10/05/13

Analyse: les tendances de la recherche scientifique utiles pour l’Afrique

Science workshop
L’analyse des tendances de la recherche peut aider à identifier les points de croisement des priorités de la recherche et du développement Crédit image: Flickr/CGIAR Climate

Lecture rapide

  • Une liste des domaines les plus étudiés bat en brèche l’idée selon laquelle la recherche internationale ignore les problèmes africains
  • Mais, les principaux acteurs dans ces domaines ne sont pas Africains
  • Cette liste peut faciliter l’identification des sujets où se croisent les intérêts de la science et ceux du développement

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D’après Linda Nordling, l’analyse des tendances de la recherche peut aider les décideurs à cibler les ressources limitées quand les intérêts de la recherche et du développement se croisent.

Le mois dernier, Thomson Reuters a rendu public un rapport qui identifie 100 « fronts de recherche ». Il s’agit des domaines qui enregistrent une forte croissance rapide pour ce qui est du nombre de publications et de citations – une mesure de l’activité et de l’importance scientifiques des domaines de recherche.[1]

La liste comprend plusieurs sujets importants pour l’Afrique, comme les évaluations de l’état de la santé maternelle et infantile, l’acidification des océans et l’impact des changements climatiques sur les cultures vivrières.
 

C’est une bonne nouvelle pour les chercheurs africains qui travaillent dans ces domaines, dans la mesure où cela pourrait améliorer la visibilité – et le financement – de leurs travaux. Mais l’étude met également en lumière des points communs entre le programme de recherche internationale et les priorités et défis africains.

 

En Afrique, nous avons tendance à penser que la recherche internationale motivée par la curiosité scientifique, c’est-à-dire des études mues par la curiosité des chercheurs et non des orientations politiques ou stratégiques, ne cadrent pas avec les priorités de développement du continent.

Plusieurs articles – et j’en ai rédigé certains – soutiennent que la dépendance de l’Afrique à l’égard du financement international de la recherche explique que certaines de ses priorités ne soient pas prises en compte.

S'il peut y avoir un certain degré de vérité dans ces croyances, elles ont engendré une culture de l’isolement chez certains décideurs africains, dans le domaine de la science.

Ils prônent le retrait des tendances internationales de l’agenda de la recherche.

Ils souhaitent une ‘domestication’ de la science en Afrique, et font valoir que la recherche déterminée par le programme international, destinée à être publiée dans les grandes revues et visant des prix Nobel au lieu de résoudre des problèmes de la vie quotidienne, n’améliorera jamais le sort du commun des Africains.
 

Fausse dichotomie


J’ai toujours accueilli avec circonspection l’idéologie qui prône l’« africanisation » de la science et de l’innovation. La recherche est par essence collaborative, et le devient de plus en plus, transcendant ainsi les frontières nationales et culturelles.

Exhorter les scientifiques africains à s’éloigner des collaborations internationales, et de la reconnaissance par leurs pairs d’autres pays, aura uniquement pour effet de pousser les meilleurs scientifiques à rechercher ailleurs de meilleures conditions de travail.

Si les valeurs de la science occidentale ne contribuent pas à améliorer les conditions de vie dans le monde en développement, je suis convaincue que la faute n’en incombe pas aux scientifiques du monde en développement qui sont éloignés des défis nationaux par des priorités fixées par le financement international.

Au contraire, il revient aux gouvernements, aux entreprises et aux initiatives de développement d’influencer le programme de la recherche internationale en investissant leurs propres ressources dans les domaines de recherche pertinents. Ces gouvernements ont également le devoir de tenir compte des savoirs nouveaux, de les transformer en solutions localement applicables susceptibles d’être mises en œuvre sur le terrain.
 

Orientée de l’étranger


Le rapport de Thomson Reuters est important parce qu’il met en lumière plusieurs tendances qui ne plaident pas en faveur de la fausse dichotomie créée entre la recherche « africaine » et la recherche « internationale ». Il est la preuve que la recherche internationale mue par la curiosité peut s’attaquer à des sujets importants pour les pays en développement.

Mais, même dans les cas où les tendances de la recherche présentent un intérêt pour les problèmes africains, les principaux intervenants ne sont pas Africains. Je citerais par exemple les 'cellules solaires en polymère' – l’un des domaines les plus enviés identifiés par Thomson Reuters.

Au lieu de la technologie à base de silicium, les cellules solaires en polymère convertissent la lumière du soleil en électricité grâce à des polymères organiques. Cette technologie est peu onéreuse, durable et respectueuse de l’environnement, et pourrait permettre de fournir l’électricité aux zones rurales reculées des pays en développement.

Elle est développée par une initiative baptisée « Lighting Africa ». Ce projet mené conjointement par la Société financière internationale et la Banque mondiale vise à fournir l’électricité aux zones qui ne sont pas connectées au réseau électrique national.

Mais les principaux chercheurs qui travaillent sur ce projet ne sont pas Africains. Ils sont Danois et sont dirigés par Frederik Krebs, de l’Université technique du Danemark. Et les Australiens contrôlent un autre domaine intéressant pour l’Afrique, à savoir l’acidification des océans due à la combustion des carburants fossiles. Une menace pour les récifs coralliens des mers tropicales dont les conséquences restent mal connues et potentiellement sévères pour la pêche et le tourisme.
 

Influence croissante


Toutefois, ce ne sont pas seulement les pays ayant des capacités de recherche avérées qui sont les moteurs des domaines les plus étudiés. La Chine et la Corée du Sud sont de gros producteurs dans le domaine très couru de l’impact des changements climatiques sur les cultures vivrières. Ce qui prouve qu’à mesure que la puissance scientifique d’un pays augmente, son influence sur l’orientation de la recherche internationale s’accroît.

Les décideurs africains doivent en tenir compte avant de conclure que les priorités africaines et les priorités internationales de la recherche sont contradictoires.

C’est facile de pointer du doigt les valeurs scientifiques occidentales dans l’absence d’impact de la science dans le monde en développement. C’est également trop facile d’accuser les scientifiques des pays en développement d’être aveuglés par l’impératif « publier ou périr », et de ne pas s’assurer que leurs travaux répondent aux besoins locaux.

Mais relever les véritables défis n’est pas aisé, notamment augmenter l’appui local à la recherche et établir un lien entre cette recherche et les efforts de développement au sens large. Dans un contexte où les ressources sont insuffisantes, l’orientation des investissements peut être compliquée.

Toutefois, les analyses des tendances de la science – comme celle de Thomson Reuters – peuvent aider les décideurs dans l’identification des domaines où la recherche de pointe et les priorités de développement se croisent.

Il s’agit probablement des domaines essentiels où leurs investissements peuvent faire le plus de différence. Premièrement, dans le domaine de la science, en donnant aux chercheurs nationaux une chance équitable de prendre pied dans un domaine en essor sur le plan international. Mais, ces investissements peuvent aussi faire la différence dans le domaine du développement, étant donné que le financement pour l’adaptation technologique et le développement des compétences en ingénierie peuvent aider un pays à utiliser des technologies nouvelles sur le terrain.

La journaliste Linda Nordling, qui travaille au Cap, en Afrique du Sud, est spécialiste de la politique africaine pour la science, l'éducation et le développement. Elle a été rédactrice en chef de Research Africa et collabore au Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net), Nature, etc.

Article produit par la rédaction Afrique sub-saharienne de SciDev.Net.

Références