22/01/09

L’Afrique a-t-elle besoin d’une université panafricaine ?

University of Science Kisangani
Crédit image: Flickr/CIFOR

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Il faut de meilleures universités en Afrique, mais la solution consiste-t-elle à créer une université panafricaine? Linda Nordling s'interroge.

L'Afrique avait par le passé de grandes universités.

Dans les années 1950 et 1960, des villes telles que Kampala, en Ouganda, ou Ibadan, au Nigeria, jouissaient d'une réputation de lieu du savoir.

Hélas, cette époque est révolue.

Des décennies de négligence plus tard, même les meilleures institutions africaines manquent de ressources et sont débordées.

Mais les comportements sont en train de changer.

Gouvernements et donateurs internationaux, comme la Banque mondiale, tous deux considèrent à l'heure actuelle un secteur universitaire sain comme essentiel pour le développement et la démocratisation en Afrique.

Il n'est donc guère surprenant que l'Union africaine (UA) ait élaboré un plan pour permettre aux universités du continent de retrouver leur gloire d'antan.
 

Proposition panafricaine


Si l'objectif est évident, la proposition du projet pourrait surprendre : une université panafricaine (UPA) dont le but serait de donner le ton pour l'excellence de la recherche sur le continent.
 

“La nouvelle université se destinerait également au rôle d'une "institution de référence.”

Linda Nordling

L'Union africaine a formulé la proposition au mois de novembre de l'année passée, lors de la réunion du bureau de la Conférence des ministres de l'Education de l'Union africaine (COMEDAF), à Addis Abeba, en Ethiopie.

Une ébauche de projet présente l'UPA comme "une institution vedette continentale d'enseignement supérieur" offrant une formation supérieure aux diplômés et des opportunités de recherche post-universitaire à " la crème de la crème" des étudiants africains. 

La nouvelle université se destinerait également au rôle d'une "institution de référence" en offrant une mine de connaissances et de compétences visant à soutenir les initiatives panafricaines de développement.

L'objectif de l'UPA est de mettre un terme à la dépendance de l'Afrique vis-à-vis des stratégies d'agences internationales – institutions qui, pour le rapport de projet, "ne partagent pas nécessairement la vision de l'Afrique ou ne cherchent pas à soutenir une renaissance authentique de l'Afrique".

Mais il est difficile d'imaginer ce à quoi ressemblera l'UPA d'un point de vue plus pratique.

L'UA a par ailleurs éludé des demandes relatives à l'actualisation de la proposition le mois dernier.

Le rapport de projet prévoit que le financement de l'UPA proviendra d'une variété de sources, parmi lesquelles figurent le pays ou la région hôte, la diaspora africaine, les bailleurs internationaux, le secteur privé et les frais de scolarité.

On y parle aussi d'un fonds de l'UA pour l'éducation– mais pas d'un budget. Le bureau de la COMEDAF a d'ailleurs fait part de ses préoccupations quant à la durabilité du financement sans trop dépendre de l'appui des donateurs.

Pour ce qui est de sa localisation, l'UPA comprendra "un campus principal relié à un réseau de campus satellites éparpillés dans une région précise de l'Afrique".

Mais la note ne précise pas si la nouvelle institution sera logée au sein de campus universitaires existants ou accueillie par de nouveaux campus spécialement construits.

Or, ce sujet est susceptible de constituer une question clé lorsque la proposition sera débattue à la réunion ministérielle de la COMEDAF plus tard cette année.

Selon certaines sources, cette problématique a déjà été soulevée.

D'après un délégué sud-africain, participant à la réunion d'Addis Abeba, des questions ont été soulevéesquant à la nécessité de fonder une nouvelle structure, alors que l'utilisation d'instituts existants serait moins onéreux et plus facile.
 

Rallumer de vieilles flammes


Le débat opposant partisans de créer quelque chose de nouveau et ceux prônant une focalisation sur les structures en place n'a rien d'original. Ainsi, cette même question est devenue brûlante il y a quelques années, lorsque la stratégie scientifique commune de l'Afrique, le Plan consolidé pour l'Afrique (PCA), s'est proposé d'apporter son appui à seulement quelques 'centres d'excellence' privilégiés dans des disciplines précises (voir 'Un réseau d'excellence pour le développement de l'Afrique'). De nombreux universitaires craignaient que l'initiative priverait les institutions les plus pauvres de ressources (voir 'African science: in with the old, out with the new').

A l'heure actuelle, l'UPA soulève des préoccupations similaires.

Pour Goolam Mohamedbhai, directeur général de l'Association des universités africaines (AUA), "la création d'institutions n'est pas facile, elle prend beaucoup de temps, le financement est difficile à trouver et leur dotation en personnel est un grand problème". 

"Si l'UPA devait recruter son personnel en Afrique, elle pourrait fragiliser les institutions existantes". Le bureau de la COMEDAF a recommandé qu'une étude de faisabilité soit réalisée et que la consultation avec des agences telles que l'AUA soit renforcée.

Mohamedbhai se dit préoccupé par le secret apparent qui entoure l'UPA. Son institution n'a pas pu débattre de la proposition ni formuler une opinion officielle, à cause du manque d'information. Une situation embarrassante, explique-t-il, "parce que l'AUA est censée être l'organisme d'exécution de la stratégie de l'UA en matière d'éducation".

Il se peut que l'UA se montre réticente parce que la proposition est en train d'être revue dans son ensemble, peut-être dans le but de moins donner l'impression qu'une nouvelle institution est programmée.

En outre, la nature des rapports, si toutefois il y en ait, que l'UPA entretiendrait avec les initiatives panafricaines existantes, telles que l'Institut africain de science et de technologie (IAST) demeure incertaine. L'IAST est un projet né de la volonté de la diaspora africaine de créer un institut d'élites avec des campus partout en Afrique. Le premier se trouve à Abuja, au Nigeria, et a commencé à accueillir des étudiants l'an dernier.

Wole Soboyejo, président du Comité scientifique africain pour l'IAST et professeur à l'Université de Princeton, aux Etats-Unis, ne voit pas en l'UPA une menace. A ses yeux, le débat 'ancien contre nouveau' perd quelque peu de sa pertinence. Pour lui, les deux stratégies seront nécessaires pour faire face à la demande future de l'enseignement supérieur.

Il affirme: "si vous regardez le nombre de scientifiques que nous devons former, il est évident qu'une seule institution ne suffira pas. Il nous faudra toute une gamme d'institutions et de réseaux très solides".

Soboyejo rappelle aussi qu'il est dangereux d'aborder la question du renforcement des institutions en plaçant l'accent sur les briques et le mortier , au risque d'oublier les questions de la recherche ou de l'enseignement.

Etudiant à l'Université de Cambridge, on lui montrait là où le neutron avait été découvert ou l'atome cassé pour la première fois.

"Aucun de ces bâtiments n'était sophistiqué", dit-il. "Nous pensons que science rime avec sophistication, mais là n'est pas la question. Il est en fait question de personnes ayant de bonnes idées, et travaillant ensemble".

Voilà en somme une bonne leçon pour l'Afrique.
 

Linda Nordling est l'ancienne rédactrice de Research Africa.

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