03/06/10

Il ne faut pas museler les scientifiques

Le procès de Galilée: 400 ans plus tard, les scientifiques sont toujours persécutés pour leurs opinions

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Quatre cents ans après Galilée, les scientifiques sont toujours confrontés aux persécutions pour leurs opinions. Les lois ne doivent pas être utilisées pour étouffer le débat.

En 1633, l’astronome et physicien italien Galileo Galilei a été jugé par l’Eglise catholique pour avoir suggéré que la Terre pourrait ne pas être le centre de l’univers — et reconnu coupable. Presque 400 ans plus tard, les scientifiques et les personnes parlant en leur nom continuent d’être persécutés pour avoir émis des opinions basées sur leur expertise scientifique.

Il ya trois ans, par exemple, l’Académie des sciences du Nigeria a été traînée en justice par un médecin nigérian après que l’Académie eut émis des doutes sur sa supposée découverte d’un vaccin contre le VIH/SIDA (voir Un médecin qui prétend guérir le VIH attaque l’Académie des sciences).

L’année dernière, un journaliste scientifique britannique du nom de Simon Singh a été reconnu coupable de diffamation pour un article de presse dans lequel il a qualifié certaines affirmations des chiropraticiens — qui croient au traitement d’une gamme d’affections par la manipulation de la colonne vertébrale — de "mensonger" (le jugement a été cassé en appel récemment).

Pendant ce temps, l’Université de Virginie, aux Etats-Unis, fait l’objet d’une enquête menée par le procureur général de l’État sur la base des déclarations faites par Michael Mann, un ancien membre du corps professoral, à l’occasion de demandes de subventions, , dont les opinions sur la gravité du réchauffement de la planète sont contestées par les sceptiques du changement climatique.

Actuellement, un éminent biologiste au Pérou a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis pour avoir qualifié de "fausse vérité" une affirmation d’un autre biologiste, qui dit avoir découvert du matériel génétiquement modifié produit par des sociétés commerciales dans les cultures locales de maïs (voir Des scientifiques s’unissent autour d’un chercheur péruvien condamné).

Engager le débat

Il serait, bien sûr, naïf de croire  que les scientifiques fonctionnent suivant des règles différentes de celles, du reste de la société. Lorsqu’un chercheur se comporte de façon répréhensible,, dans le cas par exemple d’utilisation d’allégations délibérément falsifiées pour obtenir un financement du gouvernement, une sanction de la loi est certainement appropriée.

Mais la loi ne devrait pas être utilisée pour sanctionner les scientifiques qui mettent en doute les opinions de ceux qui n’ont pas de compétence scientifique, ou de ceux dont les divergences prêtant à la controverse avec d’autres scientifiques s’inscrivent dans le débat public.

Comme dans les cas susmentionnés, des poursuites judiciaires, ou des menaces de poursuites contre des scientifiques ou des journalistes scientifiques, ont été lancées essentiellement sur la base des déclarations faites non pas à propos d’une controverse purement scientifique, mais par rapport à des désaccords  scientifiques qui font partie des grands débats publics.

A une époque où le rapport entre la science et la société joue un rôle de plus en plus important dans les questions de développement, de la prévention des maladies à la sécurité alimentaire, il est essentiel que les lois désuètes ou mal conçues ne découragent pas les scientifiques de s’engager dans de tels débats, lorsqu’ils peuvent avoir l’assurance que les débats reposent sur des preuves dignes de foi.

Limites de la liberté universitaire

Bien sûr, les titres universitaires ne donnent pas aux scientifiques le droit de dire ce qu’ils veulent sur le comportement des autres. Ces derniers devraient se limiter à des questions sur lesquelles ils peuvent faire preuve d’un niveau d’expertise approprié.

La liberté universitaire n’autorise pas la remise en cause des motivations d’autres scientifiques, mais la recherche de la vérité, et permet donc la remise en cause de déclarations. A l’instar de la liberté de la presse, qui ne s’étend, par exemple, pas aux atteintes à la vie privée.

Dans tous les cas de figure, les tribunaux ne devraient pas être les arbitres des litiges sur la validité des affirmations des preuves scientifiques démontrées ou formulées. Le processus d’examen par les pairs, malgré ses nombreuses lacunes, reste le meilleur moyen dont nous disposons pour porter des jugements sur les progrès et les désaccords sur le plan scientifique.

Les poursuites judiciaires ne devraient pas être utilisées pour empêcher un scientifique de faire des déclarations publiques fondées sur un avis d’expert, aussi fermes que puissent être ces poursuites — ou aussi controversé soit le sujet.

Revoir les lois

Il faudrait qu’une réflexion sur cette question soit  engagée dans les académies nationales des sciences (comme dans le procès au Pérou). Mais la préoccupation doit aller au-delà de la communauté scientifique. En effet, tous les pays devraient revoir leurs lois sur la diffamation et réflechir sur leur potentiel à décourager les débats sur les grands sujets de préoccupation sociale.

Par exemple, le nouveau gouvernement de coalition britannique a promis d’étudier les réformes juridiques qui protégeraient mieux les individus tels que Singh et leur permettraient de jouer un rôle solide dans les débats importants, sans avoir peur qu’une expression ambiguë puisse conduire à leur faillite personnelle, ou même à une peine de prison.

D’autres pays qui se sentent libres – comme l’est apparemment le Pérou – d’engager des actions contre les scientifiques doivent se demander s’ils le font dans l’intérêt public. La récente menace brandie par le gouvernement indien d’emprisonner les chercheurs mettant le public en garde contre les dangers des cultures génétiquement modifiées offre un bon exemple (voir OGM : le débat doit être emprunt du respect mutuel).

Les scientifiques ont la responsabilité de s’exprimer sur des sujets sur lesquels ils ont une expertise, surtout si cette expertise peut mieux éclairer un débat politique. Mais la société, en retour, a la responsabilité de protéger ces scientifiques quand ils expriment leurs opinions.

David Dickson
Directeur, SciDev.Net