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Linda Nordling s'interroge sur l'avenir des chercheurs sud-africains après la démission de l'ancien Président Thabo Mbeki.

Le gouvernement de Thabo Mbeki a soutenu la recherche scientifique au sein de l'Afrique du Sud. Son successeur devra, quant à lui, renouer de solides liens avec le reste de l'Afrique si le pays entend conserver sa position de leader sur le continent.

La scène politique sud africaine a traversé une zone de turbulences au cours des dernières semaines. L'éviction de Thabo Mbeki dans des circonstances donnant sujet à controverse, laissant le pays entre les mains d'un président par intérim, a suscité de nombreuses interrogations sur l'avenir du pays.

Que se passerait-il si, comme beaucoup le prévoient, son adversaire Jacob Zuma, un homme qui penchant plutôt vers la gauche sur l'échiquier politique, accède au pouvoir après les élections générales de 2009 ? Quelles en seraient les conséquences pour la recherche sud africaine?

Des dépenses en hausse

Il est tout à fait possible que la situation se dégrade. Malgré les lacunes de la présidence Mbeki, le budget de la recherche a quasiment doublé si l'on tient compte de l'inflation. Si les politiques technocratiques de Mbeki n'ont certes pas permis une redistribution plus équitable des richesses , elles ont mis en exergue l'importance de la science et de l'innovation pour propulser l'économie sud africaine.

De nouvelles preuves des investissements croissants consentis par l'Afrique du Sud dans le domaine de la recherche et développement (R&D) viennent d'être fournies. Le mois dernier, le Département des Sciences et Technologies (DST) a publié les chiffres pour l'année 2006-2007, montrant que l'ensemble des investissements en R&D pour tous les secteurs s'élève à 16,5 milliards de rands, soit une hausse de 8,7 pour cent en constant par rapport à l'année 2005-2006.

Par ailleurs, le rythme de croissance des dépenses de R&D est supérieur à celui du produit intérieur brut (PIB) du pays. Au cours de l'année 2006-2007, ces dépenses se sont élevées à 0,95 pour cent du PIB contre 0,92 pour cent l'année précédente. La hausse par rapport à l'année 1997, point bas suite au démantèlement des projets de R&D militaires du régime de l'apartheid, où l'innovation n'avait représenté que 0,6 pour cent du PIB, est considérable.

Ces hausses budgétaires ont permis de créer des chaires pour encourager d'éminents chercheurs à ne pas s'expatrier, d'établir le Fonds pour l'Innovation afin de donner une application pratique aux résultats de recherche pour le marché, et de construire le Grand Télescope de l'Afrique du Sud, le plus large télescope otique de l'hémisphère sud. Ces investissements permettent aujourd'hui au pays de faire concurrence à l'Australie pour accueillir le Réseau de radiotélescopes d'un kilomètre carré, capable d'observer l'univers 10.000 fois plus rapidement que tout autre réseau de radiotélescopes d'imagerie.

Pour Phil Mjwara, Directeur général de la DST, le crédit d'impôt sur la R&D institué en 2006 va propulser les investissements du pays dans ce secteur au-delà de l'objectif de un pour cent du PIB que le Département s'est fixé  pour l'année budgétaire en cours. Les chiffres précis nécessaires pour soutenir cette affirmation n'ont néanmoins pas été fournis.

Mangena félicité

Si l'Afrique du Sud venait à atteindre cet objectif, toutefois, il serait injuste d'attribuer cette réussite uniquement au Président déchu. Les éminents chercheurs sud africains ne rendent pas d'hommage particulier à Mbeki, mais plutôt à Mosibudi Managena, l'homme qui a été son ministre de la recherche scientifique depuis 2004.

'C'aurait été toute une autre histoire avec un autre ministre du même gouvernement',  a déclaré un important chercheur sud africain sous le couvert de l'anonymat.

Mangena, un homme discret titulaire d'un Master en mathématiques appliquées, a marqué la communauté scientifique de par son intégrité et l'intérêt qu'il a porté à son portefeuille ministériel. Cet ancien ministre de l'éducation a maintes fois réalisé des scores élevés lors de sondages sur les performances des ministres réalisés par le quotidien national, le Mail & Guardian.

Sa principale force vient peut-être de son indépendance à l'égard du Congrès national africain (ANC), parti au pouvoir. Président d'un mouvement socialiste de la conscience noire, l'organisation du Peuple azanien (AZAPO), il a ainsi échappé aux combats qui ont régulièrement déstabilisé l'ANC.

L'appartenance politique de Mangena aurait pu avoir des conséquences néfastes pour la recherche sud africaine le mois dernier, le comité directeur de l'AZAPO, décidant que les circonstances de la démission de Mbeki représentaient une  'crise gouvernementale' susceptible de ternir la réputation de leur Président par association – d'autant que Mangena est un candidat possible aux élections présidentielles de l'an prochain.

Une réunion de réconciliation entre l'ANC et l'AZAPO s'est néanmoins soldée par la décision du ministre de ne pas démissionner.   S'il l'on en croit les rumeurs, il serait sûr de rester en poste jusqu'aux élections.

Certes, le slogan "Mangena Président" pourrait rallier de nombreux universitaires. Mais il faudrait bien des surprises au cours des six prochains mois pour qu'il se présente aux élections de 2009.

Le programme de Zuma

Pour l'hebdomadaire The Economist, Zuma est 'quasiment sûr' d'être élu président s'il se présente. Mais quels seraient ses choix en matière de politiques scientifiques?

L'histoire nous montre comment tout dépend de la personne choisie pour être ministre de la recherche. Certains craignent qu'un revirement de l'ANC vers la gauche ne vienne freiner la croissance récente du budget de la recherche. Si des budgets instables ou vulnérables constituent un handicap pour tout département ministériel, la stabilité à long terme du financement est absolument vitale pour un bon développement de la recherche.

Ces craintes pourraient ne pas être fondées. Tous les partis politiques représentés au parlement ont en effet soutenu la proposition d'augmentation de la part du PIB consacrée à la R&D.

Quoi qu'il en soit, si la probabilité d'une baisse soudaine des financements reste faible, les priorités des investissements de R&D pourraient très bien changer avec un gouvernement plus ancré à gauche. Ainsi, l'accent mis lors des années précédentes sur l'innovation et le potentiel lucratif de la recherche pourrait céder le pas à des politiques se concentrant sur les conditions de travail des chercheurs ou l'accès à l'enseignement supérieur – ce dernier objectif ayant, au demeurant, également fait partie des priorités de Mbeki .

Se jeter dans la mêlée

Le prochain gouvernement devra indéniablement renforcer son action au niveau international. Plus exactement, il devra renouer de solides liens avec le reste de l'Afrique. L'instabilité politique qui a prévalu au cours des mois suivant le renversement de Mbeki à la tête de l'ANC par Zuma a affaibli les capacités de négociation de l'Afrique du Sud au sein d'institutions telles que l'Union africaine (UA). 'Personne n'écoute le représentant d'un président par intérim',  a déclaré un responsable du gouvernement sud africain au mois de mars dernier.

D'autres pays sont impatients de prendre la place de leader qu'occupe l'Afrique du Sud sur l'échiquier de la recherche en Afrique. La principale menace vient de l'extrême nord du continent. Les pays comme l'Egypte et la Libye vont à Addis Abeba, siège de la commission de l'UA, avec l'intention de prendre les devants dans les projets de renforcement des capacités du continent africain en matière de recherche scientifique et technologique.

Parmi ces projets, on peut compter le partenariat sur la Science, la Société de l'Information et l'Espace conclu entre l'Union Européenne et l'Union Africaine et destiné à appuyer des initiatives telles que le projet pilote du bassin du Nil sur la production alimentaire et la gestion des terres et de l'eau ; ou le projet spatial Kopernicus-Africa, orienté vers la mise en orbite de satellites de télédétection pour la résolution de problèmes environnementaux ou sécuritaires.

De telles velléités ne sont pas qu'un signe d'altruisme des pays de l'Afrique du Nord. Il s'agit tout autant d'une ambition de capitaliser sur la volonté croissante des bailleurs de fonds et des pays riches de financer ' la science au service du développement' en Afrique. Ainsi, si le nouveau président sud africain et son ministre de la recherche ne se jettent pas dans la mêlée de la politique africaine de la recherche, l'Afrique du Sud pourrait bien un jour perdre sa place de leader continental.

Linda Nordling est ancienne directrice de publication de ResearchAfrica.

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