manipulation

Comment ont été construits ces mythes ?

Pour la plupart, ils découlent d’une tendance de plus en plus prononcée des militants politiques à recourir au jargon scientifique dans le but de manipuler l’opinion publique au moyen de prises de position ‘scientifiques’ au parti pris prononcé et chargées d’émotion.

Ces militants légitiment leur combat en publiant des articles d’opinion dans des revues professionnelles en se citant abondamment les uns les autres, tout en faisant fi du courant scientifique dominant.

Cette pratique est dominée par moins d'une douzaine d'auteurs dans le domaine de la santé publique. Presque tous sont de formation non scientifiques. Or, ce sont les principaux auteurs des chapitres pertinents des rapports d’évaluation rendus publics par le Groupe d’Experts intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC). Les vrais scientifiques qui osent critiquer leurs déclarations sont ignorés, voire dénoncés comme représentant une infime minorité de ‘sceptiques’, à la solde de l’industrie pétrolière.

Se soucier véritablement de l’humanité et de l’environnement passe par un travail d’enquête, d’exactitude et de scepticisme, autant de caractéristiques qualifiant la vraie science. Sans ces précautions, le public est exposé à des abus. Les activités humaines pourraient bien avoir des effets sur l'évolution du climat mondial, mais pour apprécier le problème avec certitude, il faut se fonder sur la science, et non la politique.

Paul Reiter, professeur d'entomologie médicale à l'Institut Pasteur en France.